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Citation de fanfan50


Et pourquoi sommes-nous mis sur cette terre, est-ce pour manier désespérément la mitrailleuse ou pour boire du vin et manger du garenne ?"
Nous sommes tous d'accord, bien sûr. Mais je ne peux m'empêcher de lui dire : "Beau-père, vous faites écho à mes plus chères pensées, mais vous ne parliez pas ainsi il y a dix ans et vous vous attendrissiez comme tout le monde sur le sort des héros !
- Glaude, mon petit, il y a dix ans, j'étais loin de l'affaire, je buvais, je mangeais, j'avais de tout ce qui se consomme en abondance. Aujourd'hui,diable, il en va tout autrement et je dois réviser mon jugement."
Il me regarde, yeux mi-clos, l'air goguenard.
"Je ne dis pas, continue-t-il, que les temps devenant meilleurs..." La fin de sa phrase agonise dans les rires et la conversation continue. L'heure s'avance ; le litre se vide. Nous ne sommes buveurs ni l'un ni l'autre, au vilain sens du mot, mais nous sommes bavards et ripailleurs. Dans la région, on dit lôneur. Lôner, cela veut dire flâner agréablement, comme une rivière en terrain plat, entre deux rives verdoyantes et fleuries. Je n'ai pas toujours été un lôneur. Il fut un temps où, entre des crises de flemme, j'étais débordant d'initiative et de courage. Aujourd'hui, comment voulez-vous être courageux, en un siècle où toute activité est déviée de son intention et dirigée, bon gré mal gré, dans le sens de la guerre ? On ne peut ni forger, ni couper du bois, ni extraire de la pierre sans travailler en quelque façon, pour elle. Il n'y a guère que le boire, le manger et le dormir qui soient inoffensifs. L'amour, l'amour lui-même est fauteur de guerre en ce sens qu'il est le plus sûr moyen de fabriquer des soldats, pour la prochaine. C'est en s'inspirant de ces saines observations que nous finissons les sardines fumées de contrebande, le morceau de fromage de fraude, en buvant le vin, le pauvre vin de notre ration. Après toutes les fariboles, histoires et plaisanteries d'usage, le père Bardot, mon beau-père , devient grave.
"Soyons sérieux", dit-il pendant que ma femme apporte sur la table le pavé de pain d'épice troqué contre du poisson, chez Philbée. Il se penche à mon oreille et me donne ses directives. Il s'agit d'aller chercher un sac de blé dans la forêt de Cîteaux, chez les moines qui l'échangent contre de l'huile de graissage. L'huile est là, chez lui, le blé est là-bas, qui attend ; à moi de faire le transport.
Tout le danger est pour moi ; l'huile de graissage, c'est la prison, pour les moines et pour moi. Le blé, c'est encore la prison, pour moi et pour les moines. Danger à l'aller, danger au retour. Mais deux satisfactions profondes : frauder avec un monastère, pour la plus grande gloire de Dieu, et aussi (car la gloire du ventre compte), farine assurée et grain pour la volaille pendant deux ou trois mois.
L'affaire est conclue, l'itinéraire tracé, d'un revers d'ongle épais sur la carte, les points dangereux signalés et longuement étudiés ; je partirai ce soir à la nuit prenante, je serai de retour de grand matin avant que les douaniers, gardiens, inspecteurs, contrôleurs et autres pille-gens ne soient sur les routes.
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