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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Il fixait le ciel, tout en songeant. Il devinait que la perspective d’un départ lui était une libération tout autant qu’un danger : une mise à l’épreuve, et il redoutait de ne pas s’en tirer. S’il lui était donné l’occasion de partir, il lui faudrait éviter seul les pièges de l’existence ; or, il ne savait rien de la vie, quoique n’ignorant aucune des lois de la réalité. Il ne savait que des principes, n’avait pas connaissance des actions ; il croyait pourtant avoir retenu les principaux faits.
ArkOne était une Cité lumineuse, magnifique, admirable. Abritant des milliers d’êtres qui y vivaient dans une paix profonde, elle les rassemblait par la cohésion d’un même devoir universel : cultiver la terre et rendre l’air pur. Une supérieure autonomie sourdait de ce système d’une beauté divine : la Coupole, l’Aiguille ; l’acier et le verre composite ; un prodige, une aubaine, une manne. Il aurait aimé s’en approcher, les observer de près, les toucher. On disait qu’il y avait un plan d’eau à l’est, comme creusé par miracle au milieu du désert. Et partout, une végétation splendide, minutieusement agencée, chaque arbre étant sacré, chaque point de verdure constituant une fierté vivante ponctuellement placé dans le plan d’ensemble de la toute première Cité d’Ark.
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Henry War
Les efforts prolongés qu’on fait pour exceller résolvent automatiquement les problèmes du cœur. Foncièrement, il n’est qu’un chagrin d’amour, c’est de ne pas accéder à la personne qu’on aime ; on se morfond tant qu’on soupçonne qu’il en va de sa faute. Mais qui a appliqué sa vigilance à se rendre meilleur et a œuvré de telle sorte qu’il se tient en estime et ne sent pas par où il aurait pu réussir davantage, celui-ci se débarrasse du même coup de toute sensation de culpabilité liée à l’appréhension de son insuffisance. Il aime, un autre ne l’aime pas : comment, s’il s’est forgé dans la direction qu’il admire, l’autre peut-il mépriser cet alliage qu’il est devenu, et comment pourrait-il continuer d’admirer l’autre qui méprise ce métal qu’il aime tant et qu’il est devenu ? C’est qu’il existe une faille dans la faculté d’estimation de cet autre : alors pourquoi l’aimer encore si défaillant ? on n’a garde de se faire apprécier de qui se signale par de mauvais jugements. Ce n’est pas orgueil : s’il reste à apprendre pour se faire aimer l’amant n’y répugnera pas, il travaillera pour atteindre le point où se situe l’autre, mais s’il voit que son apprentissage ne s’accompagne d’aucune revalorisation de sa personne, il blâmera l’aimé pour son manque de discernement, et il ne l’aimera plus.

Ou encore, s’il devine ne pas pouvoir parvenir si haut, il s’abstiendra de retenir l’aimé « à son étage », et il contentera son appétit à des mets moins élevés, ou se résoudra, pour le bien de qui il admire, à ne point l’abaisser par sa présence, car c’est un principe de sagesse de ne pas aspirer à ce qui est manifestement inaccessible – en dépit de toutes mes amitiés pour tels auteurs d’un autre siècle, je ne désire pas véritablement leur parler ou leur serrer la main outre-tombe, pas plus que je n’importune les artistes présents que j’admire en leur réclamant des autographes.

Il est vrai qu’on distingue, dans la sorte d’esprit perfectionné dont je parle, une façon de justifier l’amour qui ne veut rien devoir au hasard ou à la « magie » : cette intelligence réclame de savoir pourquoi elle aime, et exige des gages qu’elle ne fait pas erreur, qu’elle ne surestime point ; elle examine et mesure. C’est assez opposé, je sais, à la morale commune selon laquelle l’amour ne doit nullement s’expliquer ; oui, mais les tout premiers progrès de l’esprit sont de comprendre qu’il y a pour toute évaluation des critères, pour toute sentence des justifications, et de ne pas s’en défendre, en sorte que ma leçon vaut pour ceux qui ont commencé d’avoir de l’esprit et confirme que je ne consens pas à adresser mes pensées – encore moins mes amours – à des animaux.
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Henry War
Même leurs éloges puent, même leurs éloges d’Ailleurs ! Tous leurs dithyrambes sur la nature marquent leurs valeurs dénaturées : s’en tenant à des émois appris, jusque dans les gènes ils ont oublié l’orgueil de la terre. La beauté d’une rose les émeut avec indolence, mais ils ne chantent pas, parce qu’ils ne l’entendent pas, l’air enivrant ou le vent dur de la conquête à laquelle pousse l’immensité d’herbe et de sols. Ils attachent leurs observations exclusivement à l’infiniment petit et extérieur, même leur admiration d’univers est une parade d’étoiles et de scintillements particuliers, ils projettent leur intellection vers l’altérité, et c’est par ce concept qu’ils se trouvent envoûtés, rapportant à eux-mêmes des idéalités infinitésimales. Mais ils ne sentent pas d’emblée le goût de la bataille dont résonne le corps au milieu d’une étendue libre, ils n’observent pas d’abord l’effet de défoulement qu’ordonne à la physiologie la symbiose avec une vastitude qu’on aspire à posséder, ils ont perdu lasensation primale – l’enivrement sauvage de la terre, la fougue du défi de la brise, le déchaînement d’une course ou d’un galop pour tuer le lapin ou un plus dangereux gibier – au profit de sentiments composés de tête ; on ne les incitera plus, en un mot, à l’impression de l’envie brutale de baiser puissamment quelque femme dans un champ – c’est même cela qui leur est devenu artifice, ils prétendront longtemps que nous sommes décadents et pervertis. Ils ont pris l’habitude des contentements de vestige selon juste la proportion à laquelle on leur permit d’accéder : la soumission où ils naquirent fit toutes leurs exaltations d’esclaves ; ils sont accoutumés d’admirer à hauteur exacte de ce qu’ils ont ledroit de disposer, ils n’ont jamais joui de l’arrachement possessif d’une fleur dont ils ont cependant décomposé et métaphorisé toutes les fragrances. Alors, je pense que rien qu’un lieu vierge, avec le besoin, un vrai besoin vital, d’appropriation même d’un sol de cendre ou d’un relief rouge, avec le rapport étroit, intime, intrinsèque, à la responsabilité d’une terre à soi, d’une terre menaçante qu’on domine, suffira à réinitialiser la vigueur humaine, atavique, et à insuffler de nouveau une mentalité de liberté et de puissance opposée à celle du si discret « locataire ». On ne s’excusera pas d’occuper un paysage qu’on a domestiqué et qu’on respecte aussi par tout ce qu’on lui sait de dangereux et qu’on tient en respect : il ne s’agira plus de « léguer » quelque chose de provisoire et d’extérieur, mais de transmettre un héritage par testament en hommage au serment de propriété qu’on a contracté avec le sol comme s’il s’agissait d’une personne. Ce qui manque à notre vision de la terre, c’est la chaleur d’un rapport de possession et de mémoire personnelles, parce qu’il n’existe plus un homme qui a engagé péniblement ses forces et investi ses affects à modeler et à assujettir son territoire, comme le rapport du maître avec son animal apprivoisé : notre époque a fait de la « nature » une philosophie intellectuelle et un mysticisme éthéré, un décor, une allégorie, en un mot : Gaïa. Mais la nuisance potentielle d’un lieu où l’on vit pour de vrai n’est pas une idée : c’est une épreuve. Qu’un homme lutte au sein d’un paysage, alors il retrouve bientôt la brutale tectonique qu’il aime comme un véritable ennemi et qu’il cherche avec admiration à asservir : cet homme-là se fiche à peu près des pistils et de la goutte de rosée sur la branche – il est symptomatique et éloquent de constater comme cette mythologie, comme cette poésie, comme ce fantasme de rose et de rosée fut élaborée presque exclusivement par des urbains à travers des livres et, à présent, des écrans. Or, un reliquat de cette soif, de cette passion, de cette fureur d’évasion persiste en l’esprit latent de certains hommes : ce ne sera pas pour eux le sacrifice qu’on croit d’aller établir leurs avant-postes aux frontières de l’humanité, c’est inutilement qu’on les paiera cher pour y risquer leur vie, ils seront satisfaits d’œuvrer avec tant de péril pour un paysage destiné à leur appartenir, parce que tout ce qu’ils contempleront durant leur labeur, ils le convoiteront, et c’est ce qui donnera du sens à leurs efforts. Il n’y pas d’amour de la terre sans une certaine cupidité, et je tiens la pensée virtuelle et décontextualisée dont notre époque se plaît tant à disserter comme le contraire de l’amour de la terre, c’est-à-dire un vague détachement qui s’efforce de s’entraîner, avec des métaphores et des paraboles, avec des images qui constituent le moyen le plus sûr de s’éloigner d’un sujet réel et d’aborder ce qui n’entretient avec lui qu’un rapport théorique, abstrait et efféminé. Plus nous élaborons la terre, plus nous l’idéalisons, moins nous la savons : ceux dont je parle, ces pionniers, sauront ce que signifient, eu égard à la terre, la conquête et le mérite. C’est pourquoi il faut craindre que tôt ou tard ils n’accepteront plus l’humanité des villes qu’on débarquera de plus en plus régulièrement sur le territoire qu’ils auront jugulé de force, sur lequel ils se sentiront des droits en « maîtres et possesseurs » ou comme « pères fondateurs » : ils se révolteront contre ces extrapolation et expropriation de leur terre vraie – cela n’a pas lieu à notre époque parce que même l’agriculteur a perdu l’essentiel de son lien au sol, il exerce son activité comme un salarié sous assurances, il organise des activités d’automatisme sans réflexion et sans avoir à intérioriser une lutte de survie et des affects d’échange et à les associer à un paysage (voir dans Les Raisins de la colère le chapitre où Steinbeck décrit la forme mécanique et l’effet déshumanisant des tracteurs). Notre siècle n’est plus foncièrement attaché au sol et à la terre, il ne se sent plus mêlé à sa destinée par l’intimité ardente de sa sueur et de son sang, c’est pourquoi il a remplacé l’émotion viscérale par des inventions fictives, et il faudrait en plus que le monde entier pliât à ses représentations comme si elles étaient naturelles et universelles ! Le Contemporain n’a pas la mesure sincère et amorale de comprendre qui il est, de ressentir d’où il vient, de consentir à retrouver ses nerfs, de façon qu’il puisse accéder à la réminiscence que, ainsi que je l’ai écrit pour une revue (Krisis n°53), ce ne sont pas foncièrement les commodités qui font l’attrait d’un lieu pour un individu, mais l’indépendance morale qu’il en tire et la salubre impression d’un équilibre de ses forces ; autrement dit, ce qu’un homme célèbre au cœur d’un espace de nature, le sacré de sa solitude, c’est sa puissance et sa gloire, et tout le reste est religion et littérature – il est cependant probable que ce tableau corresponde de moins en moins à la corruption des aspirations de l’homme qui s’est tant altéré, aliéné et oublié qu’il sera bientôt incapable, pour périphraser un philosophe, de « redevenir qui il est ». Mais il va de soi pour les hommes-de-la-terre-vraie, que l’amour de leur contrée, c’est l’amour de son travail, du travail de la contrée, du travail à la fois pour et contre la contrée (Ah ! et tous ces mièvres poètes des étangs et des nuages qui sont même inaptes à sentir ce qu’ils prétendent si abondamment spirituellement déchiffrer !).
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Nuit.
Nuit encore. Et non pas nuit logiquement, puisqu'il y avait une impression de lumière. Pourtant : nuit.
Les yeux de Susan étaient ouverts dans le noir. D'où était venu le jour, la clarté ? Un souvenir de soleil jeune lui poignait l'esprit, mais le soleil était tombé depuis cinq heures et le souvenir ne pouvait pas exister. Que lui arrivait-il ? que lui arrivait-il donc _encore_ ?
Elle refusa de bouger, comme si l'image risquait de s'évanouir sur un mouvement. Une curieuse torpeur l'avait prise ; sans savoir pourquoi, elle demeurait perplexe et intriguée, scrutant l'espace invisible et tâchant de fusionner avec l'impossible vision qui l'avait inondée de façon subliminale.
De la chaleur, une impression de chaleur... Mais qu'était-ce : une chaleur sans rapport avec la température ? Comment une appréhension des degrés peut-elle donc être intérieure et intime ? De la lumière, ça oui, mais une sensation chaude déconnectée de cette source - douce plutôt - de confort émané de soi-même, comme une onde, une bienveillance. Pas de la chaleur à proprement parler, non : un fonctionnement doux, un principe de paix, et peut-être quelque petite chose davantage...
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Henry War
On n’imagine pas le plus souvent ce que peut apporter à un groupe un esprit et une plume ; il est une heure surtout où l’on ne demande que des actifs fourmiliers, que des journaliers non-qualifiés mais utiles : c’est que tout groupe dispose d’abord d’un leader avec ses opinions déjà conçues et qu’il se vante de savoir communiquer, de sorte qu’au groupe il n’apparaît pas fondamental ni nécessaire qu’un nouvel adhérent occupe cette place, non seulement parce qu’on ne pense pas que la doctrine a besoin d’ajouts de profondeurs ou de reformulations, mais parce qu’on suppose qu’un tel renfort ne ferait que supplanter le chef et diminuerait d’autant la stabilité du mouvement. En quoi la supérieure compétence intellectuelle, dans un parti, est toujours en quelque façon superfétatoire : il est bien vrai qu’un homme qui est plus capable qu’un autre sans que leurs forces combinées soient démultipliées mérite de le remplacer ; pour qu’un adjudant soit requis, sa compétence doit être complémentaire aux unités en place et donc issue d’un champ qui, au moins en quelque chose, soit totalement différent de la compétence qui préexiste dans la structure qui l’accueille.

Il ne manque à mes facultés philosophiques qu’à trouver à intégrer quelque groupe théorique, quelque assemblée virtuelle d’écrivains, quelque réunion de penseurs ponctuels et aiguisés, quelque société attentive d’émulation sincère qui, comme certains cercles savants de physiciens du début du XXe siècle, s’entendaient à s’entre-diffuser leurs textes pour réaliser, par adjonctions de pensées, les constructions mentales les plus éloquentes et utiles à l’homme ; or, où rencontrerais-je une telle tribu ? Notre époque n’a foi qu’en des inanités d’inventions collectives, la conviction d’une élite de réflexion n’est plus.
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