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Citation de enkidu_


Comme Auligny enfilait quelques-unes de ses raisons en faveur des indigènes, Guiscart dit :

— En Afrique du Nord, il faut que tu marches dans un rêve, sinon ce que tu vois te donne le cafard. Soit le rêve « français » : réduire, gouverner, exploiter. Soit le rêve « artiste » : danseuses, jasmin, petits garçons. Soit le rêve « humain » : assimilation, fraternité, justice. Tu as choisi le rêve numéro 3, qui t’a fourni une occupation pendant ton séjour à Birbatine : l’essentiel est donc acquis. Pour moi, tout ce que je sais de la question indigène, je l’ai appris en feuilletant des revues, à Alger, dans le salon d’attente d’un médecin. Par malheur, ce médecin, ayant fini par apprendre qui j’étais, décida de me donner toujours la priorité, de sorte qu’on me fit passer par un autre petit salon, où je ne restais jamais que quelques instants, et que je perdis ainsi mon unique occasion de me mettre au courant des grands problèmes de la vie coloniale. Quand je te disais que, pour un agrément, on a dix embêtements de la notoriété ! Mais j’en sais assez pour penser que ces problèmes, comme tous les problèmes, naissent des divergences entre deux groupements qui ont l’un et l’autre des droits et des torts à peu près égaux. Ces problèmes, s’il fallait, premièrement, recueillir sur eux une documentation, deuxièmement, réfléchir sur cette documentation, troisièmement, se faire une opinion (sans compter que, leurs données se modifiant, tout serait bientôt à recommencer), la vie y passerait, et pour quelques-uns d’entre eux seulement. Et alors, quand jouirait-on ?

— Pourtant, la justice…

— Oh ! mais nous ne nous piquons pas de justice ! dit Guiscart, avec un air un peu offensé. Pour moi, le monde n’est pas un objet à comprendre ni à moraliser, mais à respirer. Tu vois, respirer c’est le contraire d’aller profond. J’ai respiré l’Afrique du Nord, et tout ce que j’y ai trouvé d’exquis était le fruit et la fleur de trois mille ans d’iniquités, dont la série continue et continuera toujours, parce qu’elle est dans l’ordre des choses. Mais comme je n’ai d’autre but, sur ce globe calomnié, que de collectionner des illusions agréables, je ne me mets pas martel en tête à cause de l’iniquité. L’autre jour, à Marseille, une femme du peuple, devant qui je m’étonnais qu’elle eût tant d’enfants, étant si pauvre, me donnait en une seule phrase une justification sublime de la volupté : « Ah ! monsieur, quand on est sous la couverture, on ne sent pas la misère. » Je te répondrai de même : « Quand on est sous la couverture, on ne sent pas l’injustice. » Peut-être cela n’est-il pas bien. Mais n’ai-je pas le droit de préférer ce qui n’est pas le bien ? J’ai assez de sentiments nobles à d’autres propos. Il faut bien que je les contrebalance. Car il s’agit de savoir si on veut rester équilibré.
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