AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de enkidu_


Auligny, jusqu’à vingt-cinq ans peut-être, n’a jamais réalisé qu’on puisse être un honnête homme et n’être pas clérical, nationaliste, etc. Pour lui, seuls les hommes de son parti ont des principes. Un révolutionnaire est un homme qui ne mange pas de poulet et veut en manger, et c’est tout. Un socialiste est un homme qui n’aime pas la France, et qui ramasse tout et n’importe quoi contre elle, et c’est tout.
[...]
L’intérêt de la patrie est-il donc l’unique loi morale ? On le dirait. Gouvernement, diplomatie, armée, administration, justice, police fonctionnent dans la seule vue de l’intérêt de la patrie, aucune autre considération n’étant admise. On peut lire une bibliothèque entière de Livres Jaunes, d’annales judiciaires, d’ouvrages d’officiers et d’économistes, de comptes rendus de sociétés concessionnaires, concernant une colonie ou un protectorat, sans soupçonner jamais que tout cela, pour reprendre un mot fameux, est écrit sur la peau vive, sans y trouver jamais une trace du respect de l’homme pour l’homme. On taillade dans l’être humain avec l’insensibilité de l’enfant qui arrache, en détail, les ailes, les pattes, les yeux d’une libellule, comme s’il s’agissait d’un objet inanimé. Humanité, honnêteté, droit des gens ne sont tolérés qu’à condition de rester des mots. Une espèce d’unanimité se fait sur un homme qui essaye de mettre le réel, ou seulement sa vie, en accord avec des principes : c’est un imbécile. Cela se dit ouvertement, cela s’imprime, comme il est imprimé, sous des noms respectés de tous, que la justice, la vérité, etc., sont de « solennelles âneries ». Quelles que soient la simplicité, la sobriété, voire la sécheresse voulue avec lesquelles vous exprimez un sentiment moral, si ce sentiment se trouve, sur un point donné, contrarier l’ordre établi, vos paroles seront des « déclamations ». De quel ton, si vous parlez moralité, on vous répondra « sensiblerie » ! Avec quels ricanements on prononce les mots de « philanthropes » ou d’« idéalistes » ! Mais ce n’est pas assez, vous n’êtes pas qu’un serin, vous êtes un mauvais Français : aux colonies, quelqu’un qui veut la justice est un délinquant.
[...]
Auligny sent qu’il ne peut plus être complice de cela. En même temps, s’il s’élève contre, comment ne croirait-il pas qu’il trahit ? Et il reste incertain et déchiré. De son propre mouvement, dans un bel élan tout pur, il a bondi hors du mensonge officiel concernant les colonies. Mais il ne va pas au bout de son élan. Renoncer aux colonies ? Démence ! Horreur ! Blasphème ! Accorder des droits civiques à l’indigène ? Tout doux ! Il entre en plein dans le système, réputé bien français, du retapage par bouts de ficelle ; il veut l’impossible : qu’on enseigne aux coloniaux à être de petits saints. Ses scrupules le privent des bénéfices de la manière forte. Et sa complaisance pour l’ordre établi le prive du bénéfice moral de ses scrupules…
Commenter  J’apprécie          20





Ont apprécié cette citation (2)voir plus




{* *}