VOCATION DU POÈTE
Le poète entre en ses terres, épaules tassées,
comme lâchant la main des autres danseurs macabres.
Le malheureux ! Il abandonne la raison du texte !
Des mythes nouveaux, l'empoignent, la cohue perverse,
la furieuse tirade de l'homme sur la terre !
Un soir, il consent à lever des yeux inquiets
sur d'épouvantables zones, des terres intermédiaires,
à l'orée des villes, qui n'est qu'une illusion.
Le Rhône lui apparaît comme jadis le Rhin à Hölderlin !
Et l'arsenal incroyable d'une époque, aussi loin
que le regard veut fuir, sature le relief défoncé…
Il n'y a jamais, interrompu de gravières et sali,
que le fleuve sans âme qui s'avance, gravement,
pareil à un grand tombeau. Le respect ! Le respect
gagne le poète… Il regarde les rives domestiques
où fusent des machines. Et il se reconnaît ainsi,
dans ce théâtre bâtard, enfant du siècle, forcément.
p.146
Mémorables sont ces lieux
… Mémorables sont ces lieux
où l’on s’attable, où de chacun
par son prénom, Cléon, Callias
ou Simonide, on saurait la juste place
si la maison s’écroulait sur ses convives,
et certes comme toute bonne maison celle-ci
aussi est bonne à fuir
Nous serons là pour l'enterrement du siècle.
Il y aura un beau couchant, et une aube un peu capricieuse.
Les humains formeront un cortège de désordre
qui s'avancera au pas des musiques dans les campagnes souillées.
Tout sera confondu comme au coeur des villes.
J'ai de la reconnaissance pour toutes les fenêtres qui produisent dans le paysage un grand calme, voire de l'indifférence. J'aime l'espace mal assumé, une inutile saison, un été sans valeur.
"Note 1", p. 33
FUGUES
Encore des voyages, un dimanche,
quelques heures soustraites aux légions.
Encore des coteaux, encore la lumière.
Le fleuve imminent entre les arbres.
Nous traversons vignes et orées,
marchant vers la Loire qui doit apparaître.
Là-bas, un chemin blanc, belle courbe
près des reflets qui nous attirent…
Ce sont nos biens,
c'est notre bel égoïsme : demain haï
qui rendra aux villes, aux offices.
Encore des voyages, des heures sauvées
et sur le trajet solaire notre trajet calqué.
p.114
Frères tout autour
Frères tout autour
qui vous placez aux points cardinaux
et bougez d’un petit pas, qui cherchez
à bon droit de repasser la porte
et vous enfuir, vous tenir ensuite
au plus loin du cercueil sur la terrasse
frappée du plein éclat, sans doute
ce fut déraisonnable que d’avoir dû voir
si longtemps son regard nous suivre tous
et chacun, se mouvoir ainsi
en ses mouvements échappés
sur chacun et sur tous à la fois,
chacun pouvant se croire
être vu en particulier et le seul
à être vu sans qu’il en tire un privilège,
pas même celui d’être en faute,
si grand encore est la vanité,
ou de n’être qu’une chose, chose
cependant, lui aussi …
Nature
… Nature
sempiternelle qui tue les siens
sans ordre, se pâmant d’aise
pendant la lutte d’agonie
où elle a autre chose à faire, elle
que tout indiffère et qui se poursuit
comme elle est, n’intervenant en rien
où elle ne fait que laisser dire croyants
comme incroyants. Pauvres de nous
qui dirions des bêtises semblables
à des consolations ou des rancunes,
ou qui perdrions la parole sans même savoir
s’écrier Miserere, ose
enfin dire ce que tu as vu toi,
ajoute
Si quelqu’un pouvait
Si quelqu’un pouvait dans quelque bonne maison
comme étant son hôte, à soi-même se dire,
et point trop humilié après qu’il a fini sa chose,
que c’est bien, que c’est juste et, en plus,
que ça tient, nous aurions là un geste
univoque à Dieu, tel qu’il œuvre puis après
se repose
des ruines
des ruines
qui ont fait leur nuit et se rallument
jusqu’à leur épuisement sur terre
où elles s’effaceront, comme toute trace
dans un bon travail.
Le silence d'un village à midi, l'essor d'une ville - et jusqu'à la souillure des banlieues, des chantiers, des usines - nous attestent, personnes vives en des instants simplifiés. Est-ce là une raison [...] trouvée à nos jours ? Que cherchons-nous, si vraiment nous n'attendons rien d'autre que de belles journées ? Assez ! Nous voulons croire aux biens visibles, nous voulons boire, autant qu'il est possible, à une coupe matérielle. Errer est notre foi. Les paysages sans compassion, la terre désaffectée, le désert tant peuplé où nous sommes, c'est tout ce qu'il reste, et c'est tout ce qu'il faut.