Hughes Bazin

En Grèce, l'art est anonyme à ses débuts : artistes et artisans ne font qu'un . La grossièreté des moeurs, l'empire de la force, l'instabilité de la vie privée et sociale retiennent l'art captif dans les liens du métier. Platon, dans son Critias, nous représente le plateau de l'Acropole d'Athènes occupé par la caste guerrière qui s'établit dans des habitations communes près des temples et qui s'entoure d'une palissade pour sa défense ; sur les pentes et sous l'oeil et la menace des hommes de guerre sont groupés les laboureurs et les artisans.

On se propose ici de rechercher la condition des artistes grecs, c'est-à-dire la place qu'ils occupèrent dans la société, la considération dont ils jouirent et l'action qu'ils exercèrent. On les trouve d'abord aussi obscurs et on les laisse aussi discrédités que l'art dont ils étaient les représentants. On s'arrête sur la période brillante qui s'étend entre leurs essais et leur décadence pour y relever les causes auxquelles ils durent de former une classe distincte et privilégiée. C'est un coin de l'histoire de l'art, moins exploré peut-être que le reste de ce vaste domaine où la critique française et allemande a fait de si belles découvertes.

La langue témoigne avec l'histoire de l'origine obscure des artistes. Elle n'a qu'un mot pour désigner l'art et le métier; elle appelle les sculpteurs gratteurs de pierre, ou encore fabricants d'hermes, parce que l'hermès n'est qu'une tête au bout d'un pilier carré ; elle appelle les peintres dessinateurs d'animaux et les architectes charpentiers, maîtres-charpentiers; enfin elles les comprend tous sous la dénomination méprisante de manouvriers. D'ailleurs, si nous demandons aux histoires de l'art ou aux écrivains de l'antiquité les ouvrages des premiers artistes, nous ne serons pas tentés de protester contre les dédains de la langue.