Citations de Hyam Zaytoun (77)
Une semaine après ton réveil, le neurologue a eu ces mots:
-Pour l'instant vous avez quelques trous de mémoire, c'est normal. Un peu comme si vous aviez fait tomber votre bibliothèque et qu'il fallait à nouveau tout ranger.
Paul verse alors dans mon verre ce vin que je vais adorer : « Gewurztraminer », choc de consonnes et de voyelles, monde de saveurs et de sons, que je vais découvrir avec toi...
Est-ce que l'on s'aime en s'épargnant ? Cette énergie-là, à vouloir toujours imaginer avec toi de nouveaux projets, un nouvel horizon, n'est-ce pas, depuis le début, la façon que j'ai de t'aimer ?
La fenêtre n'offre qu'un spectacle morose, sans orage ni trombes d'eau, pas même l'éclat d'un soleil indécent, mais à l'image de notre drame, contre lequel personne ne se rebelle, un gris banal.
Certaines nuits sont plus épaisses que d’autres. Celle-ci est trouée de tristesse.
Et l’on a perdu la pudeur, parce que les mots sont écrits par d’autres et c’est comme un costume que l’on prend pour mieux se dévoiler.
Et l’on a perdu la pudeur parce que la lumière nous aveugle et c’est tant mieux.
Chacun de tes vêtements me nargue cruellement. Ils sont intacts. Une vie plus solide que la tienne, on dirait, ces choses qui t’appartiennent.
Je la connais, je suis pareille. Une fille inquiète. Une fille capable d’échafauder, en peu de temps, le plan de survie d’un drame non encore advenu. Je repense à ces soirs où ma mère pouvait rentrer un peu plus tard qu’à l’accoutumée, où ma soeur, Lila et moi, encore petites, l’attendions seules à la maison. L’angoisse soudain montait si fort que je me réfugiais dans l’armoire de Lucie, pleurais dans ses vêtements comme si elle était morte, entraînais ma soeur dans ce mélo d’orphelines… jusqu’à ce que Lucie rentre, bien vivante.
Sans trop se poser de questions, on a inventé comment être une famille, à force d’empathie, de tendresse, de sentiment du juste ou bien du raisonnable.
La petite mamie d'a côté. Elle est partie comme ça, juste après un café, elle s'est effondrée, dit son mari , ce vieux bonhomme que l'on croise tous les jours arpentant le quartier. La vie sans l'autre, quand on l'a partagée si longtemps, est-ce qu'on s'y habitue ? Dans nos jardins mitoyens, ses hirondelles la cherchent encore.
Et les coucher, les border, les embrasser bien fort. Mais pas plus. Pas plus de temps auprès d’eux. Je fuis leurs yeux innocents. Eux qui n’ont demandé que la joie, et voilà le malheur qui attend au tournant. Qu’aurai-je leur à leur dire, si tu t’en vas ?
Pour la première fois depuis depuis longtemps, je ne peux pas partager ma peine avec toi mon amour. Alors il faut qu'ils soient nombreux à m'entourer, les plus nombreux possibles.
Oui je me sens soudain si coupable. De ne t'avoir pas protégé, pas assez aimé, pas assez regardé. Si j'avais su, est-ce que j'aurais pu ? Est-ce que l'on s'aime en s'épargnant ? Cette énergie-là, à vouloir toujours imaginer avec toi de nouveaux projets, un nouvel horizon, n'est-ce pas, depuis le début, la façon que l'ai de t'aimer ?
Je te dis à voix haute ces pensées qui me traversent, parce qu'il faut bien parler, oser. Cela, toi et moi on sait le faire, ouvrir notre cœur à ceux qui se taisent. Depuis la scène, qui est notre jour, l'on choisit, au plus profond de la nuit des spectateurs, dans ce noir épais, chaud et accueillant, notre confident.
Cette part de ton absence que je remplis de mots, à faire de toi mon confident, mon unique.
A chacun de tes départs, je tremblais.
Il me fallait absolument inviter quelqu'un à la maison pour passer le cap de ton départ, devenir à nouveau capable de préparer le repas, jouer avec Margot, la baigner, la coucher, et passer alors un moment seule.
Pourtant le lendemain et les jours suivants, je savais de nouveau m'occuper de Margot avec plaisir, j'aimais la retrouver après mes répétitions, et m'attendais sans problème au petit marathon de la mère solo.
J'ai su, après, combien courante , mais taboue, est cette peur-là, cette solitude de la mère face au bébé qui ne parle pas encore, dépend entièrement de ses soins.
Un vertige dont on ne parle pas.
Paul verse alors dans mon verre ce vin que je vais adorer : "Gewurtztraminer" choc de consonnes et de voyelles, monde de saveurs et de sons, que je vais découvrir avec toi...
J'écoute un à un les nombreux messages reçus depuis ce matin. La nouvelle à presque déjà fait le tour du quartier et, par des connexions que j'ignore, elle est parvenue jusqu'à des amis d'enfance, jusqu'aux récents copains de scène. Cela va vite, ce qui se tisse autour de nous, de témoignages de soutien, de pensées inquiètes, de proposition d'aide.
Je repense à ce matin, il y a quelques années, où j'ai vu les pompiers defibriller, juste sous les volets. La petite mamie d'à côté. Elle est partie comme ça, juste après un café, elle s'est effondrée, dit son mari, ce vieux bonhomme que l'on croise tous les jours arpentant le quartier. La vie sans l'autre, quand on l'a partagée si longtemps, est-ce qu'on s'y habitue ? Dans nos jardins mitoyens, ses hirondelles la cherche encore.
- Je sais que je serai capable de m'en occuper, même s'il est handicapé, même s'il n'est plus le même. J'en suis capable. Pourvu qu'il sache qui je suis, qui nous sommes.