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Citation de idirtas


Le jour commençait à décliner lorsque sa sœur apparut à l’orée du bois. Les feuilles des arbres les plus bas la coiffaient d’une chéchia mouvante et lui donnaient l’apparence des dryades qu’il avait vues quelquefois dans ses livres de classe.
— Il faut rentrer, dit-elle simplement. On t’attend.
À ce moment-là, Rex qui avait dû reconnaître sa voix, surgit d’un fourré. Il était trempé jusqu’aux os ; quant à l’étoile, elle était totalement recouverte de fange.
— Tu as belle mine ! s’écria-t-elle en tapant dans ses mains.
Le chien apprécia le compliment à sa manière et se précipita au-devant du chemin en aboyant.
— On a un hôte ? demanda Akli.
— Je te laisse deviner, rétorqua Sadia, davantage par goût du jeu que pour s’amuser d’un don sur lequel elle ne savait rien. Elle ne l’aurait d’ailleurs pas pris au sérieux si l’enfant lui en avait parlé.
Quand ils pénétrèrent dans la maison fleurant la viande grillée, Akli remarqua les valises jetées pêle-mêle au pied de l’escalier intérieur. Il n’eut pas besoin de lire les étiquettes pour savoir à qui elles appartenaient. Ainsi l’étoile n’avait pas menti. Son père était rentré plutôt que prévu. Sa famille avait seulement préféré se taire pour que la venue de son père fût une surprise, mais tout au fond de lui il l’avait déjà vaguement pressentie.
— Va l’embrasser, lui dit Sadia en le poussant du coude. Il n’attend plus que toi.
Dehors des voix fusaient, très heureuses. Akli ouvrit la porte du corridor et reçut en plein visage la lumière aveuglante du couchant. Comme il hésitait à s’approcher, Oudia, une de ses tantes, l’encouragea :
— Regarde qui est là, Akli ! C’est ton père. Viens donc l’embrasser.
Les membres de sa famille étaient rassemblés autour d’un homme vêtu d’un costume gris. À son poignet, le soleil se réverbérait, dardant d’ardentes pointes de clarté qui firent baisser les yeux d’Akli comme si on y eût enfoncé de la laine de verre. Il dut attendre quelques secondes que la brûlure s’estompe. Ce fut suffisant pour que son père fendît la joyeuse troupe et le soulevât de terre.
— Eh bien mon gaillard ! Tu as grandi !
Les yeux d’Akli cuisaient toujours. Il ne pouvait regarder son père en face.
— Tu ne lui souhaites pas la bienvenue ? reprit sa tante Oudia. À moins que tu aies perdu ta langue dans la rivière !
— Qu’est-ce que tu attends pour l’embrasser ? lui dit sa mère qui venait d’entrer avec un plateau de baklavas et prenait maintenant part à la scène.
Visiblement gêné par la tournure de la situation, Saïd le déposa au sol à l’instant précis où le soleil disparaissait derrière les collines, cendrant aussitôt la cour et les visages, emportant avec lui la brûlure de ses yeux.
— Rien ne presse, l’excusa son père, tandis qu’Akli s’apprêtait à l’embrasser et que Saïd, qui ne comprit pas quelle était son intention, s’en retourna vers son siège.
Akli se demanda s’il devait faire comme si de rien n’était ou l’embrasser quand même. Il opta pour le second choix. Timidement, il déposa un baiser sur la joue de son père qui lui murmura :
— Je suis resté un peu plus longtemps que je le pensais. L’essentiel est d’être de nouveau là. Pas vrai, fiston ? Je suis vraiment content de voir mon grand garçon.
Assailli par les nouveaux venus qui lui posaient successivement des questions soit pour prendre des nouvelles d’un des leurs, soit pour s’enquérir du mode de vie, là-bas, de l’autre côté de la mer, Saïd n’eut plus le temps de se tourner vers l’enfant.
Bientôt il ferait nuit. Dans le ciel parcouru de vols lents d’étourneaux, de longs filaments violets s’estompaient entre les branches froissées par une imperceptible brise.
Akli profita d’un moment d’inattention pour s’échapper dans le jardin. Au loin chuchotait la rivière. Alors lui revinrent en mémoire des bribes de sa journée. Il pensa à Babouh qui devait se trouver quelque part là-bas, dans les bois. Toutes ces étoiles gardées par leur sœur polaire, paissant dans l’herbe brune, Babouh devait les voir aussi. Le ciel appartient à tous comme la rivière, se dit Akli qui s’amusa quelques secondes à compter les scintillations douces et laineuses tels des poings d’enfant serrant de petits rêves chauds.
Puis, éprouvant soudain un étrange vertige, il souffla, souffla pour que s’éparpille au milieu des herbes sauvages et des crécelles un ruissellement de lumière. Mais il dut s’interrompre lorsqu’il vit sa mère entrer dans le jardin.
— Toujours le nez dans les étoiles ! Je parie que tu n’as pas mangé de la journée, lui dit-elle d’une voix ferme mais douce.
— Je n’ai pas faim, bredouilla-t-il.
— Monte dans ta chambre. Tu trouveras ta part. Il faut la finir avant de dormir. Demain, je vérifierai que tu n’as rien laissé dans ton assiette.
Akli s’exécuta en souriant, car depuis longtemps, lui semblait-il, il n’avait pas vu sa mère aussi rayonnante. Il avait tellement faim qu’il dévora toute la viande grillée et ne laissa qu’un petit os dans l’assiette. Avant de s’endormir il repensa à Babouh. Tantôt il l’imaginait en train de parcourir les bois si profondément obscurs que nul autre homme à part lui ne devait traverser, tantôt il le voyait couper à la hache les branches qui entravaient sa progression. Et il se disait que les chemins que Babouh empruntait, ressemblaient au monde qu’il lui fallait découvrir. Pourtant, il avait beau fouiller en pensée l’épaisseur des troncs, il ne distinguait que le dos de son ami et l’éclat grisonnant de sa hache qui s’imbriquaient avec le reste de sa vision. Alors une émotion le saisissait, pareille à un malaise passager, et il s’élançait avec Rex à travers le jardin, se réconfortant de croire qu’ils étaient l’un et l’autre mus par un désir de gambade et de légèreté.
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