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Citation de NoureddineTAS


Du plus loin que je m’en souvienne, durant toute mon adolescence, j’ai essayé de reconstituer une image de l’Algérie. La seule certitude que j’avais était que ce pays m’échappait toujours. Il m’échappe encore aujourd’hui, mais j’ai cessé de vouloir en connaître les raisons. Tout pays n’est-il pas une idée flottante, un ensemble de connaissances qui s’enfuient dès que l’on voudrait les rassembler en un bouquet ? Tout fluctue, même la représentation que l’on se fait des lieux où l’on a vu le jour.

Quand j’assistais aux cours d’Histoire, j’écoutais attentivement mes professeurs, pensant qu’eux seuls pourraient me délivrer cette vérité que je m’efforçais de saisir. Mais ils étaient aussi démunis que moi pour cerner l’Histoire de la vaste Algérie tantôt entre les mains des uns, tantôt des autres. Tout ce que je retins, c’est que le pays où j’habitais s’était constitué en strates, comme bien d’autres nations, à travers une mécanique implacable, où ce qui existait était renversé et remplacé par un système de valeurs complètement différent. Je voyais la matière historique par le petit bout de la lorgnette.

Ce que j’observais du haut de mes quinze ans, c’était que l’Histoire algérienne s’écrivait presque avec les mêmes lettres ; elle était violentée, prise en main par de nouveaux conquérants, contrainte de se plier à d’autres mœurs. C’était la logique d’une civilisation dominante qui en chassait une autre.

Malgré tout, quelque chose résistait et c’était cette chose-là qu’il m’importait de saisir, cette permanence qui m’intéressait en dépit des accumulations.
Qu’est-ce que les Grecs avaient laissé ? Les Phéniciens ? Les Romains ? Les Vandales ? Les Byzantins ? Les Arabes ? Les Espagnols ? Les Turcs et plus tard les Français ? Qu’est-ce qui est resté immuable depuis le temps où les premiers Berbères respiraient sous le soleil de la Numidie ? J’aurais eu besoin de répondre à toutes ces questions, pour savoir d’où je venais, qui j’étais, et sans doute où j’allais et où iraient un jour mes propres enfants avec cet immense patrimoine qu’on m’avait légué et que je devais transmettre sans trop savoir comment ni avec quels mots.

Mes oncles avaient grandi en apprenant l’Histoire de France. Ainsi avaient-ils les mêmes ancêtres que Charles de Gaulle. C’était un sujet de plaisanterie entre eux, comme si le Roi Soleil ou Napoléon portaient une gandoura et traversaient les territoires convoités à dos de chameau. Nous assistions à une farce lointaine et incompréhensible jouée par des puissants qui portaient des noms exotiques. Nous avions à nous incorporer à cette risible comédie, aux côtés des personnages du musée Grévin.

Mais nous avions d’autres ancêtres. Nous le savions tous. Massinissa, Jugurtha et tous les Numides qui eurent à œuvrer en faveur de ces terres dites barbares. Les rebelles surtout comme Takfarinas à qui nous nous identifiions le plus. Nous leur attribuions sur notre frise personnelle une place de choix. Nous leur redonnions leur rôle essentiel, certains que leur inexistence eût changé le cours du monde.

Moi aussi, je revisitais l’Histoire à ma fantaisie, m’appropriant certaines figures, en écartant d’autres. Mais ce que je ne voulais pas m’avouer à travers mes remaniements historiques, mes manipulations romanesques, c’était que j’étais d’abord en quête de ces héros qui avaient fait l’histoire des Berbères et que l’on avait condamnés au silence de l’ombre.

C’était eux, mes vrais héros, eux que je cherchais, eux dont j’avais besoin pour me dresser comme un arbre sur cette terre où le hasard m’avait placé et auquel je m’accrochais. J’ai grandi au sein de toutes ces contradictions, porté ou peut-être desservi par toutes ces strates.
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