Il se représenta, couvertes de sa petite écriture sobre, les pages de son rapport sur la table de Gololobov parmi bien d'autres pages semblables, venant d'autres villages. On les réunirait, elles formeraient un tout qui serait envoyé à Kichinev. Là-bas, d'autres les liraient, les examineraient, sauraient comment s'était passée dans toute la Moldavie cette nuit de juillet 1949. Et à leur tour, ils rédigeraient un papier où le village de Pyrlitsa serait juste mentionné ou même ne figurerait pas. Et ce papier circulerait à son tour jusqu'au moment où il parviendrait à la plus haute instance. Il y arriverait avec d'autres rapports qui relateraient ce qu'on peut dire ou ne pas dire dans les journaux, la construction d'un haut fourneau, ou le creusement d'un nouveau canal, les désaccords entre savants, et bien d'autres choses encore. Et dans tout cet afflux, leurs rapports à eux n'auraient sans doute plus l'importance, le poids qu'ils avaient à leurs yeux au moment où, revêtus de plusieurs signatures, ils étaient enfermés dans de grandes enveloppes cachetées. (p. 128-129)
Quant à lui, Baouline, il était fatigué, il avait faim, et il lui répugnait de faire ainsi irruption chez les autres, de les tirer hors du lit. Ce qu'étaient ces gens, après tout il s'en foutait. Pourquoi devraient-ils occuper ses pensées ? Le concierge de l'église... ou le bonhomme d'ici... Bien sûr, rien ne se fait sans raison... Cette femme au regard vide, sait-on ce qu'elle a en tête ? D'ailleurs, sait-on jamais ce que les autres ont en tête ? (p. 72)