Tolstoï a connu un bonheur, que Tchékhov a sans doute ignoré ; la plénitude lui fut toujours refusée. Sans cesse il chercha quelque chose qui ne se trouve pas sur cette terre; il eut toujours peur de s'abandonner complètement à la joie et à la douleur.Tout autre était Tolstoï ; son organisation puissante, son tempérament de fer décuplaient la souffrance, mais aussi la jouissance.Mais ce que l'homme, Tolstoï, aimait ,l'écrivain le refusait à autrui; il enseignait que l'homme n'a besoin ni de terre, ni d'espace, ni de liberté, ni d'amour humain pour retrouver son âme, que, par dessus tout, il ne doit rien désirer. Et Tchékhov, vieillissant, poitrinaire, qui possédait si peu de chose en ce monde, protestait , timidement d'abord, puis avec violence :
" C'est le mort qui n'a besoin de rien. Au vivant, il faut tout, toute la terre...Dieu a créé l'homme pour qu'il soit vivant, pour qu'il connaisse la joie et l'angoisse, et le malheur...Et tu ne désires rien, tu n'es pas vivant, tu es une pierre..." (" En exil ")