Apprendre que son mari était mort et qu’il y avait une autre femme dans sa vie. Deux mois plus tard, elle ne sait plus laquelle de ces deux nouvelles avait été la plus terrifiante. Pierre était mort. Pierre faisait l’amour à d’autres femmes. Depuis huit longues semaines, elle jongle avec ces deux vérités. Elle porte en elle comme un virus la mort de son mari infidèle. Chacune des cellules de son corps en est infectée. Petit à petit, son être se dérègle, se déglingue de partout. Elle ne mange plus, ne se lave plus et laisse son mal la ronger jusqu’à la moelle.
Se cacher derrière une surface blindée. Voir sans être vue. Toujours et encore, se méfier, avoir peur de l’autre, de son emprise, de sa violence. Maniaques, pervers, manipulateurs, voleurs. Partout, des êtres démoniaques se faufilent dans les couloirs du métro, les corridors des parkings souterrains et dans les cages d’escalier des immeubles. La peur de la bête, avec ses yeux fous, sa mâchoire protubérante et son souffle court.
Tout allait si bien avant ce stupide accident de moto. Une vie teintée de rose et sentant bon la lavande. Une vie comparable à celle des gens dans les pubs à la télé. La bulle de savon a éclaté. Tout est devenu moche et gris.
Un rorqual bleu. Le plus gros être vivant de la Terre. Ses tonnes de chair et de graisse glissent avec souplesse et élégance à la surface de l’eau. La baleine fonce dans un banc de krills, la gueule ouverte et la gorge distendue. Ses fanons filtrent des dizaines de milliers de litres d’eau.
Chaque jour, pour se nourrir, il lui faut engloutir quatre tonnes de zooplancton. L’infiniment petit nécessaire à l’immensément grand. Chaque petite particule fait partie intégrante de l’univers et lui est utile.
C’est un homme peu bavard, heureux là où il est, dans son village natal. En général, les gens qui le côtoient le trouvent froid, parfois même antipathique. Mais sa brusquerie n’a jamais effrayé Alix. Elle connaît la grande sensibilité que protège la carapace de son ami. Fred n’a rien à faire des codes de convenance et la vie en société est pour lui un véritable supplice. Très peu d’humains trouvent grâce à ses yeux, mais une fois qu’il accorde sa confiance et son amitié, sa fidélité est infaillible.
Pierre mentait et bandait comme on respire. Une vérité inéluctable. Un poison qui se répand en elle et contre lequel il n’existe, croit-elle, aucun antidote.
Les sixties. Elle regrette parfois d’être née avec quelques années de retard sur cette époque. Les interminables voyages à bord d’une caravane, la route 66, les virées en Inde et au Mexique, la vie en communauté, l’amour libre, le psychédélique. Une époque où la liberté primait sur tout le reste. Rien à voir avec le monde actuel : chômage, sida, pollution.
On ne se respecte pas entre humains, alors comment voulez-vous que l’on respecte les autres espèces ? On tue pour faire des bracelets en ivoire, des manteaux de fourrure et des cendriers avec des pattes de gorille. Et ces stupides trophées de chasse qu’on accroche fièrement aux murs du salon comme des œuvres d’art !
Afin de survivre à l’hiver, saison des amours, elles doivent se constituer une confortable couche de graisse. Pour les apercevoir, il faut se montrer patient. Le miracle ne se produit pas à tous les coups. Les baleines font ce qu’elles ont à faire sans se soucier de leurs admirateurs terrestres.
Le sommeil s’avance de trois pas, puis recule de deux.Sarah dort et s’éveille sans cesse. Il est presque trois heures du matin. Son horloge biologique est déréglée. Ses yeux sont grands ouverts, mais il n’y a plus rien à voir. La nuit est toujours là, plus silencieuse que jamais.