Lauréate 20187 de "Femmes en vue".
Toutes vos vies la complexité de votre temps
des luttes qui furent et sont des signes
de votre appartenance à cette ligne
à des idées et des liens
à des drames, à la finitude
des envolées.
Préférer vous voir vous sourire vous égarer
de telle sorte de quelques pas
vous rendre à même à votre liberté
à vos désirs d'autres
aux obscurités à ce qui nous délie
mais plus encore vous attendre
vous revoir en août mois taillé dans un réel
de chanvre et de bords d'océans.
Si parfois il vous arrive à l'avenir de chercher
après avoir cru perdre vous trouverez
à scruter le ruban bleu marin ce qui attise ma patience
et mon désir, les mêmes.
(extrait de "Poème de trait") - p. 179
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Extrait 5
« Mais comment ça commence » ?
Une reconstruction impossible pourquoi l’inventer ?
Il n’en demeure pas moins – qu’à retourner dans et
entre, dans la disparition des lignes, l’assèchement
de la durée explorant ce jeu de mémoire enfermée
une scansion sourde va et bat, continue de battre,
continue d’aller.
(...)
Lire l’ombre …
Lire l’ombre
profile la page de gauche sur la page de droite
Et tout ce blanc
non verbal de l’infini
réel à boire et à manger
repentir de l’ongle repoussant l’ancien
Relire à la lettre
la salinité liminale d’un point sur la langue
À la place de la langue
le nouveau monde d’un embarrassant profit ;
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Extrait 1
Face au vent déchaîné l’auteur marche.
Il se protège la tête avec le rabat de son pardessus.
À le regarder passer sur la grève, ceux qui l’aperçoi-
vent visage enfoui chercheront peut-être à savoir
s’il est quelqu’un qui redoute une agression humaine
ou bien le mauvais temps.
À moins que le témoin de sa silhouette longeant le
rivage ne se demande s’il cache ainsi une disgrâce
physique dont la teneur des quolibets qu’il endure
n’est décidément rien en comparaison de la honte
qu’il en éprouve, et le prive de tout.
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Extrait 3
Ce qui a eu lieu, à cet endroit.
Les ordres, le froid, les cadences, la rigueur
du commandement.
L’obscène récitation des possibles.
Quelque mois avant la perte de ses documents,
l’auteur avait eu pour projet d’en garder la trace.
Le relevé fut brutalement interrompu par un
dommage. Un jour de grand déplacement d’objets,
il devait retrouver son carnet de travail inachevé.
En cela, le réel fait.
Il concasse aussi.
Je regarde
extrait 2
Ce matin mon ami le danser
présente the Letter
son corps parle de la chorégraphie
à venir face à l'océan
je l'écoute et retourne sur le chemin
fixer la passe noter les noms de la stèle
la beauté du paysage le chien
à poil roux qui aboie fait le fou attrape le bâton
à qui je demande : comment tu t'appelles ?
dans les battues du vent.
Sur le retour nous reverrons le calvaire
de granite le jaune des lichens
mon croquis n'est pas terrible je le anse
quand même.
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Extrait 4
Le carnet n’est pas bleu.
Les notes ne donnent rien de tangible du matériau d’origine.
Devant ce fatras, il repense à un texte de la cinéaste Anne-Marie
Miéville, intitulé « Faire un film ». Elle y évoque Mon cher sujet,
moyen métrage de 96’ réalisé en 1988. Elle pose la question
« Pour Mon cher sujet par exemple je me demande "mais
comment ça commence ?" »
Il se laisse glisser. Dedans. Tout ce qu’elle avait écrit en
quelques pages lui donnait du courage. Tous ses films aussi.
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Extrait 2
À marée montant, le blockhaus est noyé.
Dans sa sacoche, il y a des feuillets d’une
histoire datée.
Il y a aussi au départ du chemin d’accès un
panneau qui montre la décision prise par les
Allemands en 1942 du mur de l’Atlantique.
On imagine le cordon dunaire, le bulldozer,
la pelle à câbles, les wagonnets. Les trémies
filtrantes, les silos. Le mot péripétie arrive
dans ta langue par un autre biais. Il ne t’a pas
échappé. Il germe déjà.
Je regarde
extrait 1
Je regarde
je regarde longtemps
le chenal s'ouvrir
en coude par une digue
et sur la droite
une anse dessiner la terre.
C'est le bon moment pour le verbe anser d'exister
dans ma langue
d'en décrire le geste qui donne
prise si l'on veut.
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