Quel est ce visage entraperçu dans la rue ? Quelle est cette musique qui nous touche mais que nous ne savons reconnaître ? Quel est ce vol d'oiseaux, ce rire d'enfant dissimulé à notre vue, cette place familière découverte dans une ville inconnue ? Quelles sont ces impressions, ces réminiscences qui remontent jusqu'à notre esprit et nous plongent dans un étrange étonnement ?
La lecture de Bras vif d'Isabelle Garron est tout ça. Des poèmes égarés, sans liens précis entre eux (autres temps, autres lieux), des mots et des paragraphes séparés par des espaces, répartis sur la page blanche, sans ponctuation, comme livrés à eux-mêmes. Ce rythme assez informel, sans véritable structure et d'unité déconcerte un peu. Mais dans cette écriture particulière, quelque chose affleure pourtant à notre conscience, quelque chose qui reste dans le non-dit, qui ne peut s'exprimer tout à fait, mais qui secrètement nous touche, nous émeut.
Il faut aller vers cette part imperceptible de l'expression, aller dans l'écoute pour (re)connaître l'intention de l'auteur, s'approcher un peu plus de la source du poème...
Certains textes du recueil se sont ouverts plus que d'autres, mais j'ai découvert dans l'écriture d'Isabelle Garron une sensibilité, un regard où la réalité se livre autrement, se fait onirique, nostalgique, lointaine.
L'anecdote, le souvenir servent à décrire une beauté subtile, comme logée dans les replis de la réalité. Ce peut-être un visage, un livre lu, une chanson écoutée, une rue parcourue, une fenêtre ouverte sur la ville, une guerre lointaine,…
L'écriture, comme le dernier geste pour donner encore du sens aux choses, aux êtres, à l'existence. Dans une réalité devenue inaudible, c'est peut-être le propos essentiel et beau de ce recueil d'Isabelle Garron.
" Qui a sédimenté un travail pratique incessant,
par-delà les flous de conscience et
ceux laiteux de la mémoire. Ainsi le livre travaille.
Le sentiment travaille. La vie travaille.
Le chemin parcouru travaille, - et bien sûr
toutes ces heures à tenter de retirer
du jeu la baguette de bois sans faire
s'écrouler l'édifice entier.
J'aimerais beaucoup. "
(extrait de "Poème de traiter") - p. 181
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