J'avais laissé mon enfance en suspens. J'étais partie depuis presque trente ans, et je n'avais pas imaginé que ces années s'étaient écoulées ici aussi, pas compris réellement à quel point elles s'étaient égrenées sur chacun: je revenais en enfant retrouver mon enfance, chaque chose à sa place, incapable de concevoir que le miracle tant attendu du sauvetage n'ait pas eu lieu, pas surprise si j'avais retrouvé mes grands-parents sur leur balancelle me racontant leur rencontre, leur amour, leurs parents, pas plus surprise si j'avais vu Marie et son soldat assis sur le banc de la place. A la façon des fantômes de mes fillettes, j'étais restée petite; une partie de moi disons, car évidemment j'ai bien vu les sillons se creuser sur mes joues, le brun de mes cheveux virer couleur argent.