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EAN : 9782383110026
200 pages
Les Avrils (04/01/2023)
3.79/5   35 notes
Résumé :
Des champs sauvages, trois fermes, une école à classe unique à l’ombre d’un orphelinat abandonné. Au village, on dit que toutes ses pensionnaires y sont mortes d’un coup, fauchées par la grippe espagnole au lendemain de la Grande Guerre. On ne sait rien de plus.
Une enfant refuse l’oubli. Les orphelines sont ses fées. Alors, quand des promoteurs débarquent pour construire un lotissement à l’endroit de leurs tombes, elle promet de revenir, adulte et conquéran... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Avec ce titre attractif, on est tenté de faire le voyage. Au coeur d'une région française, où une usine faisait vivre toute une population, dans un petit village, Pauline nous raconte ses obsessions enfantines. L'orphelinat déserté suscite maintes questions, pas toujours élucidées, laissant le champ libre à des constructions imaginaires. Il semble certain cependant, que les fillettes qui ont vécu derrière ces murs encore visibles ont été décimées par l'épidémie de grippe espagnole du début du vingtième siècle.
Tout aussi légendaire pour la population locale, le château que Pauline s'est juré de posséder un jour.
Les recherches sur le destin des fillettes qui hantent l'esprit de Pauline sont autant de portes ouvertes sur ses propres origines, et en particulier sur son ascendance espagnole, funeste coïncidence en regard de l'intitulé de la maladie qui a fauché tant de vie.

Nostalgie d'un temps passé, conscience du temps qui passe et détruit toutes illusions d'éternité, souvenirs d'enfance fracassés sur les velléités de modernité d'un décor, le récit est assez sombre, malgré la volonté de rendre compte de l'état d'esprit d'une petite fille rêveuse.


Tout cela constitue un terreau fertile et un noyau intéressant pour dresser une intrigue attractive. Cependant, on se noie un peu dans les digressions, on peut s'agacer de nombreuses répétitions qui ne semblent pas destinées à insuffler une forme poétique au récit. Je m'y suis perdue en route et je l'ai beaucoup regretté.

208 pages Les avrils 4 janvier 2023

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Voici un premier roman qui est une véritable invitation au voyage alors même que nous allons rester en France et nous rendre dans un petit village dans les hauteurs du pays Lyonnais. Cette promenade à Sorcelin, de son vrai nom Saint Sorlin, sera l'occasion de nous plonger dans les souvenirs d'enfant et les lieux où l'imagination de l'auteure n'a pas eu de limites.

Du haut de la colline, le village est surplombé par un orphelinat de jeunes filles abandonnées depuis l'épidémie de grippe espagnole au début du XXème siècle. de la plume très poétique et visuelle d'Isabelle Rodriguez, vont alors revivre comme par magie ces orphelines du Mont Luciole auxquelles notre narratrice s'est attachée au fil des années.

Isabelle Rodriguez, par l'écriture de ce roman aborde avec une grande sensibilité la question de la mémoire pour que les jeunes orphelines et que les habitants de cette zone rurale ne soient pas oubliés malgré l'exode rural des campagnes françaises.
J'ai trouvé très intéressant d'introduire cela grâce aux souvenirs transmis par les différentes générations que la narratrice a pu côtoyer dans sa jeunesse.

Je tiens à remercier les Avrils et Netgalley France pour m'avoir permis de lire un ouvrage très beau et touchant qui rappelle à quel point il est important de laisser une place encore importante à l'imagination dans sa vie pour continuer à rêver une fois arrivé l'âge adulte...
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Vie et mort des orphelines

Dans un premier roman qui s'apparente à une quête identitaire, Isabelle Rodriguez revient dans les monts du Lyonnais de son enfance et essaie de sauver la mémoire des orphelines qu'elle croisait alors et qui furent toutes emportées en quelques jours.

Pour raconter son histoire, et celle de sa famille, la narratrice nous parle d'abord d'architecture. de ces bâtiments qui entourent la maison familiale plantée sur les monts du Lyonnais, à commencer par la grande bâtisse au sommet de la colline, l'orphelinat du mont Luciole. En fait, c'est bien plus qu'un bâtiment voué à la démolition. C'est le lieu de toutes les histoires, de tous les fantasmes aussi. Un endroit où étaient rassemblées toutes les orphelines de la région. Jusqu'à ce que la grippe espagnole, au lendemain de la Première Guerre mondiale, ne les tuent toutes, foudroyées en quelques jours avec les religieuses qui les gardaient. Après les avoir toutes enterrées, on a muré les portes d'accès, fermé ce grand bâtiment vide.
Non loin de là se dresse le château des Enjoleras. C'est là qu'une riche famille d'origine espagnole venait passer les étés et qu'elle a remarqué Marie. Sa beauté lui aura permis à la grand-mère de la narratrice de franchir la porte de cette belle demeure, puis d'accompagner ses occupants à la mer. Aujourd'hui racheté par un promoteur du coin, la propriété a été divisée en dizaines de parcelles sur lesquelles des maisons à crépi rose et tuiles romaines ont été construites «parce que les Lyonnais à la campagne aiment rêver de Provence».
C'est face à la disparition de ses souvenirs, mais aussi d'un patrimoine qu'il faut désormais se battre, car il y a encore tant à dire, tant à raconter.
Par exemple son combat pour son identité. Quand ses camarades de classe lui reprochent son patronyme espagnol «dans lequel résonne celui de la grande tueuse», alors elle s'érige en protectrice des orphelines, va rechercher leurs traces. Mais, tout comme celles de ces ouvrières qui oeuvraient dans les soieries et contribué à la prospérité de la région, elle ne recueille guère que quelques témoignages. Quand elle découvre le cimetière où ont été ensevelies les orphelines, elle va convaincre une amie de l'accompagner jusqu'à cet autre lieu, lui aussi voué à l'abandon.
Tout le roman est construit sur ces doubles pôles, celui familial avec les ancêtres canuts et historique avec la chronique des orphelines. Les deux trajectoires se rejoignant dans cette envie de préserver leur mémoire respective, de sauver les dernières traces, de ne pas tirer un trait sur ce passé désormais en voie de disparition. le style vient épouser cette quête, se parant de la poésie propre à l'enfance. Une langue qui s'appuie sur les odeurs et les couleurs, une musique qui laisse toute sa place à la sensualité. Vous l0aurez compris, ce premier roman est riche de belles espérances.



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Gros village dans les monts du lyonnais, adossé à un énorme bâtiment qui abrita autrefois un orphelinat de filles toutes emportées par la grippe espagnole en 1919, Sorcelin végète en ce début des années quatre-vingt.
Descendante d'immigrés espagnols de très longue date, la très jeune narratrice évoque son enfance dans ce village où elle demeure encore une étrangère et surtout sa fascination pour les pensionnaires disparues de l'orphelinat. Touchée par leur destin tragique, elle imagine leur vie quotidienne et aspire à connaître les conditions de leur disparition mais l'histoire locale préfère oublier cet épisode. Et quand elle revient trente ans plus tard dans cette vallée livrée aux bétonneurs, elle n'a rien oublié de ses fantômes et comprend qu'elle avait juste laissé son enfance en suspens.
Porté par une écriture sensible et touchante, éclairé par un style original et très élégant, ce premier et troublant roman d'Isabelle Rodriguez évolue entre nostalgie d'une époque et d'un lieu et rêverie d'une gosse solitaire envoûtée par le drame des orphelines.
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Un peu de chauvinisme local en ce mardi conseil de janvier 2023!

On met en avant un roman de cette rentrée de janvier un beau premier roman qui se déroule dans les Monts du Lyonnais et qui rend magnifiquement hommage à cette région, à la splendeur de ses campagnes et à sa culture ouvrière.

Une petite fille grandit dans un village Sorcelin (qui n'est autre que Saint Sorlin qu'elle a rebaptisé) qu'elle adore.
Elle est notamment fascinée par cet orphelinat abandonné qui a vraiment existé, et où sont mortes des jeunes filles de la grippe espagnole après la guerre.
Elle va les chérir, leur parler, s'occuper de leurs tombes.Sa famille est issue de canuts, elle déroule le fil de leur histoire.
Plus tard elle reviendra dans le village et assistera à sa modernisation et sa transformation.
Elle fera tout pour conserver des traces de ce qu'il a été .
Porté par une écriture élégante et sensible, entre douce rêverie et une pointe de nostalgie non passéiste, Isabelle Rdoriguez, plasticienne de profession (cela se sent!) livre avec Les orphelines du Mont Luciole un récit singulier sur l'enfance, la construction de l'imaginaire, la préservation des traces, les origines .
C'est en même temps une supplique pour que les mémoires de nos campagnes ne s'effacent jamais.
Un très beau livre que les lyonnais et même les autres seront ravis de découvrir!
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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critiques presse (3)
LeMonde
03 mars 2023
A chaque page des Orphelines du mont Luciole, le lecteur n’a qu’une envie : jeter un œil sur un plan pour localiser cette colline du Lyonnais, et le village où se déroule l’intrigue, Sorcelin, devenu « la banlieue chic de Morneré », comme précisé à la fin.
Lire la critique sur le site : LeMonde
SudOuestPresse
16 février 2023
Isabelle Rodriguez s’intéresse à tout ce qui, dans une histoire, devient légende. Elle redonne ainsi du sens et de l’âme à ce village endormi que la guerre, autrefois, a meurtri
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
LeFigaro
19 janvier 2023
Dans quelle langue parlent les somnambules ? Isabelle Rodriguez semble avoir écrit son premier roman sous la dictée du rêve.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Dans la cour de l’école, l’ombre déployée depuis l’arrière de l’orphelinat nous parvient en flaques mouvantes. La cour, l’étroite route nouvellement goudronnée devant, les champs autour ; notre village se dissout dans ce contre-jour, se noie au sein de cette pénombre stagnante jusqu’au cœur des étés. Tous logés à la même enseigne, paysages et habitants, tous plongés dans l’ombre de la gigantesque bâtisse, à l’exception singulière du château blanc posé un peu plus haut sur la colline et qui est la plus belle chose que j’ai jamais vue.
L’orphelinat est un bâtiment aux portes murées, aux volets clos et condamnés, campé haut sur ses jambes devant nous ; une large enceinte qui empêche de voir au loin, qui nous empêche d’être vus, nous protège des regards, du vent, des tempêtes, à moins que ses murs de terre ne soient pas capables de résister plus longtemps et finissent par s’écrouler en nous entraînant dans leur chute.
On dit que la bâtisse est fragile, qu’il faudrait la détruire, qu’elle s’effondrait déjà sur ses propres fondations pendant qu’on la construisait, que des hommes étaient morts sur le chantier, sous les éboulements de pisé ; trois morts, avant même d’avoir réussi à faire sortir de terre l’immense édifice, chez nous, dans notre campagne esseulée au milieu de nulle part, avant que n’ait surgi, sur les pentes du mont Luciole, cette maison friable dont une toute jeune fille avait eu la vision à un siècle et demi de nous; friable mais colossale, capable de recueillir toutes les orphelines de la région, assez grande pour les accueillir toutes, vision devenue maison, devenue congrégation dont le fief serait Sorcelin.
Une toute jeune fille née dans les environs, au hameau du Leu, s’était obstinée et l’on avait malaxé la terre des monts du Lyonnais pour fabriquer un pensionnat. La jeune mousselinière avait vu en songe notre colline et voilà que, depuis, s’élève devant nous un bâtiment immense, sa peau d’argile étirée comme une peau de
tambour prête à craquer sous les excroissances de la façade, encore un étage, encore un flanc, la carcasse dilatée jusqu’au fragile, et cette faiblesse affleure sans fin derrière la silhouette massive, dans les plaies du crépi et des murs, derrière les aspérités des bois mangés par le temps. On peut le penser posé là, sans racines ; il est fragile, mais tenace, malgré l’abandon, les décennies de délaissement, malgré l’attente, malgré l’oubli. Ni château, ni immeuble, ni maison bourgeoise, maison de bourg, ferme ou exploitation agricole, plus volumineux que tous les corps des bâtis autour et aussi grand qu’un château pourrait l’être, cent fois plus grand et même plus que le château blanc posé plus haut sur le mont, le trapu et gracile orphelinat pour filles de Sorcelin est un ouvrage singulier, orné d’élégances timides, quelques lucarnes rondes, quelques chiens-assis, des tuiles poinçons aux faîtages des toits à quatre pentes, un clocher élancé, des lambrequins dentelés qui habillent les rives. Mais la construction reste austère derrière ces affèteries, s’entête dans une rigueur rude, appliquée, en dépit de sa ruine ; son ombre garde un sérieux consciencieux quand elle vient caresser les branches de nos platanes, reste sérieuse jusque dans ses caresses.
Au-devant de notre si petit village, le pensionnat désaffecté, écran pare-feu ou enceinte tronquée, grand-voile tourmentée mais résistante, disperse les contours de sa large silhouette, joue à définir ou à flouter les périmètres de notre monde, ce mont Luciole sur lequel jamais ne se résorbe tout à fait la nuit de pierre et de pisé projetée par le volume de l’édifice clos.
Seul le château blanc échappe à la loi ténébreuse. Grand accroc de lumière sur le tissu morose de nos forêts, sa façade a toujours le soleil en plein. La pénombre, c’est pour les autres, pour nous qui ne sommes pas châtelains, pour la cour de l’école, ses platanes, pour les ruelles du bourg, les jardins des pavillons. Ce n’est pas une ombre apaisante de Provence, de bords de mer à l’eau brillante, de cigales ou d’herbe brûlée, c’est une ombre paysanne, résignée, et, s’il me faut décrire le village de Sorcelin, je dis : c’est un village – trois fermes, quelques maisons d’artisans ou de bourg, une école à classe unique pour les dix enfants que nous sommes, une route, une église, un café pour les hommes, une poignée de pavillons en briques ou en parpaings –, un village lové dans les collines du Lyonnais, pas du côté des pierres dorées mais de celui des pierres brunes, avec un je-ne-sais-quoi d’intranquille, de renard endormi, lové dans l’ombre d’un orphelinat à la taille démesurée, massif et grêle, placé au premier plan, à l’endroit de la scène où tomberait le rideau lourd qui jamais ne s’ouvre sur aucun autre décor ; un village qui disparaît derrière un établissement construit il y a plus de cent cinquante ans et abandonné depuis, créé par la seule volonté d’une jeune fille des alentours.
Ici se dresse notre bâtisse faiseuse d’obscurité, ses alignements de fenêtres désormais closes, cinq ou même six étages superposés, des toits doubles encore, des dizaines de dortoirs, les portes murées, les couloirs vides, les lierres agrippés aux façades boursouflées sous leur joug. Elle se dresse là, on ne sait pas pourquoi ni comment, si loin de tout ; le gigantesque pensionnat nous propage sa nuit, sentence irrévoquée.
Les adultes osent parler de lui, dire qu’il faut le détruire, que c’est laid – ils disent cela, eux –, que ça ferait du terrain à bâtir – les promoteurs commencent leur prospection autour de Lyon. Dans la plaine, doucement, les routes s’élargissent, se goudronnent, on croise dessus des 4 × 4 qui rejoignent la ville, les grues assemblent de petits immeubles et des supermarchés –, ils parlent de l’abattre ; alors je leur jette des sorts, terribles. Je fais brûler des feuilles de laurier dont je viens déposer les cendres à leurs seuils, je récite d’infinies listes de malédictions, écrase des fleurs de millepertuis en des bouillies que je vais appliquer sur les murs effrités de mon orphelinat pour que tous restent à distance. Que celui qui s’approche à moins de un mètre soit pétrifié comme pierre, liquéfié comme mercure, soufflé comme poussière.
Car je l’aime, moi, cette nuit qui ne s’échappe jamais de nous, nous constitue, prend toute la place dans notre paysage. J’aime le réconfort des longs manteaux légers et froids dont elle nous vêt ; je reconnaîtrais sans erreur son parfum au milieu de mille autres. Aucune obscurité ne porte la même odeur, je saurais distinguer celle des platanes, acide, de celle du pisé, humide jusque dans les canicules, terreuse, et la nôtre par-dessus encore ; l’ombre emprunte à sa matrice quelque chose d’elle, et celle de l’orphelinat dépose sur nous le voile de ses silences, épand en nous une saveur aigre-douce d’insolubles mystères.
Le pensionnat est le roi de notre royaume, déployant face à nos regards sa large façade arrière, la plus sévère, la plus fermée, à la manière dont un chat boudeur aurait tourné le dos. Mais nous nous sommes apprivoisés lui et moi, et je lui laisse prendre avec joie toute la place qu’il a à prendre, concrète et impalpable, toute l’emprise au sol sur notre colline et toute la place dans les histoires que je me raconte, puis que je raconte aux autres, à l’école.
Dans la cour, les deux platanes projettent leur ombre sur la grande ombre originelle, elles se mêlent sur le gravier et les heures de récréation sont consacrées, entièrement, à l’histoire de la grande maison : il s’est passé quelque chose, quelque chose de terrible que nous ne savons pas ; moi j’invente, scénario après scénario : ça a été si terrible que les orphelines disparues sont revenues en fantômes, sont revenues hanter Sorcelin au point d’empêcher le jour d’y venir, au point de le plonger dans la nuit. L’ombre n’était pas aussi grande avant leur départ et je dis que cette ombre, que certains ne supportent plus, est la meilleure des preuves que leurs fantômes veillent, soucieuses. Je dis que cette ombre a été noircie par elles pour que l’on se souvienne, que l’on se souvienne pour toujours des filles qui ont disparu en laissant notre paysage à l’abandon, désolé, avec son orphelinat qui trône là, échoué comme un navire sur les côtes rugueuses d’une île désertée – si on me disait que nous sommes des naufragés, je le croirais sans doute.
Moins on se souviendra d’elles, plus l’ombre règnera. Elles sont revenues en fantômes, car elles sentent bien que nous les oublions, que nous ne cherchons pas à savoir ; elles refusent l’oubli que la destruction de leur maison finirait de sceller. Elles aussi nous ont jeté un sort : si le soleil arrivait sur notre village qui ne connaît pas cela, qui ne sait rien de cette étreinte, tout brûlerait, hommes et bêtes, maisons et prés. Et ce que je raconte, à force d’être raconté, entrera dans notre folklore et plus personne n’osera s’approcher du pensionnat ni n’osera le menacer.
Où iraient mes fantômes si leur ombre disparaissait ? Je peux les entendre elles-mêmes, mes orphelines, me dire tout cela. Elles ne dorment pas tranquilles, je sens leur inquiétude, leur façon de s’accrocher à notre village, de vouloir rester dans notre langage. Elles sont parties enfants ; je ne veux pas partir enfant. Je veux le temps de grandir, de faire, de fabriquer, de sauvegarder ; devenir adulte et acheter l’orphelinat. Je n’y ferai rien, je n’y habiterai pas, mais plus personne ne pourra le prendre au mont Luciole. Je ferai peut-être ôter les parpaings des fenêtres et des portes pour que le vent circule plus librement à travers lui, pour laisser passer un peu de lumière si je sens les filles rassurées – derrière l’orphelinat, nous avons le monde à nos pieds, qui s’étend comme la mer jusqu’aux silhouettes dentelées des Alpes. Je trouverai quelqu’un qui saura leur existence et expliquer pourquoi ce grand ciel lourd au-dessus de nous.
Je voudrais ne jamais partir d’ici. Je voudrais que rien ne
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Les autres portent des noms accrochés au village, l’une le nom du hameau sur la pente où se tiennent sa ferme et ses vergers, des arbres qui fabriquent les pommes débordantes de parfums dont on se souvient toujours après les avoir goûtées, d’autres s'appellent comme le sentier qui traverse les champs de maïs, un autre encore comme le lieu-dit au bord du ruisseau ; ils portent tous des noms que l'on retrouve gravés et peints sur l'obélisque de la place de l’église, mais pas moi. Mon nom n'est nulle part sur les cartes pour randonneurs, je porte un nom étranger, venu d’un pays qui a donné son nom à la maladie que les filles de l’orphelinat n’ont pas supportée, des filles venues d’un autre ailleurs que le mien, pas d'ici non plus. Je porte un nom dans lequel résonne celui de la grande tueuse, venu d’un pays que je ne connais pas, que je sais depuis si peu de temps situer à la surface du planisphère épinglé au mur du fond de la classe. p. 69
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Mille fois je viens, m’allonger sous les arches de ronces, et laisser le monde faire sa course, le laisser faire ses tours de soleil ou le soleil de faire son tour de nous, on nous dit un tour s’appelle révolution, on nous dit la guerre, peut-être une révolution ou la révolution devenir une guerre, mille fois je viens sous les ronces songer à cela, à ce qui nous gouverne et qui est invisible, qui me gouverne moi, le besoin de venir là, observer ce que les jours font mon corps, ce que les jours laissent naître et fleurir en moi, creusent comme absence et promesses, observer les échos du travail de ces jours au plus profond de ce qui est moi, et me fait, sans pour autant pouvoir mieux en saisir les contours.
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Le trapu et gracile orphelinat pour filles de Sorcelin est un ouvrage singulier, orné d'élégances timides, quelques lucarnes rondes, quelques chiens-assis, des tuiles poinçons aux faitages des toits à quatre pentes, un clocher élancé, des lambrequins dentelés qui habillent les rives. Mais la construction reste austère derrière ces affèteries, s'entête dans une rigueur rude, appliquée, en dépit de sa ruine; son ombre garde un sérieux consciencieux quand elle vient caresser les branches de nos platanes, reste sérieuse jusque dans ses caresses.
Au-devant de notre si petit village, le pensionnat désaf-fecté, écran pare-feu ou enceinte tronquée, grand-voile tourmentée mais résistante, disperse les contours de sa large silhouette, joue à définir ou à fouter les périmètres de notre monde, ce mont Luciole sur lequel jamais ne se résorbe tout à fait la nuit de pierre et de pisé projetée par le volume de l'édifice clos.
Seul le château blanc échappe à la loi ténébreuse.
Grand accroc de lumière sur le tissu morose de nos forêts, sa façade a toujours le soleil en plein. La pénombre, c'est pour les autres, pour nous qui ne sommes pas châtelains, pour la cour de l'école, ses platanes, pour les ruelles du bourg, les jardins des pavillons. Ce n'est pas une ombre apaisante de Provence, de bords de mer à l'eau brillante, de cigales ou d'herbe brûlée, c'est une ombre paysanne,...
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J'avais laissé mon enfance en suspens. J'étais partie depuis presque trente ans, et je n'avais pas imaginé que ces années s'étaient écoulées ici aussi, pas compris réellement à quel point elles s'étaient égrenées sur chacun: je revenais en enfant retrouver mon enfance, chaque chose à sa place, incapable de concevoir que le miracle tant attendu du sauvetage n'ait pas eu lieu, pas surprise si j'avais retrouvé mes grands-parents sur leur balancelle me racontant leur rencontre, leur amour, leurs parents, pas plus surprise si j'avais vu Marie et son soldat assis sur le banc de la place. A la façon des fantômes de mes fillettes, j'étais restée petite; une partie de moi disons, car évidemment j'ai bien vu les sillons se creuser sur mes joues, le brun de mes cheveux virer couleur argent.
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