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3.79/5 (sur 35 notes)

Nationalité : France
Né(e) : 1987
Biographie :

Après une Licence à la Sorbonne puis un Master d’arts plastiques à l’Université de Saint-Etienne, Isabelle Rodriguez s’engage dans un second cycle à l’école supérieure des beaux-arts de Nîmes où elle obtient un Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique en juin 2017 avec les félicitations du jury. Elle construit des récits qu’elle livre à l’oral, présentant des archives — photographies, films, actes d’états civils ou judiciaires — et racontant ses expéditions à travers l’Europe à la recherche des personnages oubliés de l’Histoire.
Elle choisit d’explorer plus en avant son rapport à l’écriture en intégrant le Master de Création Littéraire du Havre. "Les orphelines du Mont Luciole" est son premier roman.
Depuis quelques années, elle est retournée vivre près de Lyon et a choisi pour atelier une fabrique d’écrins désaffectée.
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Citations et extraits (6) Ajouter une citation
Les autres portent des noms accrochés au village, l’une le nom du hameau sur la pente où se tiennent sa ferme et ses vergers, des arbres qui fabriquent les pommes débordantes de parfums dont on se souvient toujours après les avoir goûtées, d’autres s'appellent comme le sentier qui traverse les champs de maïs, un autre encore comme le lieu-dit au bord du ruisseau ; ils portent tous des noms que l'on retrouve gravés et peints sur l'obélisque de la place de l’église, mais pas moi. Mon nom n'est nulle part sur les cartes pour randonneurs, je porte un nom étranger, venu d’un pays qui a donné son nom à la maladie que les filles de l’orphelinat n’ont pas supportée, des filles venues d’un autre ailleurs que le mien, pas d'ici non plus. Je porte un nom dans lequel résonne celui de la grande tueuse, venu d’un pays que je ne connais pas, que je sais depuis si peu de temps situer à la surface du planisphère épinglé au mur du fond de la classe. p. 69
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Mille fois je viens, m’allonger sous les arches de ronces, et laisser le monde faire sa course, le laisser faire ses tours de soleil ou le soleil de faire son tour de nous, on nous dit un tour s’appelle révolution, on nous dit la guerre, peut-être une révolution ou la révolution devenir une guerre, mille fois je viens sous les ronces songer à cela, à ce qui nous gouverne et qui est invisible, qui me gouverne moi, le besoin de venir là, observer ce que les jours font mon corps, ce que les jours laissent naître et fleurir en moi, creusent comme absence et promesses, observer les échos du travail de ces jours au plus profond de ce qui est moi, et me fait, sans pour autant pouvoir mieux en saisir les contours.
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(Les premières pages du livre)
Dans la cour de l’école, l’ombre déployée depuis l’arrière de l’orphelinat nous parvient en flaques mouvantes. La cour, l’étroite route nouvellement goudronnée devant, les champs autour ; notre village se dissout dans ce contre-jour, se noie au sein de cette pénombre stagnante jusqu’au cœur des étés. Tous logés à la même enseigne, paysages et habitants, tous plongés dans l’ombre de la gigantesque bâtisse, à l’exception singulière du château blanc posé un peu plus haut sur la colline et qui est la plus belle chose que j’ai jamais vue.
L’orphelinat est un bâtiment aux portes murées, aux volets clos et condamnés, campé haut sur ses jambes devant nous ; une large enceinte qui empêche de voir au loin, qui nous empêche d’être vus, nous protège des regards, du vent, des tempêtes, à moins que ses murs de terre ne soient pas capables de résister plus longtemps et finissent par s’écrouler en nous entraînant dans leur chute.
On dit que la bâtisse est fragile, qu’il faudrait la détruire, qu’elle s’effondrait déjà sur ses propres fondations pendant qu’on la construisait, que des hommes étaient morts sur le chantier, sous les éboulements de pisé ; trois morts, avant même d’avoir réussi à faire sortir de terre l’immense édifice, chez nous, dans notre campagne esseulée au milieu de nulle part, avant que n’ait surgi, sur les pentes du mont Luciole, cette maison friable dont une toute jeune fille avait eu la vision à un siècle et demi de nous; friable mais colossale, capable de recueillir toutes les orphelines de la région, assez grande pour les accueillir toutes, vision devenue maison, devenue congrégation dont le fief serait Sorcelin.
Une toute jeune fille née dans les environs, au hameau du Leu, s’était obstinée et l’on avait malaxé la terre des monts du Lyonnais pour fabriquer un pensionnat. La jeune mousselinière avait vu en songe notre colline et voilà que, depuis, s’élève devant nous un bâtiment immense, sa peau d’argile étirée comme une peau de
tambour prête à craquer sous les excroissances de la façade, encore un étage, encore un flanc, la carcasse dilatée jusqu’au fragile, et cette faiblesse affleure sans fin derrière la silhouette massive, dans les plaies du crépi et des murs, derrière les aspérités des bois mangés par le temps. On peut le penser posé là, sans racines ; il est fragile, mais tenace, malgré l’abandon, les décennies de délaissement, malgré l’attente, malgré l’oubli. Ni château, ni immeuble, ni maison bourgeoise, maison de bourg, ferme ou exploitation agricole, plus volumineux que tous les corps des bâtis autour et aussi grand qu’un château pourrait l’être, cent fois plus grand et même plus que le château blanc posé plus haut sur le mont, le trapu et gracile orphelinat pour filles de Sorcelin est un ouvrage singulier, orné d’élégances timides, quelques lucarnes rondes, quelques chiens-assis, des tuiles poinçons aux faîtages des toits à quatre pentes, un clocher élancé, des lambrequins dentelés qui habillent les rives. Mais la construction reste austère derrière ces affèteries, s’entête dans une rigueur rude, appliquée, en dépit de sa ruine ; son ombre garde un sérieux consciencieux quand elle vient caresser les branches de nos platanes, reste sérieuse jusque dans ses caresses.
Au-devant de notre si petit village, le pensionnat désaffecté, écran pare-feu ou enceinte tronquée, grand-voile tourmentée mais résistante, disperse les contours de sa large silhouette, joue à définir ou à flouter les périmètres de notre monde, ce mont Luciole sur lequel jamais ne se résorbe tout à fait la nuit de pierre et de pisé projetée par le volume de l’édifice clos.
Seul le château blanc échappe à la loi ténébreuse. Grand accroc de lumière sur le tissu morose de nos forêts, sa façade a toujours le soleil en plein. La pénombre, c’est pour les autres, pour nous qui ne sommes pas châtelains, pour la cour de l’école, ses platanes, pour les ruelles du bourg, les jardins des pavillons. Ce n’est pas une ombre apaisante de Provence, de bords de mer à l’eau brillante, de cigales ou d’herbe brûlée, c’est une ombre paysanne, résignée, et, s’il me faut décrire le village de Sorcelin, je dis : c’est un village – trois fermes, quelques maisons d’artisans ou de bourg, une école à classe unique pour les dix enfants que nous sommes, une route, une église, un café pour les hommes, une poignée de pavillons en briques ou en parpaings –, un village lové dans les collines du Lyonnais, pas du côté des pierres dorées mais de celui des pierres brunes, avec un je-ne-sais-quoi d’intranquille, de renard endormi, lové dans l’ombre d’un orphelinat à la taille démesurée, massif et grêle, placé au premier plan, à l’endroit de la scène où tomberait le rideau lourd qui jamais ne s’ouvre sur aucun autre décor ; un village qui disparaît derrière un établissement construit il y a plus de cent cinquante ans et abandonné depuis, créé par la seule volonté d’une jeune fille des alentours.
Ici se dresse notre bâtisse faiseuse d’obscurité, ses alignements de fenêtres désormais closes, cinq ou même six étages superposés, des toits doubles encore, des dizaines de dortoirs, les portes murées, les couloirs vides, les lierres agrippés aux façades boursouflées sous leur joug. Elle se dresse là, on ne sait pas pourquoi ni comment, si loin de tout ; le gigantesque pensionnat nous propage sa nuit, sentence irrévoquée.
Les adultes osent parler de lui, dire qu’il faut le détruire, que c’est laid – ils disent cela, eux –, que ça ferait du terrain à bâtir – les promoteurs commencent leur prospection autour de Lyon. Dans la plaine, doucement, les routes s’élargissent, se goudronnent, on croise dessus des 4 × 4 qui rejoignent la ville, les grues assemblent de petits immeubles et des supermarchés –, ils parlent de l’abattre ; alors je leur jette des sorts, terribles. Je fais brûler des feuilles de laurier dont je viens déposer les cendres à leurs seuils, je récite d’infinies listes de malédictions, écrase des fleurs de millepertuis en des bouillies que je vais appliquer sur les murs effrités de mon orphelinat pour que tous restent à distance. Que celui qui s’approche à moins de un mètre soit pétrifié comme pierre, liquéfié comme mercure, soufflé comme poussière.
Car je l’aime, moi, cette nuit qui ne s’échappe jamais de nous, nous constitue, prend toute la place dans notre paysage. J’aime le réconfort des longs manteaux légers et froids dont elle nous vêt ; je reconnaîtrais sans erreur son parfum au milieu de mille autres. Aucune obscurité ne porte la même odeur, je saurais distinguer celle des platanes, acide, de celle du pisé, humide jusque dans les canicules, terreuse, et la nôtre par-dessus encore ; l’ombre emprunte à sa matrice quelque chose d’elle, et celle de l’orphelinat dépose sur nous le voile de ses silences, épand en nous une saveur aigre-douce d’insolubles mystères.
Le pensionnat est le roi de notre royaume, déployant face à nos regards sa large façade arrière, la plus sévère, la plus fermée, à la manière dont un chat boudeur aurait tourné le dos. Mais nous nous sommes apprivoisés lui et moi, et je lui laisse prendre avec joie toute la place qu’il a à prendre, concrète et impalpable, toute l’emprise au sol sur notre colline et toute la place dans les histoires que je me raconte, puis que je raconte aux autres, à l’école.
Dans la cour, les deux platanes projettent leur ombre sur la grande ombre originelle, elles se mêlent sur le gravier et les heures de récréation sont consacrées, entièrement, à l’histoire de la grande maison : il s’est passé quelque chose, quelque chose de terrible que nous ne savons pas ; moi j’invente, scénario après scénario : ça a été si terrible que les orphelines disparues sont revenues en fantômes, sont revenues hanter Sorcelin au point d’empêcher le jour d’y venir, au point de le plonger dans la nuit. L’ombre n’était pas aussi grande avant leur départ et je dis que cette ombre, que certains ne supportent plus, est la meilleure des preuves que leurs fantômes veillent, soucieuses. Je dis que cette ombre a été noircie par elles pour que l’on se souvienne, que l’on se souvienne pour toujours des filles qui ont disparu en laissant notre paysage à l’abandon, désolé, avec son orphelinat qui trône là, échoué comme un navire sur les côtes rugueuses d’une île désertée – si on me disait que nous sommes des naufragés, je le croirais sans doute.
Moins on se souviendra d’elles, plus l’ombre règnera. Elles sont revenues en fantômes, car elles sentent bien que nous les oublions, que nous ne cherchons pas à savoir ; elles refusent l’oubli que la destruction de leur maison finirait de sceller. Elles aussi nous ont jeté un sort : si le soleil arrivait sur notre village qui ne connaît pas cela, qui ne sait rien de cette étreinte, tout brûlerait, hommes et bêtes, maisons et prés. Et ce que je raconte, à force d’être raconté, entrera dans notre folklore et plus personne n’osera s’approcher du pensionnat ni n’osera le menacer.
Où iraient mes fantômes si leur ombre disparaissait ? Je peux les entendre elles-mêmes, mes orphelines, me dire tout cela. Elles ne dorment pas tranquilles, je sens leur inquiétude, leur façon de s’accrocher à notre village, de vouloir rester dans notre langage. Elles sont parties enfants ; je ne veux pas partir enfant. Je veux le temps de grandir, de faire, de fabriquer, de sauvegarder ; devenir adulte et acheter l’orphelinat. Je n’y ferai rien, je n’y habiterai pas, mais plus personne ne pourra le prendre au mont Luciole. Je ferai peut-être ôter les parpaings des fenêtres et des portes pour que le vent circule plus librement à travers lui, pour laisser passer un peu de lumière si je sens les filles rassurées – derrière l’orphelinat, nous avons le monde à nos pieds, qui s’étend comme la mer jusqu’aux silhouettes dentelées des Alpes. Je trouverai quelqu’un qui saura leur existence et expliquer pourquoi ce grand ciel lourd au-dessus de nous.
Je voudrais ne jamais partir d’ici. Je voudrais que rien ne
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Le trapu et gracile orphelinat pour filles de Sorcelin est un ouvrage singulier, orné d'élégances timides, quelques lucarnes rondes, quelques chiens-assis, des tuiles poinçons aux faitages des toits à quatre pentes, un clocher élancé, des lambrequins dentelés qui habillent les rives. Mais la construction reste austère derrière ces affèteries, s'entête dans une rigueur rude, appliquée, en dépit de sa ruine; son ombre garde un sérieux consciencieux quand elle vient caresser les branches de nos platanes, reste sérieuse jusque dans ses caresses.
Au-devant de notre si petit village, le pensionnat désaf-fecté, écran pare-feu ou enceinte tronquée, grand-voile tourmentée mais résistante, disperse les contours de sa large silhouette, joue à définir ou à fouter les périmètres de notre monde, ce mont Luciole sur lequel jamais ne se résorbe tout à fait la nuit de pierre et de pisé projetée par le volume de l'édifice clos.
Seul le château blanc échappe à la loi ténébreuse.
Grand accroc de lumière sur le tissu morose de nos forêts, sa façade a toujours le soleil en plein. La pénombre, c'est pour les autres, pour nous qui ne sommes pas châtelains, pour la cour de l'école, ses platanes, pour les ruelles du bourg, les jardins des pavillons. Ce n'est pas une ombre apaisante de Provence, de bords de mer à l'eau brillante, de cigales ou d'herbe brûlée, c'est une ombre paysanne,...
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J'avais laissé mon enfance en suspens. J'étais partie depuis presque trente ans, et je n'avais pas imaginé que ces années s'étaient écoulées ici aussi, pas compris réellement à quel point elles s'étaient égrenées sur chacun: je revenais en enfant retrouver mon enfance, chaque chose à sa place, incapable de concevoir que le miracle tant attendu du sauvetage n'ait pas eu lieu, pas surprise si j'avais retrouvé mes grands-parents sur leur balancelle me racontant leur rencontre, leur amour, leurs parents, pas plus surprise si j'avais vu Marie et son soldat assis sur le banc de la place. A la façon des fantômes de mes fillettes, j'étais restée petite; une partie de moi disons, car évidemment j'ai bien vu les sillons se creuser sur mes joues, le brun de mes cheveux virer couleur argent.
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Le château des Enjoleras est passé dans d’autres mains, une fois de plus, ce qu’il restait de parc a été vendu en terrains à lotir, acheté par un promoteur du coin, un fils du pays comme on dit, un qui vend les prés pour que les riches Lyonnais viennent habiter ici, qui fait tomber les anciennes constructions pour en poser des neuves, à la provençale, parce que les Lyonnais à la campagne aiment rêver de Provence, tant pis pour les arbres noirs, on plante des lavandes.
Le parc que l’on disait classé, protégé, a été divisé en dizaines de parcelles sur lesquelles des maisons à crépi rose et tuiles romaines ont été construites. p. 55
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