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Biographie :

`Issâ Meyer est auteur et éditeur, fondateur des éditions Ribât.

https://twitter.com/IssaAbuZahra
https://www.facebook.com/people/Iss%C3%A2-Meyer/pfbid02DAPHagKxErh5paAHuHkeyfNufBJz37CPS4rbkhZVhNo8ukNWNrX7BSZabvja9NKGl/

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Présentation du livre par Thomas Sibille de la Librairie al-Bayyinah "Le Roman des Andalous" de Issâ Meyer aux Editions Ribât.


Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
Dès 1896, lors de la première visite de Theodor Herzl à Istanbul, le pieux sultan Abdülhamid II s’était montré très clair au sujet de l’offre sioniste de régler une partie de la – très lourde – dette extérieure ottomane en échange d’une charte permettant une immigration juive incontrôlée en Palestine :
“Je ne peux vendre ne serait-ce qu’un seul pouce de cette terre, car elle ne m’appartient pas à moi, mais à mon peuple. Mon peuple a gagné ces terres en les fertilisant de son sang ; et nous les couvrirons à nouveau de notre sang avant qu’elles ne puissent nous être arrachées. Les hommes de deux de mes régiments de Syrie et de Palestine se sont tous sacrifiés comme un seul homme à Plevna. Pas un seul d’entre eux n’a flanché ; ils ont tous donné leur vie sur ce champ de bataille. L’empire ottoman ne m’appartient pas à moi, mais au peuple ottoman. Je ne peux en céder une quelconque partie. Que les juifs épargnent leurs milliards. Quand mon empire sera démembré, ils pourront l’obtenir gratuitement ; mais seul notre cadavre sera divisé : je ne tolérerai pas sa dissection de notre vivant.”
Et en 1901, au terme d’une rencontre de deux heures avec Theodor Herzl, le sultan réitère son refus catégorique : al-Quds n’est pas à vendre. Sous la pression des notables musulmans de la ville sainte, qui sont alarmés par cet afflux massif de militants aux intentions hostiles et ne cessent d’envoyer des pétitions à ce sujet à Istanbul, des mesures préventives sont également prises contre la colonisation: limitation de l’immigration, refus d’accorder la citoyenneté ottomane aux activistes sionistes, restriction des possibilités d’achat de terres.
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'Issâ Meyer
Préface écrite par Issâ Meyer dans le livre « La Prédication de l’Islam » aux Éditions Héritage

Comment l’islam s’est-il propagé, depuis la péninsule arabique, jusqu’à atteindre les confins de trois continents, réunissant dans une intense fraternité de la foi les nations les plus éloignées par la langue, l’ethnie, les coutumes, la culture, la géo- graphie ou l’histoire? Comment a-t-il si profondément gagné le cœur de tant de nations autrefois chrétiennes, zoroastriennes ou païennes? Quelles ont été les méthodes employées par les missionnaires de la foi du Prophète, quels sont les éléments de cette dernière qui ont tant séduit les peuples, et quels sont les autres facteurs – socio-culturels, politiques, économiques, religieux – entrés en jeu dans cet extraordinaire phénomène historique ? Telles sont les questions auxquelles Thomas W. Arnold tente de répondre dans cet ouvrage, proposant ainsi ce qui est sans doute la première étude systématique et académique du sujet réalisée par un auteur occidental. Ce faisant, sans s’encombrer des préjugés en cours en son temps en Europe, il réfute magistralement la théorie de la « propagation par l’épée » – un lieu commun de la pensée historique chrétienne d’alors, tant il semblait inimaginable que «l’apostasie» de peuples chrétiens tout entiers ait pu se faire autrement qu’en leur proposant le choix mythologique entre l’islam et la mort.1 Rappelant la tolérance globale des pouvoirs musulmans, sans pour autant se placer dans un cadre apologétique et donc sans masquer les persécutions épisodiques – mais tout en prouvant qu’elles furent l’exception et non la règle – ni l’influence d’autres facteurs, notamment politiques, il égratigne au passage une théorie alternative, celle de la pression fiscale (jizya) comme élément explicatif des conversions de masse, et démêle les conquêtes militaires et la souveraineté politique des différents califats de ce qu’il nomme les «conquêtes spirituelles de l’islam» – la conversion des populations.

Sans nier l’existence ni l’influence de facteurs de conversion moins honorables, comme les intérêts et ambitions en tout genre, l’auteur décèle dans le succès de l’islam ce qu’il nomme «l’alliance du rationalisme et du ritualisme» – la conjonction d’une croyance à la fois brillante par sa simplicité et conforme à la Raison humaine, avec des rites, un mode de vie et une discipline qui, lorsqu’ils sont pleinement appliqués dans une communauté et conformes à l’esprit de l’islam, donnent une allure de majesté spirituelle aux sociétés islamiques et impriment le sentiment transcendant d’une supériorité morale de leurs membres. S’y ajoutent, au moins durant les siècles de l’âge d’or de la civilisation islamique, le pouvoir de séduction d’une culture raffinée et avant-gardiste, une certaine souplesse de l’islam dans son rapport aux différentes cultures, et naturellement – puisque c’est l’objet principal de cet ouvrage – le zèle missionnaire des musulmans, dont l’absence de clergé et de hiérarchie formelle permet d’insuffler en l’esprit de chaque croyant sincère un sens de la responsabilité individuelle en la matière, au point que d’aucuns ont pu affirmer que « chaque musulman est un prédicateur » ; l’on notera, à ce sujet, le rôle majeur des commerçants et marchands dans la propagation de l’islam, eux qui ont introduit pacifiquement la foi de Muhammad dans le sud de l’Inde, en Chine, en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est – notamment en Indonésie, qui est aujourd’hui le pays musulman le plus peuplé au monde, avec près de 230 millions de croyants.

Au-delà de l’intérêt historique majeur de cet ouvrage dans sa présentation juste et nuancée du sujet et sa volonté de défricher mythes et clichés, le lecteur musulman y trouvera aussi, en filigrane, nombre de leçons spirituelles de la première importance, parmi lesquelles cette phrase de l’auteur en guise de conclusion: «l’énergie spirituelle de l’islam n’est pas, comme on l’a si souvent affirmé, à la mesure de sa puissance politique.» De quoi, sans aucun doute, redonner du baume au cœur aux croyants à l’heure où l’impuissance politique et la division des nations musulmanes n’ont peut-être jamais été aussi prononcées : l’on méditera ainsi le déroulement du Plan divin à l’échelle de l’Histoire, et ces miracles certains que furent la victoire spirituelle des musulmans sur leurs conqué- rants et oppresseurs mongols ou, plus près de nous, l’expansion religieuse majeure de la foi du Prophète et le renouveau de la pensée islamique sous l’ère coloniale; même moribond sur le plan mondain, l’islam est toujours capable, par sa force intrinsèque, de captiver et d’éblouir les âmes. Un autre intérêt annexe, mais non négligeable, de cet ouvrage est de proposer un tour d’horizon quasi-exhaustif de toutes les diverses communautés qui composent notre merveilleuse Oumma, des Malais du Cap, en Afrique du Sud, aux Tatars de Sibérie, et des ‘Moros’ des Philippines aux Bosniaques, en passant par une myriade de peuples, d’ethnies et de tribus répartis aux quatre coins du globe – le fruit de treize siècles de dévouement à la cause de la Vérité d’innombrables croyants, du plus humble au plus puissant, qui l’ont transmise par la parole et l’exemple.

Enfin, cet ouvrage ayant été initialement publié en 1896, puis réédité dans une version mise à jour et améliorée – qui est celle ici traduite – en 1913, notons que cette histoire de la propagation de l’islam s’arrête au début du 20ème siècle. Si l’auteur avait connu notre époque, nul doute qu’il aurait trouvé matière à prolonger son œuvre : l’islam a en effet poursuivi son expansion à travers le monde à un rythme étonnamment soutenu – alors que les musulmans étaient en son temps, au nombre de deux cents millions, ils sont en effet aujourd’hui, peut-être, dix fois plus. Si la natalité et la croissance naturelle de la population ont évidemment joué une grande part dans cette expansion démographique impressionnante, l’on a aussi vu les conversions à l’islam – parfois, de peuples entiers – se multiplier sur tous les continents, tout au long du siècle dernier ainsi qu’au début du nôtre. Comme l’auteur de cet ouvrage l’avait bien entrevu et pressenti, l’Afrique a été le principal théâtre des succès de cette activité missionnaire : entre 1900 et 2000, la part des musulmans dans la population totale du continent noir a ainsi doublé, et certains pays où l’islam était encore minoritaire du temps des indépendances sont désormais peuplés d’une majorité musulmane – ainsi, notamment, du Burkina Faso, où les musulmans sont passés de 20% à plus de 60% de la population totale entre 1960 et 2020, ou du Sierra Léone, où cette proportion est passée de 35 à 78% sur la même période. Pour la première fois dans l’Histoire, également, la foi de Muhammad a fait son chemin jusqu’au cœur des nations européennes et occidentales, un phénomène si impensable il y a un siècle encore que l’auteur le mentionne à peine – les conversions à l’islam étant restreintes, en son temps, à une poignée d’intellectuels ou de personnages hauts en couleur perçus comme des excentriques, le plus souvent issus des classes les plus aisées. De nos jours, en la plupart des pays du Vieux Continent, notamment la France, le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Allemagne, les conversions se comptent par dizaines, voire centaines, de milliers; aux États-Unis, près d’un quart des musulmans sont désormais des convertis issus de toutes les communautés; jusqu’en Amérique du Sud, notamment au Brésil et au Mexique, la prédication islamique a trouvé des cœurs prêts à accepter l’appel de l’Unique.

Dans le cadre de la belle et honorable mission que se sont fixées les éditions Héritage de mon frère et ami Thomas Sibille – la valorisation du patrimoine islamique d’Occident et la redécouverte des points de convergence entre ces deux mondes –, la première traduction en langue française de cet ouvrage de référence que nous proposons ici servira en tout cas, nous l’espérons, à dissiper nombre d’incompréhensions bien trop répandues et à proposer à ses lecteurs musulmans, peut-être, une source d’inspiration pour poursuivre l’œuvre de leurs pieux et dévoués prédécesseurs.

‘Issâ Meyer, Londres, le 12 novembre 2021.
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Face aux milices des princes chrétiens querelleurs et sans cesse en conflit qui s’apparentent parfois plus à des hordes de vagabonds en armes qu’à de véritables armées, les troupes ottomanes, bien nourries, payées et dotées d’un sens moral supérieur, apparaissent bien souvent aux populations des Balkans comme de véritables libérateurs. Par leur discipline et le paiement des vivres, jusqu’ici extorqués par les armées de passage, elles gagnent la loyauté de la paysannerie locale, qui a vite fait son choix entre le servage et le brigandage des princes locaux et l’ordre ottoman maintenu par la main de fer d’un sultan aimé et respecté qui préserve par ailleurs un niveau d’imposition tolérable. Alors que jusqu’au 17éme siècle seuls les Hollandais pourront se permettre financièrement de maintenir des armées régulières – et que l’uniforme militaire n’apparaître en Occident qu’au 18ème siècle, en France –, l’armée de Murad attire même les vocations des aventuriers : les autorités devront aller, dans certaines régions, notamment au siècle suivant en Bosnie, jusqu’à décourager la prolifération des conversions à l’islâm par crainte d’une diminution dramatique des revenus de la jizya.
(…)
Profondément marqué par les valeurs islamiques enracinées dans sa tradition familiale, il ne manque pas une occasion de ressasser les derniers mots de son grand-père Osman – de qui il a symboliquement reçu le sabre lors de son couronnement. Des mots gravés à jamais pour l’Histoire dans son testament : « Fils ! Préoccupe-toi des choses de la religion avant tout autre devoir. Les principes religieux font des états solides. Ne laisse pas les choses de la religion aux gens déloyaux, négligents ou pêcheurs ni aux gens dissipés, indifférents ou sans expérience. Ne laisse pas non plus l’administration de l’État à ce genre de personnes. Car celui qui ne craint point Allâh le Créateur, n’aura aucun respect pour la créature. Celui qui commet un grand pêché et continue à pêcher ne peut être loyal. Les savants, les hommes vertueux, les artistes et les hommes de lettres font la puissance de la structure d’un État. Traite-les avec bonté et honneur. Quand tu entends parler d’un homme vertueux, fais-en un ami et honore-le. Mets en ordre les choses de la religion et les choses de l’État. Accepte de moi cette leçon… Je suis arrivé dans ces terres en position de faiblesse et j’ai reçu l’aide d’Allâh alors que je ne le méritais pas. Suis ma voie, protège l’islam et les croyants. Respecte le droit d’Allâh comme celui de Ses serviteurs. N’hésite pas à transmettre ces conseils à tes successeurs. Remets-toi en à l’aide d’Allâh pour appliquer la justice avec équité. Protège ton peuple des invasions ennemies, et de leur cruauté. Ne te comporte avec personne d’une manière indigne, ou avec injustice. Satisfais ton peuple et sauvegarde-le. » (pp. 35-37)
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Du côté de son ancienne secte, l’on ne décolère pas et la tension ne cesse de croître. Dès son départ, Elijah Muhammad avait annoncé la couleur en affirmant que de tels hypocrites méritaient de voir leur tête tranchée. Quelques mois plus tard, Louis Farrakhan lâche qu’un homme tel que lui mérite à la mort, et les menaces se font chaque jour plus précises. Mais Malcolm X n’en a cure ; il a goûté à la pureté de la Foi et rien ne pourra en détourner son cœur. “Je ne m’inquiète pas, assure-t-il ainsi à des journalistes. Je suis un homme qui a cru mourir vingt ans plus tôt, et je vis comme un homme qui est déjà mort. Je ne ressens pas la moindre peur à l’égard de quiconque ni de quoi que ce soit en ce monde.” Il est toutefois bien conscient de son inévitable destin, celui-là même auquel son activisme intransigeant et sa profonde sincérité devaient invariablement le mener : “Si je suis encore vivant à la publication de ce livre, ce sera un miracle” se confie-t-il à son biographe Alex Haley.
Sept jours après qu’un cocktail Molotov ait frappé sa maison alors qu’il était endormi aux côtés de sa famille, le 19 shawwal 1384AH (21 février 1965), Malcolm X se présente ainsi à l’Audubon Ballroom, en plein cœur de Harlem, pour abreuver de sa verve légendaire quatre cents de ses partisans, dont son épouse enceinte Betty X et ses quatre filles. Une dispute, semble-t-il triviale, éclate dans la foule. Alors que l’orateur les appelle au calme, un homme fonce sur lui et l’abat de son fusil à canon scié ; Malcolm, touché au ventre, s’écroule vers l’arrière. Deux complices s’avancent à leur tour et vident leurs revolvers - vingt-et-un coups à la poitrine, à l’épaule, aux bras et aux jambes - sur El-Hâjj Mâlik ash-Shâbazz avant de s’enfuir. Peu après son arrivée à l’hôpital, sa mort est prononcée. (...) Malcolm X n’était, en tout cas, pas dupe du traitement médiatique qui lui serait réservé post mortem : “Après ma mort, ils feront de moi un raciste, quelqu’un de colérique qui inspire la peur. Je ne suis pas raciste. Je ne crois en aucune forme de ségrégation. Le concept du racisme m’est étranger.” Et de s’étendre à ce sujet en une citation largement reprise : “Les médias sont l’entité la plus puissante sur Terre. Ils ont le pouvoir de faire des innocents des coupables, et des coupables des innocents, et ceci est le pouvoir - car ils contrôlent les esprits des masses. (...) Si vous n’êtes pas attentifs, les journaux vous feront haïr les opprimés et aimer les oppresseurs.”
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Cette fois, Alphonse de Castille est convaincu qu’il peut annexer directement cette principauté à la dérive et ainsi marquer une étape décisive de la Conquista. Au printemps 477AH (mars 1085), il apparaît donc sous les murs de Tulaytulah (Tolède), que son armée assiège déjà depuis quelques mois après avoir pris Majrît (Madrid). La résistance n’est qu’anecdotique ; le cercle vicieux des parias a bien trop appauvri et divisé les musulmans et leurs élites pour qu’ils démontrent une quelconque combattivité. Contre la promesse de préserver la vie, les biens et les mosquées des musulmans et d’installer al-Qâdir comme amîr de Valence à l’aide de mercenaires chrétiens, le roi Alphonse peut faire son entrée en vainqueur dans l’ancienne capitale des Wisigoths le 27 muharram 478AH (25 mai 1085). Le pathétique al-Qâdir se couvre d’ignominie et ajoute la honte à la défaite en sortant de son palais avec un astrolabe pour déterminer la meilleure concordance des astres lors de son expulsion de la ville – sous les regards ahuris des musulmans et les rires moqueurs des Castillans victorieux.
Un siècle presque jour pour jour après la démonstration de force d’al-Mansûr à Barcelone, c’est une date noire pour la Ummah, pleurée jusqu’en Orient et marquée à jamais du sceau de l’infamie des taifas, tant l’impact symbolique de la chute de cette grande cité musulmane est immense et traverse les mers... (...) En phase terminale du cancer apparu lors de la révolution de Cordoue, al-Andalus semble sombrer chaque jour un peu plus vers l’abîme. Au regard des dynamiques en cours, il se pourrait même bien qu’elle ait entièrement disparu avant la fin du siècle. Tétanisés face aux fanfaronnades d’Alphonse et au sort réservé à Tolède, les roitelets tremblent. Personne ne paraît en mesure de porter un coup d’arrêt à la furieuse marche en avant de la Conquista. Personne sauf, peut-être, un souverain légendaire qui s’est rendu maître de tout le Maghreb en quelques décennies, et dont les hommes – les Murâbitûn – seraient, à en croire la rue andalouse, des guerriers d’un autre monde.
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Au début de l’été 439AH (960), Nicéphore Phocas débarque en Crète à la tête de la plus puissante armée d’invasion jamais lancée contre l’émirat. Près de cent mille hommes sur des centaines de navires, d’innombrables engins de siège et le redoutable feu grégeois : Byzance n’a pas lésiné sur les moyens pour venir à bout de cet irrésistible émirat. Malgré une résistance héroïque, les Andalous sont submergés par le poids du nombre et rapidement assiégés en leur bastion d’al- Khandaq. (...) Aucun secours n’est à attendre du reste du monde musulman : les Omeyyades de Cordoue, trop lointains, et les Fatimides d’Afrique du Nord, semble-t-il impressionnés par la puissance de la force d’invasion byzantine, ont poliment reçu les appels à l’aide des ambassadeurs crétois sans promettre aucun soutien effectif. Le siège, de plus en plus strict, se poursuit toutefois tout au long de l’automne et de l’hiver, jusqu’à l’assaut final qui emporte les dernières velléités de résistance crétoises, le 15 muharram 350AH (6 mars 961).
C’en est fini de l’émirat andalou de Crète, et les Byzantins ne font pas dans le détail : toute la ville est livrée au pillage, ses mosquées et ses écritures saintes réduites en cendres, ses fortifications démolies. Là où Nicéphore Phocas passe, l’herbe ne repousse pas. Les musulmans qui n’ont pas été abruptement massacrés – les sources évoquent deux cent mille morts – sont réduits en esclavage ou contraints à la conversion au christianisme sous la férule de missionnaires très guerriers. Par l’épée, le feu et la mitre des évêques grecs, toute trace d’Islâm est brutalement et systématiquement extirpée de l’île.
Ainsi s’achevait, dans le sang et les larmes, cette formidable aventure qui avait manqué de renverser la grande Constantinople. Si l’émirat de Crète disparaissait sans laisser de traces, ou presque, il n’en demeure pas moins, pour l’Histoire, l’épopée étonnante et fascinante d’une poignée de rebellesmuladis chassés de leurs foyers qui auront fondé, au cœur de la Méditerranée, un État islamique qui aura fait trembler le puissant empire romain d’Orient et humilié ses armées pendant près d’un siècle et demi... Florissante économiquement et redoutée militairement, l’Iqrîtiyyah musulmane est ainsi l’une de ces surprenantes sagas historiques issues des rapports complexes entre Islâm et Europe : un univers où se sont côtoyés et ont combattu ensemble, sous la bannière du Prophète, savants arabes, marins ibériques ou égyptiens, renégats byzantins et autres affranchis grecs, à la croisée des chemins et au carrefour des civilisations ; le symbole d’un monde encore ouvert à tous les paris, où quelques milliers de réfugiés pouvaient fonder une puissance navale majeure et un centre régional prospère de la civilisation islamique.
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Le génie d’al-Andalus, c’est aussi celui d’une société de l’excellence, perfectionniste et raffinée ; une société fondée sur l’amour du savoir et le respect de ceux qui le portent – érudits religieux ou profanes, bien souvent les deux à la fois, comme l’époque le voulait –, capable de découvrir, d’expérimenter, d’inventer, de faire progresser les sciences, la médecine, les mathématiques ou l’astronomie. Une société, aussi, marquée par le goût du travail bien fait, visant à la perfection dans les arts, l’industrie, l’artisanat ; une société, enfin, irriguée par les belles-lettres et la poésie, l’adab et l’élégance des mœurs, dont la spiritualité et l’instruction, le bon goût et la galanterie, la courtoisie et le savoir-vivre peuvent servir de contre-modèle à la vulgarité, à la laideur et à l’abrutissement de la modernité. « Allâh est beau et Il aime la beauté » : y a-t-il meilleur exemple d’application de ce célèbre hadîth que la lumineuse civilisation andalouse, admirée de tous les poètes et artistes à travers les âges, dont l’on dit qu’elle inspira la naissance de l’esprit chevaleresque ? « Ces lois de la chevalerie : respecter les faibles, être généreux envers les vaincus, tenir religieusement sa parole », disait Gustave Le Bon, « que les nations chrétiennes adoptèrent plus tard (...) furent introduites par les Arabes d’Espagne en Europe. » « Les conquérants musulmans de l’Espagne y apportèrent la culture des sciences, l’amour de la patrie et l’esprit chevaleresque (...) ; c’est parmi les progrès du luxe et de la civilisation arabes d’Espagne que se forma (...) ce mélange romanesque de sentiments d’honneur et de délicatesse, de religion et d’amour », abondait encore le géographe Conrad Malte-Brun.
Le modèle andalou est séduisant, il faut l’admettre : une société de la lumière et de la grâce, amoureuse du Bien, du Beau et du Vrai – à la fois pieuse et religieusement conservatrice, ancrée dans la Tradition, fière de sa culture et de son identité, d’une part, et avant-gardiste dans ses expressions, extraordinairement dynamique, tournée vers le progrès matériel et scientifique, hautement lettrée et policée, respectueuse de ses minorités religieuses, d’autre part ; capable de s’ouvrir au monde sans se perdre, autant que de marier et de sublimer tous les éléments subtilement entrés dans sa composition. Al-Andalus est morte, elle ne reviendra pas ; mais son génie est aussi intemporel que les tragiques leçons qu’elle nous laisse.
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Au matin du vendredi 10 muharram de l’an 61AH (10 octobre 680), al-Husayn se réveille donc pour trouver les troupes omeyyades prêtes au combat et alignées contre lui. Sans attendre, il se présente face à eux et les harangue de sa puissante voix, dressé sur son chameau :
« Ô gens de Koufa, je sais que mes paroles ne me sauveront pas. Mais je veux parler, pour établir votre responsabilité devant Allâh et ma propre innocence avant que la lutte ne s’engage. Vous savez tous que je suis le fils de Fâtimah, fille du Messager d’Allâh ﷺ‬, et le fils de ‘Alî, cousin du Prophète ﷺ‬ et premier croyant. Ja’far était mon oncle, Hamza, le prince des martys, était l’oncle de mon père et al-Hasan était mon frère, dont le Prophète ﷺ‬ a dit qu’il était le seigneur des jeunes du Paradis. Si vous croyez en Allâh et en la mission de mon grand-père, le Messager d’Allâh ﷺ‬ dites-moi quel crime j’ai commis pour que vous attentiez à ma vie ! (...) Mon peuple, depuis que je suis avec vous, je n’ai versé le sang d’aucun d’entre vous, et je n’ai pris le bien de personne ; par quel crime, à vos yeux, ai-je donc mérité la mort ? Je demeurais à Médine près du tombeau de mon grand-père ﷺ‬, et vous ne m’y avez pas laissé. Je suis allé à Makkah, et vous m’avez appelé, vous, gens de Koufa, par des lettres et des messagers. Maintenant, je vous dis comme a dit Mûsâ au peuple de Pharaon : Si vous ne me croyez pas, écartez-vous afin que j’aille au sanctuaire d’Allâh, j’y demeurerai jusqu’à ce que je quitte ce monde. C’est dans l’autre monde qu’il deviendra manifeste qui a eu le droit pour lui et qui a mal agi ! »
Face au silence assourdissant qui s’empare alors de la plaine, al-Husayn conclut :
« Louange à Allâh, car vous n’avez désormais aucun argument auprès d’Allâh et de Son Messager ﷺ‬ ! »
Après avoir échangé son chameau contre un cheval plus adapté au combat, il se dresse sur sa monture, aligne ses maigres troupes, lève les yeux vers le ciel et lance :
“Ô Allâh, Tu es mon Consolateur en toute affliction, ma richesse en toute adversité, ma force en tout malheur et mon Protecteur en toute circonstance.”
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Balian d’Ibelin sait que les heures sont maintenant comptées et que la ville est pleine de dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, qui remplissent les rues et les églises au point où “l’on peut à peine marcher”. Aussi le seigneur franc tente-t-il aussitôt de négocier des conditions de reddition acceptables – non sans menacer, s’il ne les obtenait pas, de brûler toute la ville, massacrer les milliers de prisonniers musulmans et détruire les lieux saints d’al-Aqsâ avant de combattre jusqu’à la mort.
Après consultation avec son conseil d’oulémas, Salâh ad-Dîn accepte de lui offrir des termes dont il n’aurait même pu rêver : l’assurance de la vie sauve et un sauf-conduit vers la côte pour tous les chrétiens de la ville, hommes, femmes et enfants, contre le versement d’une très modeste rançon de dix dînârs pour les hommes, cinq pour les femmes, un pour les enfants – ceux incapables de payer après quarante jours étant réduits en captivité, mais non mis à mort. Le vendredi 27 rajab de l’an 583 de l’Hégire (2 octobre 1187), le jour même où le Messager d’Allâh ﷺ‬ avait accompli son Ascension nocturne depuis al-Aqsâ, Balian d’Ibelin remet donc les clés de la citadelle au sultan, et les armées de l’Islâm entrent pacifiquement à al-Quds – outragée, brisée, martyrisée, mais libérée. Les scènes de joie se multiplient alors que les trois mille captifs de guerre musulmans que les croisés avaient réduit en esclavage sont aussitôt délivrés de leurs chaînes. Les bannières de l’Islâm sont hissées sur les murs de la ville sainte, et un groupe de croyants se précipite aussitôt sur l’esplanade d’al-Aqsâ pour retirer l’immense croix en or placée au sommet du Dôme du Rocher, sous les vibrants takbîrs des croyants. Comme Salâh ad-Dîn l’avait promis, aucun habitant n’est tué et pas un seul bâtiment n’est pillé ; le sultan ordonne même que des gardes patrouillent dans les rues pour empêcher que le moindre outrage soit infligé aux chrétiens. Quel contraste avec l’ignoble carnage commis par les hommes de Godefroy de Bouillon !
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Bayezîd sait la bataille déjà perdue, mais il lui reste encore un dernier baroud d’honneur à mener devant l’Histoire. Tamerlan a fait la preuve de sa supériorité stratégique, mais il ne peut se résoudre à le laisser le vaincre sans avoir au moins lavé son nom de tout soupçon de lâcheté. Alors que tous ou presque l’ont abandonné, jusqu’à son beau-frère et même certains de ses propres fils, il peut encore compter sur la loyauté sans failles de ses cinq mille janissaires, prêts à couvrir le sol d’Ankara de leur sang pour défendre leur honneur, et le sien. (...) Le sultan Bayezîd en personne se saisit d’une hache et s’enfonce dans les rangs des Tartares pour n’en ressortir que couvert du sang de ses ennemis ; il perdra au passage un œil dans la mêlée. (...) Les pertes de Tamerlan, exceptionnellement disproportionnées, s’élèvent alors à plus de quarante mille hommes. Partout, les corps tartares jonchent la plaine, et le petit-fils de Tamerlan lui-même, Muhammad Sultân, est blessé à de multiples reprises par la furie des janissaires. Le dernier carré ottoman, quant à lui, a été réduit au fil des heures à un peu moins de trois cents hommes... L’honneur sauf, ils décident alors de tenter de s’échapper du champ de bataille et parviennent à franchir les lignes ennemies à la faveur de l’obscurité de la nuit et du chaos omniprésent dans les lignes tartares pour se répandre dans les montagnes avoisinantes. Dans la poursuite qui s’ensuit, la monture de Bâyezîd est victime d’une flèche ennemie, faisant s’effondrer au sol le sultan, qui est capturé après un dernier baroud d’honneur de sa garde rapprochée. Mains et pieds liés, il est amené devant Tamerlan, paisiblement installé devant une partie d’échecs, qui ne peut s’empêcher d’éclater de rire. “Tu as tort de me prendre en dérision, car ma situation actuelle aurait tout aussi bien pu être la tienne en ce jour !”, s’exclame Bâyezîd, ce à quoi Tamerlan répond : “Je ne me moque pas de toi, je ris de l’ironie d’Allâh qui a partagé le destin de ce monde entre un borgne et un boîteux !”
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