- Ne t'inquiète pas, Nora, me rassure Rook en fustigeant l'incube du regard. Laisse-moi le temps et je ferai de toi une dure à cuire à toute épreuve.
J'en suis encore à reprendre haleine après l'état hébétude lubrique induit par Ren, mais un sourire joue sur mes lèvres tandis que je m'imagine en train d'enchaîner les uppercuts et de brandir un katana dans une combinaison en cuir, telle une héroïne de roman bit-lit. Ça ne me déplairait pas d'être une dure à cuire. Je n'irais pas jusqu'à chercher volontairement les ennuis ; ils ont une fâcheuse tendance à me trouver de toute façon.
J'ignore pourquoi je possède de tels pouvoirs et comment je les ai acquis ; cependant, vu qu'ils m'ont sauvée presque toute ma vie, je ne m'en plains pas non plus. La solitude vaut mieux que la mort.
Je n'ai pas besoin de lire ses pensées pour savoir qu'il songe à sa congénère disparue. J'aimerais le rassurer, lui dire que nous retrouverons Shandra et que tout ira bien, mais je ne peux pas faire une telle promesse. Les histoires n'ont pas toujours une fin heureuse ; je sais par expérience que c'est même rarement le cas. En admettant que nous la retrouvions, nous arriverons sans doute trop tard pour la sauver. Il est probablement déjà trop tard.
Le troll me sourit de toutes ses dents.
- Je lui ai dit que tu te rétablissais bien et que tu te laissais dorloter par tes hommes.
Je m'arrête aussitôt pour me tourner vers lui avec des yeux exorbités et les joues enflammées.
- Mes quoi ?
- Je lui ai juré qu'il s'occupaient bien de toi, poursuivit-il comme si de rien n'était.
Ça commence toujours de la même façon. D'abord un picotement sur ma nuque, puis une traînée de chair de poule sur mes bras. Enfin, un noeud d'angoisse se forme dans mon ventre et une effroyable certitude s'impose à moi : une personne malveillante est à l'approche. Ces prémonitions sont très vagues, elles m'avertissent simplement d'un mal ou d'un danger imminent. Pourtant, j'ai appris à m'y fier.
- Nora, murmure le vampire en me caressant les bras, tu n'es pas une meurtrière.
- Pas encore.
—Calme-toi, espèce de grosse brute possessive ! intimé-je au métamorphe. Il ne m’a pas fait de mal.
Alors que je soutiens le regard courroucé de Rook avec une fermeté implacable, l’alpha Toth se permet un conseil :
—Du tact, Nora.
—Du tact ? Vous l’avez bien regardé ? Le tact n’aura aucun effet sur lui. Il a surtout besoin qu’on le remette à sa place. Je ne suis pas sa compagne, bordel !
- Ren t'offre l'amitié. Rook, le soutien d'un compagnon. Terrance, une forme d'affection paternelle. Parker est en grande partie guidé par sa lubricité, et avec Oliver on a...
Je jette un coup d’œil à l'intéressé.
- Un dévouement total, termine le sorcier.
- Un béguin monstre, déclare Ren au même instant.
Nick ricane et tranche :
- Il est complètement à sa botte.
—Ça, c’est une technique de nage papillon. J’aurais dû y penser plus tôt.
Je me remets sur mes pieds et hausse les épaules.
—Je ne sais pas ce que c’est, mais ça me paraît plus naturel.
Oliver plisse les yeux en hochant lentement la tête.
—C’est peut-être inné. Comme un girafon qui peut marcher dès la naissance.
—T’es en train de me comparer à un girafon ? dis-je en arquant un sourcil.
Il riposte avec un sourire éclatant :
—Tu es trop gracieuse pour un girafon. Je voulais simplement dire que tu sais sans doute déjà nager comme un poisson.
—Donc, maintenant, je suis un poisson ? ricané-je, les bras croisés.
Son sourire se fait narquois.
—Pour le coup, oui. Un poisson magnifique, mais un poisson quand même.
- Allons, Jacobs. Tu devrais te sentir privilégiée. Sais-tu combien de personnes ont eu le droit de me chevaucher au cours de ma longue, longue vie ?
- Je ne sais pas... la moitié des femmes de Détroit ? répliqué-je d'un ton pince-sans-rire.