- Je suppose que vous désapprouvez.
- Il n'appartient pas au gouvernement de décréter qui a le droit de s'aimer.
[...]
- Pourtant, c'est déjà le cas.
- Cela n'en est pas plus juste pour autant.
- Comment peux-tu dire ça ? s’emporta-t-elle alors, en proie à une violente colère. Comment peux-tu prétendre que ça ne fait rien ?
- Parce que la mort a toujours fait partie de ma vie, répondit simplement Estelle. Elle n’a rien d’étrange pour moi. Ce n’est que le saut dans l’inconnu qui nous rend nerveux. En plus de ceux que nous laissons derrière nous. En fin de compte, la mort est beaucoup plus dure à supporter pour les vivants.
- Si tu as besoin de nous, nous répondrons présentes. Nous prenons tous les risques nécessaires, parce que c'est ce que font les amis les uns pour les autres.
- Mais cette fois, c’était trop, protesta Lily.
Ses yeux restaient rivés sur le col de Miss Bard, taché de sang. Les lèvres fines d'Estelle esquissèrent un sourire triste.
- Les morts ne regrettent jamais d'avoir pris un risque pour leurs proches, répondit-elle.
- En tout cas, quoi que tu fasses, je t'accepterai toujours, lui promit-elle avec conviction. Toujours. C'est bien compris ?
Dans la danse légère d'une petite brise nocturne, Lily attendait sa réponse.
- Oui, finit-il par dire en affrontant son regard. C'est compris. Nous sommes jiā.
C'était un mot puissant - comme une présence habitant l'herbe, les arbres et le silence environnant.
- Ce mot, fit Lily en se remémorant sa conversation houleuse avec Zhao Min. Qu'est-ce qu'il signifie ?
- Le foyer, répondit Sam, si ému qu'il en avait du mal à parler. La famille.
- Alors, oui, acquiesça Lily.
Passant la main sur sa nuque, elle attira doucement son front vers le sien avant de répéter avec la ferveur d'une promesse.
- Nous sommes jia.
Certains [morts] en sont troublés pendant un moment. D'autres résistent par réflexe, simplement parce qu'ils ne contrôlent pas la situation. Mais ils n'ont jamais peur. La peur est pour les vivants.
« — Vous avez affirmé, reprit Strangford, implacable, qu’à cause de votre parenté, vous ne pourriez jamais être autre chose qu’une maîtresse pour un homme de haut rang.
Les mots, douloureux, n’étaient pourtant que le reflet de la vérité pure et simple, exprimée sans ambages.
— Sachez que vous avez tort, acheva-t-il.
— Milord… commença Lily.
Mais il intervint, plus vif qu’à son habitude :
— Non. Je suis un homme de haut rang, et vous êtes déjà plus que cela pour moi. Vous êtes une consœur, la seule femme de ma connaissance à savoir ce qu’être accablé par cette terrible connaissance signifie. Et vous êtes mon amie. (Il avait prononcé ce dernier mot d’un ton farouche, comme s’il était prêt à se battre pour cette notion.) Je connais votre caractère, j’en ai été témoin plus intimement que quiconque. Votre courage, votre force, votre loyauté sans faille. Je ne vous laisserai pas commettre l’abominable erreur de croire que votre valeur se résume aux conditions de votre naissance. Vous êtes plus que cela. (Il déglutit péniblement. Sa voix était enrouée lorsqu’il ajouta : ) Bien plus que cela.
Quelque chose se brisa en elle, mis à mal par l’impact de ses paroles. L’espace d’un instant, elle se demanda si elle n’allait pas s’effondrer tout entière.
Elle lui répondit avec calme, mais détermination :
— Il est impossible de fermer les yeux sur les mœurs de toute une société.
— Venant d’une femme en pantalon…
L’ironie ne lui échappait pas et elle sentait déjà une réponse lui monter aux lèvres. »
- J'ai dit que je vous soutiendrais dans cette affaire, lui dit-il.
- En effet, quand vous me preniez pour une femme respectable.
Sa bouche frémit aux commissures et il répondit :
- Miss Albright. Je vous ai rencontrée alors que vous étiez étalée sur la route en pantalon. Je n'aurais jamais risqué de vous prendre pour quelqu'un de banalement respectable.
𝑰𝒍 𝒏'𝒂𝒑𝒑𝒂𝒓𝒕𝒊𝒆𝒏𝒕 𝒑𝒂𝒔 𝒂𝒖 𝒈𝒐𝒖𝒗𝒆𝒓𝒏𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒅𝒆́𝒄𝒓𝒆́𝒕𝒆𝒓 𝒒𝒖𝒊 𝒂 𝒍𝒆 𝒅𝒓𝒐𝒊𝒕 𝒅𝒆 𝒔'𝒂𝒊𝒎𝒆𝒓.
À présent, elle se fichait bien de ce que pensait le monde, des frontières artificielles en apparence infranchissables que leurs naissances avaient tracées entre eux. Son refus de revivre l'histoire de sa mère n'avait jamais été qu'une excuse, un moyen de se protéger. Mais Strangford avait raison. Rien n'était absolument sans danger. Si elle attendait d'être en parfaite sécurité pour saisir la chance d'être heureuse, elle n'avait pas fini d'attendre.
Quel genre de personne pouvait être sereine face à un pouvoir qui lui montrait le pire de ce que l'avenir réservait sans lui donner la possibilité de le changer ?