Kmx Labrador, de Jacques Deval (1949)
Quant une science est a bout d'arguments, elle élargit son vocabulaire.
Une joie partagée est une double joie.
Un chagrin partagé est un demi chagrin.
Camarades !...La révolution est faite ! Paris est à nous. Demain, la France.
Nous tenons les gares, les postes, le télégraphe, les casernes, les ministères.
Le président du conseil Léon Blum, le ministre de la guerre Paul-Boncour, le ministre des affaires étrangères Renaudel sont en fuite sur la route de Saint-Germain.
On les ramènera. Camarades !...Nous sommes les maîtres !
Les mitrailleuses du sanguinaire Paul-Boncour n'ont balayé que le vide !
Le sang ouvrier n'a pas coulé.
Les bourgeois affolés ont caché leur peau et tremblent dans leurs caves.
On les en sortira ! Camarades !...
Tous demain à vos section pour procéder à l'élection de vos commissaires et de vos soviets !
Jusque-là, des commissaires provisoires exerceront le pouvoir, au nom des ouvriers et des paysans.
Camarades ! ... N'oubliez pas que les banques, les usines et les musées appartiennent au peuple. Préservez-les !
N'oubliez pas que les ambassades sont sous notre protection. Respectez-les !
Camarades !... Les commissaires provisoires ordonnent :
- Décret I : la peine de mort est supprimée
- Décret II : la vente de l'alcool est interdite.....
Au lever du rideau, tout est calme ; une belle nuit de fin d'août.
Il n'y a personne en scène, du moins visiblement.
Puis sur le rebord de la terrasse, Michel, qui était enfoui dans un fauteuil d'osier, vient s'asseoir ; il heurte à petits coups sa pipe sur la pierre pour en secouer la cendre, et fume paisiblement, les regards et la pensée sur la mer.
Michel est un homme de quarante-deux, quarante-trois ans, robuste, le visage bien net, rasé, le teint brun appuyé par le bleu noir de son béret basque.
Il est en costume de chasse, taillé large, à poches comme des puits, en chemise de soie molle, en guêtres.
Des yeux d'homme, un regard d'enfant, où le mal ne s'est jamais posé.
Il fume lentement, immobile.
Par la porte de droite entre Maritchou, une jeune servante basque....
La jeunesse ? Une merveilleuse chose ! Mais quel crime de la laisser gaspiller par les enfants !
Au moment où le rideau se lève, il est 2 heures de l'après-midi, par un jour peu brillant d'automne. Sur la table basse, tasses vides et bouteille de fine débouchée indiquant le café pris.
A la grande table, Mr Galvoisier s'affaire à feuilleter un indicateur et à prendre des notes.
C'est un homme de quarante-cinq ans, puissant en chair, en verbe, en gestes.
Très bon homme, vaniteux un tantinet, beaucoup de talent, il ne s'est jamais senti vieillir, mais porte largement ses quarante-cinq ans.
Il a dans la vie intime quelques uns des travers des avocats d'assises, ne déteste pas "installer" pour ses proches et pour la domesticité, mais cela n'est pas insupportable.
Tout compte fait, c'est un gentil enfant de bientôt cinquante ans.
A la petite table, Mme Alice Galvoisier écrit, en soupirant, une multitude de petits cartons d'invitation.
Alice Galvoisier vient d'être une fort jolie femme.
Son couchant est encore plein de grâces et, s'il ne tient qu'à elle, elle aura encore des charmes à quatre-vingt dix ans de par les robes les plus chères, les bas les plus fins, les fards les plus récemment inventés.
Elle connait les produits de beauté comme Lavoisier connaissait sa chimie.
C'est une charmante étournelle, mâtinée de poule au bon sens du terme, car elle a deux enfants dont elle se soucie toujours et ne s'occupe jamais.
Le rideau levé, pour un moment, Alice et Lucien travaillent en silence.....
Au moment où le rideau se lève le prince Mikaïl Alexandrovitch Ouratief est couché dans le lit, les épaules appuyées haut sur les oreillers.
Il est en chemise de nuit à jabot de dentelle dont une manche est déchirée.
Il n'est que vaguement peigné à la pointe des doigts et fume une cigarette au bout d'un long fume-cigarette de merisier à 50 centimes.
Dans cette position confortable, il n'est pas inoccupé : en effet, une de ses mains est passée à bout de bras dans une bottine d'homme, noire à lacets.
De l'autre main, armée d'une brosse à reluire, il astique la bottine avec nonchalance.
Sur le lit traînent l'autre bottine et une petite boîte à brosses.
Tout en astiquant, il fredonne, sans desserrer les dents, la chanson russe "l’Églantier".
Et au bout d'un moment, la même chanson est reprise avec les paroles russes, dans l'autre pièce, par Tatiana invisible....
(lever de rideau de la pièce extraite du n° 360 de "La Petite Illustration" parue le 29 décembre 1934)
La fortune attise nos vices, l'infortune nos vertus.
Le bonheur qu'on veut avoir gâte celui qu'on a déjà.
Il y a moins de méchantes que de méchants, mais elles le sont davantage.