Prenez garde au faux humanitarisme, Joalland. C'est un poison subtil que distillent les intellectuels dégénérés, ces larves blanchâtres affublées de barbiches, de lorgnons, de col en celluloïd. Ici, ils tourneraient de l'œil au moindre sifflement de flèche. Et ils prétendent nous faire la leçon! Oh, ils sont très instruits... Ils connaissent par cœur l'épopée d'Alexandre et défaillent d'admiration devant les ruines de l'empire romain. Mais notre empire, celui que nous bâtissons chaque jour, sous leurs yeux, et à quel prix! Ils n'ont pas assez de sarcasmes pour le dénigrer. Ils nous traitent de brutes sanguinaires. La Coloniale, c'est de la lie pour eux, "l'école du crime", j'ai vu cela écrit textuellement. Alors que les Romains sont devenus les maîtres du monde en distribuant des fleurs aux Barbares et en leur récitant des vers latins, n'est ce pas? En plus, ils sont d'une mauvaise foi révoltante. Lors d'un de mes derniers séjours à Paris, l'on colportait dans des salons très comme il faut le mot d'un de ces individus, poète par surcroît, à propos des victimes faites par une bombe, dans un restaurant: "Qu'importe la mort de vagues humanités si le geste était beau." C'est vrai, je vous le jure, les journaux l'ont publié. C'était beau puisque la bombe avait été lancée par un anarchiste. Quand il s'agit de leur cause, le sang ne compte plus. Je l'ai souvent fait remarquer à Voulet: ils nous reprochent des crimes, mais ils applaudissent aux paniers de têtes coupées en 1793, à l' extermination des Vendéens. Pendant la Commune, ils ne parlaient que de fusiller les "bourgeois". Ils justifient Ravachol, au nom du Progrès, de l'Idéal. Mais pour nous, ni pardon, ni excuses...
Le 10 juillet, les sénateurs (élus du Front populaire) convoqués à Vichy et circonvenus par le rusé Pierre Laval votèrent en toute légalité (56 voix contre 80) l'abolition de la III ème république et confièrent au Maréchal les pleins pouvoirs pour décréter une nouvelle constitution.
Le 23 mars 1943 Jean moulin envoyait à Londres un télégramme angoissé : "bien arrivé. Situation plus grave que je le pensais. déportation se poursuit à un rythme accéléré. Gestapo et police continuent coupes claires."On chuchotait chez Antoinette qu'une quinzaine de personnes avaient été appréhendées. "Paul" m'apprendra que son propre frère, Kriegel-Valrimont, Aubrac, Ravanel, Morin-Forestier, de l'état-major de l'armée secrète, avec qui je dînais fréquemment à la table de Massip, figuraient dans le lot.
"Six cents francs par mois ! La misère ou la prostitution" ! Cette inscription en énormes lettres blanches hachant la vitrine d'un Prisunic, occupé par son personnel féminin, rue de Rochechouart, m'avait ému et je fus choqué d'entendre mon père s'indigner contre ces atteintes à la propriété et à la liberté du travail.L'ancien étudiant pauvre, le normalien socialiste avait sérieusement viré à droite après les belles années de Turquie.