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Citation de Charybde2


C’est Lucien, le cafetier, qui me confia, des années plus tard, comment se terminaient ces soirées épiques. Tilly, après s’être chauffé, échauffé pendant des heures, se mettant en scène en jouant son propre rôle près du zinc, faisant mine de suer à grosses gouttes dans la torpeur moite de l’océan Indien ou de grelotter au passage du cap Horn, égrenant des noms de ports, sautillant de Hambourg à Maracaibo, de Gênes à Izmir ou de Rotterdam à Valparaiso, s’époumonant en courant de la salle des machines à la passerelle, multipliant les anecdotes, imitant les voix des gens d’Afrique ou de Chine, décrivant des côtes dentelées, des rizières, des terminaux parsemés de grues, des torchères jaillissant dans la nuit, revisitant quelques bordels au hasard, ne lésinant pas – gestes à l’appui – sur ses prouesses sexuelles, se rappelant même les prénoms, les parfums, les mensurations de certaines femmes, Tilly, l’intarissable, porté par ses cavalcades verbales, devenait subitement muet. Il s’arrêtait en plein milieu d’une phrase, se balançait d’avant en arrière, écartait ses bras, chancelait et s’agrippait au comptoir. Il clignait des paupières. On aurait dit qu’il souffrait d’un mal de mer carabiné. Ses yeux devenaient vides. Il regardait droit devant lui. Fixait les rangées de bouteilles alignées derrière le bar. S’absentait totalement. Le colosse ne savait plus où il se trouvait. Il dodelinait de la tête. Quelques buveurs le retenaient pour qu’il ne s’effondre pas.
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