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EAN : 9782917817735
160 pages
La Contre Allee (12/04/2018)
4/5   5 notes
Résumé :
Jacques Josse dresse dans ce récit le portrait de son père, breton habitant un petit hameau situé sur la côte nord de la Bretagne. Ce dernier, désireux d’être marin dès le plus jeune âge, chercha longtemps à suivre les traces de son propre père, capitaine au long cours. Cependant, il tombe malade à l’âge de dix-sept ans. Les sequelles brisent ses rêves et font de lui un « débarqué », un homme qui restera à quai. Pour seuls voyages, il lui reste les récits des matelo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Jacques JOSSE dit de son père qu'il était un voyageur empêché. Breton de souche et de coeur, il aurait souhaité être marin, la pipe à la bouche en plein roulis, mais suite à une maladie (il est épileptique), il est resté sur la berge, en rade, au rade plutôt. Interdit de naviguer, de conduire, de fumer, de picoler. Il va se créer une ordonnance pour ne pas avoir à suivre les deux dernières prescriptions. À défaut d'eau salée, il va s'occuper de courant. Il sera électricien. L'eau et l'électricité ne font pas toujours bon ménage, c'est ce que l'auteur va nous démontrer à propos de son paternel.

La boîte qui l'emploie fait faillite. Bilan : chômage et alcool. Et tabac. Et petits boulots. Mais il rebondit, se dégote un chouette gagne-pain sur une île, dans sa branche. Bonheur. Chaque semaine, il quitte sa famille pour quelques jours, un rituel bien huilé. Il est entouré d'eau, alors son rêve assassiné, celui du grand large, devient presque réalité de substitution. Il rêve les bateaux, les matelots, les bonheurs, les tragédies : « Plusieurs embarcations s'étaient abîmées dans les parages. La carte des épaves, punaisée au-dessus du comptoir de l'unique café du bourg, en témoignait. Un mur des disparus, sur lequel des centaines de noms et de dates, ceux et celles des péris qui n'étaient pas rentrés, se dressait au bout du cimetière, dans la commune qui abritait l'embarcadère. Un dicton affirmait que voir l'île c'était voir son trépas. Ses abords inhospitaliers nourrissaient les légendes ». Maman elle, est « laveuse de morts ». Si si. Et accessoirement ne finit jamais ses phrases.

On vit comme naguère, on élève des animaux pour les tuer, les bouffer, nourrir la famille. Puis ce sont les membres mêmes qui ne vont pas tarder à suivre les bestiaux. Car la guigne va reprendre ses droits : ça commence par le papa et une mauvaise chute. Dans tous les sens du terme. Pourtant tout était écrit : « Il semblait avoir trouvé un rythme de croisière capable de l'aider à franchir les fatidiques quatre-vingts berges sans avoir à subir de nouvelles avaries ».

La mère-grand avait ouvert les hostilités des excursions au cimetière communal pour ces coeurs cabossés, ces destins brisés, dans une famille qui va souffrir : le frère de Jacques a devancé à son tour le cortège funèbre en 1996. Puis la frangine, retrouvée dans un bois en mars 2004, défunctée. La faucheuse semble planer dangereusement sur la fratrie, va falloir redoubler de vigilance. Mais tout va aller de mal en pis, jusqu'à ce jour de février 2008 où le paternel casse sa pipe, le même jour que l'humoriste en chef Henri Salvador. Ironie du sort ? Salvador signifie sauveur/salvateur en espagnol.

Derrière la figure émouvante et imposante de ce père silencieux, ce sont toutes les images de la Bretagne qui remontent à la surface, au-dessus de l'écume et de la brume, la houle, les tempêtes. Ce petit récit est truffé d'anecdotes, d'odeurs, d'ivrognes, parsemé de suicides (trois raisons selon l'auteur : alcool, grisaille et sentiments d'inutilité). On y croise les fantômes de GIONO, SIMENON, STEINBECK, CALDWELL (excusez du peu), les ombres de ceux qui ont écrit sur la mer : LOTI, LONDON, CONRAD. On y entrevoit des héros du Tour de France cycliste, on y apprend comment réaliser du cidre artisanal tout en prenant BRASSENS à contre-pied dans les rites du père : « Chaque matin, il ouvrait son journal sur la double page des obsèques. Il notait l'âge des partants. Remarquait qu'ils avaient tous à peu près le sien, en déduisait que ça sentait vraiment le sapin, blaguait à peine en assurant que l'arbre avec lequel on fabriquerait son cercueil était sans doute débité depuis belle lurette et qu'il ne tarderait pas à les rejoindre ». Respect éternel pour les marins disparus, dans une langue flirtant avec le sublime : « … ces adeptes des tours du monde qui, ces années-là, descendaient, à tour de rôle et en piqué, boire l'ultime bouillon, celui de onze heures, mijoté dans les crevasses, sur lit d'algues et de coraux, par le facétieux cuisinier des bas-fonds ».

Halte-là ! Je pourrais en effet vous citer tout le bouquin tellement dans ces courts chapitres l'écriture imagée est forte, puissante, poétique, pudique, brassant l'humour noir, celui du désespoir, comme pour envoûter d'une ultime saillie. Délicieux à tous points de vue. JOSSE est unique, seul sur son îlot, c'est pourquoi ce poète « rêveur de tombes », prince de la prose, est indispensable, ne serait-ce que par sa manière extatique de décrire la mort et les paysages. Cette savoureuse biographie du père (mais pas que) vient de sortir aux Éditions La Contre Allée, je vous recommande vivement de vous y ruer, c'est même quasiment un ordre. C'est grâce à ce petit livre que l'on comprend JOSSE, ses 40 publications, son rapport quasi charnel à la mort (qui semble avoir été omniprésente dans son parcours, d'où cette « obsession », ces références incessantes), à la mer. Et qu'on ne l'aime que davantage. Il fait partie des grands, ne le ratez pas.
https://deslivresrances.blogspot.fr/
Lien : https://deslivresrances.blog..
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JACQUES JOSSE OU LE STYLE DES BELLES PERSONNES

Après un portrait attachant de Marco Pantani en 2015 Jacques Josse, écrivain discret, prix Loin du marketing en 2014, revient sur l'histoire de son père dans débarqué, malheureusement touché trop jeune par la maladie et écarté d'une carrière de marin. Breton resté à quai, cloué au port, débarqué. Les psychanalystes nous invitent à “tuer le père”, ici l'auteur choisit une autre voie, celle de lui rendre hommage.

Dans Liscorno, publié en 2014 aux éditions Apogée, Jacques Josse nous faisait découvrir les lectures de sa jeunesse et les auteurs qui l'ont marqué. Dans débarqué, il s'enfonce plus profond encore dans ses racines littéraires quand cette passion de la lecture de récits de voyages lui vient de son père. Quelle belle transmission que cet appétit de récits d'aventure, et après cette transmission, il faudrait “tuer le père” ? Ce n'est pas possible.

Nous faisons dans débarqué connaissance avec un grand-père capitaine au long cours, un père qui ne le sera pas pour raison de santé et qui ne cessera de voyager avec les livres (Pierre Loti, John Steinbeck, Joséphine Johnson, etc.) et en écoutant les récits rapportés au bar par les marins. Quand les rêves se passent ainsi de générations en générations...

Cette vie était dure, n'en déplaise aux nostalgiques. S'il ne se suicidaient pas violemment, nombreux le faisaient à petite dose, ou plutôt à petites verrées de vin, de cidre ou d'eau de vie, la mal nommée. Des ambitions contrecarrées, des angoisses gardées pour soi, des histoires de mauvaises amours, des blessures de guerre, du manque d'argent, des maladies qui ne se soignaient pas à l'époque, des métiers qui éloignaient les pères de leur famille, la mort toujours proche, cette vie simple n'a pas les honneurs des livres scolaires. C'est aux écrivains qu'il revient d'en assurer la transmission.

Écrire les liens qui unissent un homme à ses origines, un homme à sa terre, exige un style d'écriture à la hauteur de l'enjeu. Et Jacques Josse sait, de chapitres en chapitres comme autant de nouvelles, en phrases parfois longues et parfois courtes, nous entraîner dans une narration sensible et pleine de tendresse et d'humanité, le style des belles personnes.

Jacques Josse sait bien conter, au-delà de ses origines, le destin des petites gens. Il y avait de la noblesse dans ses vies populaires. Et on se laisse aisément embarquer dans cette histoire du quotidien de Bretons dans la deuxième moitié du 20e siècle.


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L'intense et pudique chant funèbre pour un père qui jamais ne put naviguer « en vrai ».

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2018/08/17/note-de-lecture-debarque-jacques-josse/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Au printemps, quand il nous guidait vers les hauteurs, sur les collines à l’écart de la ville, quand il s’arrêtait près des granges et des fermes bâties en pisé, il faisait montre d’une même admiration envers les hirondelles qui voletaient au-dessus de nos têtes. Il était subjugué par leur joie de vivre et leur énergie. Il expliquait qu’elles possédaient, elles aussi, un imparable radar intérieur et une redoutable résistance physique. Pesant à peine vingt grammes et ne mesurant pas plus de quinze centimètres, elles avaient parcouru dix mille kilomètres, en se nourrissant et en dormant en vol, pour rejoindre un lieu précis, celui où nous vivions, qui était également le lieu de leur naissance. Il nous hissait sur ses épaules et nous incitait à scruter leurs nids. Il détaillait leur coupe et leur minutieuse construction, faite de brindilles cimentées par de la boue à laquelle s’ajoutait leur propre salive.
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Il nous amenait parfois nous recueillir sur sa tombe au cimetière. Nous restions plantés devant. Il nous expliquait qu’il était couché sous le marbre, protégé par du bon chêne, habillé en costume de capitaine et coiffé d’une casquette galonnée, écoutant sans doute, les soirs de tempête, l’océan et ses chiens fous hurler en cognant falaises et côtes fissurées. L’intense boucan nocturne, amplifié en s’engouffrant dans les invisibles galeries souterraines qui traversaient landes et villages pour venir gronder jusqu’ici, devait, murmurait-il, le ramener vers quelques épisodes mouvementés de sa vie à bord.
Il sortait son paquet de tabac, tassait deux, trois pincées au creux d’une fine feuille de papier qu’il roulait en une seconde avant d’actionner son briquet-tempête pour en griller une en l’honneur du bouffeur d’écume qui fut également, nous confiait-il, bien qu’asthmatique, l’un des plus fameux fumeurs du canton.
Il pensait tout haut. Pour lui, les morts ne l’étaient pas tout à fait. Il y avait dans l’enclos, au-dessus duquel tournoyaient des nuées de mouettes, de nombreux marins qui nous escortaient. Ils entendaient nos pas crisser sur les graviers. Aux disparus du dessous se joignaient les défunts pailletés de mystère, ces hommes qui ne gisaient pas dans les tombes. Leurs noms figuraient sur la pierre mais leurs corps, ensevelis sous les vagues, dérivaient pour l’instant dans d’invisibles bas-fonds.
« Eux, ils sont là et pas là », avançait-il en aspirant une longue bouffée. Il levait les yeux vers le ciel laiteux, juste derrière le clocher, en ajoutant qu’il n’était sûr de rien.
Je crois qu’il n’était pas loin de penser, porté par son esprit baladeur, que ces marins perdus s’assemblaient pour former des flottilles en mers lointaines. Il les voyait peut-être naviguer logés dans des cercueils à une place qui ressemblaient à de petites barques conçues pour effectuer de longs voyages, sans retour possible. Pour lui, les péris croisaient au large, dérivant à leur guise, revisitant des lieux qui leur étaient chers tandis que nous étions, nous les rêveurs de tombes, les heureux détenteurs des liens qui leur permettaient d’être simultanément présents en divers points du globe.
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C’est Lucien, le cafetier, qui me confia, des années plus tard, comment se terminaient ces soirées épiques. Tilly, après s’être chauffé, échauffé pendant des heures, se mettant en scène en jouant son propre rôle près du zinc, faisant mine de suer à grosses gouttes dans la torpeur moite de l’océan Indien ou de grelotter au passage du cap Horn, égrenant des noms de ports, sautillant de Hambourg à Maracaibo, de Gênes à Izmir ou de Rotterdam à Valparaiso, s’époumonant en courant de la salle des machines à la passerelle, multipliant les anecdotes, imitant les voix des gens d’Afrique ou de Chine, décrivant des côtes dentelées, des rizières, des terminaux parsemés de grues, des torchères jaillissant dans la nuit, revisitant quelques bordels au hasard, ne lésinant pas – gestes à l’appui – sur ses prouesses sexuelles, se rappelant même les prénoms, les parfums, les mensurations de certaines femmes, Tilly, l’intarissable, porté par ses cavalcades verbales, devenait subitement muet. Il s’arrêtait en plein milieu d’une phrase, se balançait d’avant en arrière, écartait ses bras, chancelait et s’agrippait au comptoir. Il clignait des paupières. On aurait dit qu’il souffrait d’un mal de mer carabiné. Ses yeux devenaient vides. Il regardait droit devant lui. Fixait les rangées de bouteilles alignées derrière le bar. S’absentait totalement. Le colosse ne savait plus où il se trouvait. Il dodelinait de la tête. Quelques buveurs le retenaient pour qu’il ne s’effondre pas.
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Dehors, le vent soufflait. Le bleu du ciel perçait. La fumée partait vers l’ouest. Elle flottait avec légèreté au-dessus des prairies et des vallées. Elle s’en allait vers l’océan. Passait, en frôlant la cime des arbres, à proximité de la rivière. Survolait le bourg, la fontaine, le cimetière et glisserait bientôt au-delà de la falaise pour s’aventurer vers le grand large avant la tombée de la nuit, portant en elle la part la plus secrète d’un voyageur ordinaire mais empêché.
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Ce qu’il faisait là-bas, dans ce port connu comme haut lieu de la pêche à la coquille Saint-Jacques l’hiver et pour son afflux de touristes en période estivale, restait assez énigmatique. On ne le voyait que le soir. Il revenait fatigué, parlant peu, notant, avant de manger, l’ensemble de ses interventions du jour sur un carnet qu’il gardait précieusement dans la poche de son bleu de travail. Après quoi, il ouvrait sa boîte à outils, y remettait de l’ordre et s’installait enfin à table. Je compris, peu à peu, qu’il passait son temps à effectuer des réparations chez les particuliers et des installations de circuits électriques dans des maisons en construction ou dans certaines entreprises. Il était méticuleux et se donnait à fond dans ce métier qui n’était pas celui qu’il avait choisi. Il avait dû s’y résoudre à cause d’une grave maladie qui avait anéanti ses rêves d’aventures maritimes. Depuis, il n’entretenait qu’un contact visuel avec la mer. Il ne l’approchait que du rivage, humant ses odeurs iodées en la longeant sur sa mob ou la découvrant derrière une baie vitrée, scintillante sous le soleil qui effleurait la crête des vagues ou sur le point de se former et de rugir sous un ciel bas, virant du leu roi au vert-bouteille, alors qu’il avait tant espéré y naviguer, y tracer sa route dans le sillage de son père, mon grand-père, qui lui avait transmis le virus, lui qui fut pendant une vingtaine d’années capitaine au long cours. Le vieux marin (qui revenait fréquemment dans les conversations) avait sillonné tous les océans de la planète, fait escale dans les plus grands ports du monde et terminé sa carrière en pilotant les navires étrangers qui stationnaient au large de Brest en attendant l’ordre d’entrée dans la rade. C’est lui qui prenait, dans les années vingt, la place des capitaines pour effectuer ces délicates manœuvres, dans une baie truffée de pièges, afin de mener ces mastodontes à quai.
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