« La pudeur des temps, les contraintes sociales et familiales leur laissaient peu de place pour ce genre de vision mais le dépaysement , ces étrangers inconnus , leur fréquentation plus de dix heures par jour entre les rangs de vigne , entraînaient vite les esprits vers des comportements libérés des interdits habituels ..
Une passade était fréquente, il fallait seulement faire attention . » ….
Une fois, Aymery raconta à Guillaume ce qui venait de se passer à Albi :
« Le prieur de la ville, Arnaud Catallan, a demandé au bayle de faire déterrer des cadavres. L’homme refusa, et bien, mon frère, c’est l’inquisiteur lui-même qui alla donner des coups de pioche avant d’être chassé par les bourgeois qui s’y opposèrent ! »
Partout et pour tout, le pays d’Oc était rabaissé, non au rang de vassal – car un vassal se respecte s’il respecte lui-même l’hommage qu’il a rendu – mais d’un pays en esclavage. Les bayles, en effet, ayant acheté leur charge voulaient récupérer leur mise ; alors, faisant comme le pratiquaient au niveau supérieur les viguiers, ils confisquaient ou taxaient à leur profit…; lors des collectes dont ils étaient chargés, tailles, amendes et droits divers, ils surévaluaient les sommes à payer, les augmentant sans discernement ou les fixant selon leurs préférences pour les uns ou les autres. Des plaintes arrivaient auprès du Comte, les consuls de certaines villes écrivaient même directement au roi ; des collecteurs d’impôts furent molestés et durent se faire accompagner de soldats.
Par rapport aux crimes et pillages des années précédentes, ces exactions étaient minimes mais elles exaspéraient le peuple qui connaît le prix du travail.
« Sitôt au sol , des hommes s’étiraient ou accomplissaient quelques gestes de décontraction bienvenus après les douze kilomètres parcourus assis sur des bancs de bois ou à même le plancher .
Certains aidaient les femmes à descendre en les attrapant par les aisselles tandis que deux volontaires restés dans le camion passaient par - dessus les ridelles » .
« Mais , décidément il hésitait , hésitait ….
Château Brezon , propriété de famille dirigée par toits une lignée fière de so nom , allait tomber entre les mains d’un bâtard ! .
À tout prendre …..pourquoi pas après tout !
Rien que de se représenter sa cousine prenant possession du domaine, vautrant sa graisse dans ses fauteuils …….il fulminait .
D’un autre côté il jouissait d’avance à l’idée de la tête qu’elle ferait et son mari donc!
En apprenant qu’il avait reconnu Albert .
Les femmes avaient déjà dans l'esprit le travail qui les attendait comme à chaque retour à la maison : la pile de linge sale, les journées de repassage et parfois le mari intempérant et brutal.
Château-Brezon n'était qu'une étape, un arrêt parmi d'autres, et les soucis allaient recommencer après quelques jours où les repas étaient tout prêts trois fois par jour et où on ne se préoccupait pas du ménage.
Quant aux hommes, après ce temps de vendanges sans chef d'atelier, sans contremaître sur le dos, sans ordres ni remarques, libres au grand air, pouvant discuter sans craindre le geste maladroit face aux lames d'une machine ou d'un outil, ils avaient en général goutté cet entracte dans leur vie plus sereinement que les femmes.
Le Berliet transportant l'équipe de vendangeurs arriva vers 20 heures.
En habitué, sitôt le porche franchi, le chauffeur tourna sur la droite pour aller stationner devant la grange et fermait le coté est de la cour du Château Brezon, domaine de M. Rodolphe de Beauvoir-Lacoste, propriétaire récoltant.
C'était comme ça depuis toujours et, malgré quelques changements ici ou là, les traditions perduraient, les bras étant toujours les bienvenus tant que la machine n'avait pas pris leur place.
Sans état d'âme, tous repartaient vers leur " chez-eux" pour un quotidien humble, dans une économie modeste.
Ces petits malheurs, ces coups, ces entailles, ces "tours de reins", les yeux qui brûlent à cause d'un début de conjonctivite due au soleil, ne donnaient pas lieu à des arrêts dans le travail. Chacun était conscient que les 30 francs par jour plus la prime éventuelle en fin de vendanges obligeaient à une activité permanente. Quand l'un d'eux rechignait à l'ouvrage, le regard des autres en disait long. Il y avait émulation mais aussi l'amour-propre. Pas question qu'une femme ait un meilleur rendement qu'un homme....
Il fallait donc résister, être dur au mal, serrer les dents, oublier ses contractures et, en toutes circonstances, faire bonne figure.
Les remorques de vendanges arrivaient régulièrement dans la cour.
L'attelage s'engageait sur un plan incliné, s'enfilait par une large porte et une fois le chargement déposé, Albert repartait sans attendre poster le tracteur de façon à recevoir à nouveau le contenu des hottes des porteurs. Et les rotations se succédaient.
Le vieux Massey-Harris rouge, pétaradant et fumant, était toujours bon pour le service. Chaque soir, Albert était quand même bien obligé de le garer en haut de la cour, face à la pente pour, le lendemain matin, faciliter son départ tout en démarrant directement en seconde - si ce dernier voulait bien, cependant.
Auprès du Berliet c'était l'effervescence, la bonne humeur régnait : la prime promise avait été versée.
Les conversations allaient bon train...
"Alors, on se voit en octobre à l'usine aux champignons....Je dois y être le 6.
- Moi, je pars aux châtaignes d'ici quinze jours. Ça me changera de la vigne !"
Et ainsi selon les besoins du ménage, les grossesses, l'état de santé, régulièrement les uns, épisodiquement pour les autres, la vie continuait, simple et contraignante.