On l'entendra mieux si, pour éclairage indirect, l'on met en avant une autre de nos inclinations particulières, mettons l'amour. Inné et irrationnel, il pousse irrésistiblement chacun de nous vers un "autre", à notre portée, dans lequel nous pressentons obscurément comme un enrichissement de notre personne, qu'il nous faut rechercher et nous approprier à toute force. Ce qui légitime et justifie de même la Religion ne se trouve pas, lui, à notre niveau, sur notre plan, disons "horizontal", mais, pour ainsi parler, "vertical", au-dessus de nous. C'est l'attraction irréfléchie, et intime, d'autant plus forte qu'elle est instinctive et imprécise, qui nous oriente vers quelque chose, non pas d'accessible, mais qui nous dépasse totalement : la vague appréhension, l'obscur pressentiment qu'il existe, beaucoup plus haut, beaucoup plus grand que nous, un ordre de choses indéfini, absolument supérieur à nous et à tout ce que nous connaissons ici-bas, mais à quoi nous sommes en quelque sorte impulsivement enclins à nous soumettre, vers qui nous nous sentons poussés à nous tourner, si nous voulons nous accomplir nous-mêmes. Cet "ordre de choses" (que je désigne ainsi parce qu'il nous apparaît, d'abord, ontologiquement indéterminé : ni personnalisé, ni impersonnel), c'est ce que, faute de mieux, on appelle le Surnaturel, mais aussi le Sacré, le Numineux, le Divin - objet premier de la Religion, et sans quoi elle n'existerait pas, n'ayant aucune raison d'être.
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