Hommage de Pierre-Yves Canu à Jean Cavaillès.
Le corps d'une théorie est une certaine homogénéité opératoire que décrit la présentation axiomatique - mais lorsqu'elle emporte l'infini, l'itération et les complications fournissent des résultats et un système intelligible de contenus impossibles à dominer et une nécessité interne l'oblige à se dépasser par un élargissement, d'ailleurs imprévisible et qui n'apparaît élargissement qu'après coup. Il n'y a pas plus de juxtaposition que de fixation initiale, c'est le corps entier des mathématiques qui se développe d'un seul mouvement à travers étapes et sous formes diverses, c'est lui également qui tout entier, y compris artifices techniques, accomplit ou non la même fonction de connaissance. La connaissance, si la mathématique en procure, ne peut être que déduction.
D'où à toute étape la distinction entre matière, la singularité origine, et forme, le sens actuel. D'où, en projetant dans l'absolu, une distinction qui se ferait d'un bout à l'autre de l'enchaînement général, comme une faille continue à travers les nœuds des distinctions particulières. Imagination favorisée par le langage, conséquence aussi parfois d'une ontologie. On en voit l'illégitimité puisqu'elle méconnaît ce qu'elle généralise, le moteur du passage nécessairement pro- gressif de l'acte à son sens : il n'y a pas de sens sans acte, pas de nouvel acte sans le sens qui l'engendre.
Le terme de conscience ne comporte pas d'univocité d'application - pas plus que la chose, d'unité isolable. Il n'y a pas une conscience génératrice de ses produits, ou simplement immanente à eux, mais elle est chaque fois dans l'immédiat de l'idée, perdue en elle et se perdant avec elle et ne se liant avec d'autres consciences (ce qu'on serait tenté d'appeler d'autres moments de la conscience) que par les liens internes des idées auxquelles celles-ci appartiennent. Le progrès est matériel ou entre essences singulières, son moteur l'exigence de dépassement de chacune d'elles. Ce n'est pas une philosophie de la conscience mais une philosophie du concept qui peut donner une doctrine de la science. La nécessité génératrice n'est pas celle d'une activité, mais d'une dialectique.
Hors des applications, il n'y a pas de connaissance mathématique : la mathématique consciente de sa signification originelle, c'est-à-dire de ce qu'elle est authentiquement, se scinde en deux: la mathématique appliquée qui est physique, la mathématique formelle qui est logique.
Une théorie de la science ne peut être que la théorie de l'unité de la science.