Son écriture dépouillée et profonde, outre sa valeur littéraire indéniable, porte un dire d’une infinie pudeur qui, n'excluant ni la netteté, ni le front haut, possède par là même un pouvoir d'émotion énorme. Ce petit garçon terrifié, qui fraternise avec les mauvaises herbes, s'invente une reine, ne sait pas pourquoi il est "autre" - ou veut l’ignorer par peur de l'abandon, par besoin de s'intégrer- bouleverse le lecteur en toute économie d’effets. Aucun pathos gluant, rien de complaisant ni de voyeur.
En supplément d’âme s’y trouve a à tout instant une poésie qui danse, et cette omniprésence, sans faire du livre une œuvre poétique et seulement cela, car un livre uniquement fait de style ne se suffit pas, donne au récit un relief singulier. « Les jonquilles cueillies dans les forêts de mon enfance ne se fanent pas. Sur une place ensoleillée de ma mémoire, la fontaine d’or coule toujours.» A la neige : « En rêve, j’écris à l’encre blanche pour te revoir tomber » . Et la justesse, toujours, celle d’un grand observateur, ou plutôt bien au-delà du simple regard, les sens en éveil du contemplatif ; ces mots en témoignent, qui parleront à tous les lunaires : « L’enfant dans la lune répond « absent » à l’appel et dit « non merci » au monde ». A ceux qui écrivent : « Les visages, les jours, les étoiles filantes. Avec leurs poussières mélangées à mon sang qui se souvient, je fais de l’encre ». A ceux qui doutent, entre peur et envie : « La vie tombe en pluie. Mon âme ancienne craint l’orage, l’enfant en moi court dessous. »
Invictus, le beau poème de William Ernest Henley, dont les mots ont tant aidé Mandela à tenir dans sa prison, s’invite en écho.
Dans les ténèbres qui m’enserrent
Noires comme un puits où l’on se noie
Je remercie les dieux quels qu’ils soient
Pour mon âme invincible et fière
Car si l’histoire contée ici est douloureuse, l’espoir n’est pas absent : il se tient là, bien là, en fil rouge de tout le récit. Au-delà de la peur, du refus inconscient d’être soi, des railleries et du rejet (qui n’est jamais détaillé dans la forme : seuls apparaissent ses effets, dévastateurs, sur une sensibilité à fleur de peau et d’os, sur une différence qui ne sait pas encore se nommer), le lecteur sent toujours que quelque chose va bouger, que ce temps torturant va forcément, un jour où l’autre, s’éloigner. La pudeur, toujours elle, tenant lieu de boussole, on sait, en quelques phrases, que c’est chose faite. Car ce cœur indestructible n’est plus seul. Enfin.
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