Je me penche sur la lumière rouge
des coquelicots,
elle m'éclaire un instant
sur le bord du chemin,
je la laisse où elle est
parmi d'autres mystères
qui n'ont pas eu le temps d'éclore,
je ne veux rien déranger,
rien arracher,
je crois en la beauté fragile
qui se fane
sitôt qu'on voudrait la cueillir
et la garder pour soi.
De ses branches
qui lentement s'éclairent,
de ses pinceaux de cerisiers,
l'aube a repeint le ciel,
le jardin,
les pierres,
ses couleurs peu à peu
ont rhabillé la terre
où il faisait si froid.
Une brassée d'herbes nues
Extrait 3
Et c'est une enfance bleue.
Nous nous tenons au bord
des apparitions, comme éconduits
comme précaires, sans oser
prendre part aux battements.
Nous sommes d'un chemin froid
menant aux peurs, aux arrachements.
Radiés des nuées d'insectes, des vols
d'étourneaux, des baisers,
des fièvres, nous sommes d'un autre
jour, d'une autre lumière
brûlant tout
sur son passage de nerfs et d'os.
p.12-13
Je suis du silence…
Extrait 2
je suis de même rive,
de même errance,
de même humiliation,
de même boue
que ceux qu’on insulte
et qu’on trie,
nous sommes de même voix,
de même amertume,
de même saccage,
leurs barreaux sont les miens,
leurs barbelés,
leurs corps maigres,
leur soif est ma soif,
je suis inlassablement
l’étranger
roué de coups à Calais,
qu’on a soigné,
remis sur pied
et qu’on raccompagne aux frontières,
je suis le corps
de ceux qu’on repêche,
dont l’image nous émeut
et qu’on enterre à la hâte,
je suis leur visage,
leur fatigue,
leur peur,
inexorablement,
et je porte leur nom.
Pourquoi chercher refuge…
Pourquoi chercher refuge,
tourner le dos
à la nuit qui vient ?
Quel abri,
quel secours
attendre ?
Je voudrais être là,
simplement,
sans jeter d’images.
Sans avoir à frapper
aux portes du langage.
Simplement m’éprendre.
Ne froisser,
à aucun prix,
la robe des choses tues.
Nulle menace.
Nul effacement
de ce qui a été.
La maison, cet après-midi…
La maison, cet après-midi,
s’est laissée prendre
comme une mouche
dans la tristesse
aux paumes grises.
L’obscur, un homme
lui jette peu à peu
ses lueurs, sa voix.
Se peut-il que l’on règne
sur de si grands
territoires d’opacité ?
L’obscur, un homme
y perpétue la douleur,
les remuements.
Il ne nous est plus permis
à présent de voir
clair dans cet amas
d’os et de larmes.
Un homme soudain
n’est plus rien que sa
peur, elle le creuse,
fait de lui un
immense fossé
ruminant au ras des routes.
Il n’est plus en lui
de lieux de semaison.
La folie, maintenant, le défigure.
Le monde, laissé
dans l’inquiétude
des chemins
vides,
s’est réduit
à une chaise, un lit
et quelques pots de fleurs.
Je suis du silence…
Extrait 1
Je suis du silence
de ceux-là
qui traversent nos vies
sans laisser de traces,
de ceux qu’on a secourus,
alignés, comptés, accusés,
à qui l’on a donné
des vêtements chauds,
de l’espoir,
une tente dans la boue,
j’ai dans le sang leur nuit,
les frontières,
le racket, la torture, le viol
en attendant de passer,
…
Il est des vies inquiètes…
Il est des vies inquiètes
retenues dans l’ombre,
des jardins, des êtres
cousus de silence.
Il faudrait baisser la voix
pour dissiper tant de brumes.
Il faudrait baisser la voix
devant tant de beauté peureuse
purgeant sa peine dans le gel.
Comme enfant tu essayais
toutes les pierres du ruisseau une à une,
avant de traverser, tu saurais
reconnaître le chemin de l’épervier
dans sa chute lointaine.
Tu saurais faire un feu
de ta propre chute hors des choses
apprises, revenir aux clartés
semées là, au hasard du cerfeuil.
Le jardin cette nuit s’est voilé
d’une trop grande
montée d’énigme.
Puise dans tes réserves d’aube,
dans l’inaccompli, de quoi survivre
au poids
de tant d’opacité.
Une brassée d'herbes nues
Extrait 2
À peine remis de tes fureurs,
tu voudrais saisir, serrer,
entre tes mailles
l'offrande de lumière,
comme s'il était possible
une autre fois
de se mêler aux naissances
muettes, aux baisers, aux sèves,
comme si nous étions
de cette poussée, de cet instant
aimé, comme si la mort
déjà
n'avait troué la page
que l'on tourne
et le linge que l'on étend
au matin des mots.
p.11
Je voudrais rendre au matin…
Je voudrais rendre au matin
toute la lumière
que je lui dois,
à la pluie d’été
un peu de sa
fraîcheur,
tendre au cerisier une main
nue, ouverte comme
une nuit d’avril,
au myosotis
tout le bleu des
regards,
je voudrais être l’ami
de ce qui m’est donné
chaque jour
à aimer.