Michel Foucault
Georges CHARBONNIER reçoit
Michel FOUCAULT à l'occasion de la sortie de son livre "
L'Archéologie du savoir".
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Michel FOUCAULT, auteur du livre explique la signification du mot archéologue - son intention de faire la description des formes et du fonctionnement du
discours dans une
civilisation (5'00).
- A 5'08 : Débat avec
Michel FOUCAULT ;
Jean DUVIGNAUD, Professeur au
collège...
LE « BON À RIEN »
Extrait 1/3
Scènes de la vie d'un propre-à-rien :
c'est le récit d'Eichendorff, un
romantique d'après le romantisme.
Taugenicht. L'homme-rien, l'homme
sans grade, sans argent et sans désir
d'en avoir, qui vagabonde de Vienne à
Rome avec un violon, à la poursuite
du bonheur. Il ne possède rien que lui-
même, sans trop s'aimer, et s'ouvre au
hasard.
L'homme-rien. Une lignée de per-
sonnage imaginaire dans cette Europe
où s'impose l'industrie et la rentabi-
lité. Depuis Jacques le Fataliste ou le
neveu de Rameau, Diderot l'incasable,
le Woyzeck de Büchner – premier pro-
létaire héros de théâtre – jusqu'à Musil
et "l'homme sans qualités" (Eigenschaf-
ten serait plutôt "sans trait particulier"),
jusqu'à Kafka ou Beckett, en passant
par Dada et "l'étranger" de Camus,
l'écriture se cherche hors des sentiers
battus des héros titrés….
p.113-114
Tout sociologue commence par s'interroger sur la sociologie.
LE « BON À RIEN »
Extrait 3/3
Dérisoire… Ne pouvons-nous rire
de l'agitation des marionnettes enchaî-
nées à la logique mécanique des causes
et des effets, des enchaînements qui
composent le spectre d'un passé, d'un
héritage – une histoire où tout s'arti-
cule selon un destin ? Rire de cette
obsession de prolonger une fable origi-
nelle, d'obéïr à l'incitation des mythes fon-
dateurs ou de l'idée que l'on se fait du
devoir-être d'un Etat, d'une nation, d'une
économie, d'une politique, d'un détermi-
nisme de classe ou d'intérêt, d'archétypes
insurmontables – spectres ou monstres
investissant l'innocence hypocrite de la
vie présente. L'espèce humaine paraît
asservie au remugle de l'archaïsme. " Les
ancêtres redoublent de férocité !" s'écrie
Kateb Yacine.
p.115
LE « BON À RIEN »
Extrait 2/3
Voulons-nous vraiment servir à
quelque chose, nous, avec nos réf-
rences, nos qualités – hérédité, titre,
rang, bagarres gagnées ou perdues ‒,
un passé racontable où nous avons,
croyons-nous, assumé une condition,
un rôle, une fonction ? Cela n'est rien au
regard des moments de plaisir, de bon-
heur, des rencontres, du foisonnement
du corps et de la pensée, chaque fois
différents et toujours éphémères comme
tout ce qui ressortit au sous-texte de
l'imagerie officielle des évènements.
Alors, dérisoire apparaît l'illusion de se
momifier tout vif dans un état, une
fonction, le succès d'une politique ou
d'une rentabilité….
p.114-115
Quand on s'interroge avec une certaine rigueur sur les livres qui, dans le domaine de la réflexion, ont, depuis quelques décades, touché en profondeur le public cultivé, on est frappé de voir combien les ouvrages de philosophie pure ou de métaphysique occupent peu de place dans une trop brève liste...
La raison en est peut-être comme on l'a dit parfois, que la philosophie est morte avec Hegel; mais ce n'est pas assurément, si l'on pense à Husserl, à Bergson.
Ecrire, c'est plus qu'écrire : aucun but matériel pour l'exercice de cette "profession délirante". Ecrire pour s'arracher à la confusion, à l'oubli et donner forme à une confusion familière et provocante. Cela, seulement, nous a rapprochés, rendus complices l'un de l'autre jusqu'au dernier jour. Nous nous entendions à demi-mot, si différentes étaient nos démarches : une longue conversation entrecoupée d'absences.
En 1973, nous avons publié une revue : "Cause Commune". A trois : Virilio, Perec et moi. (...) Virilio vient de l'Ecole spéciale d'architecture. La genèse et la mutation des formes le fascinent, telles qu'elles obéissent aux incitations guerrières, politiques et rarement au tout-venant de la vie. Le regard de l'homme sur l'homme au ras de terre, et il inventera ce mot d'"infra-ordinaire" pour évoquer ce labyrinthe de sens et de familiarité dont ne se préoccupent guère ni les pouvoirs, ni les acteurs de l'histoire. Il ne charrie pas de concepts, il suit des pistes, rêve, s'indigne, prend l'air du temps.
Perec et lui s'accordent. Ils marchent longtemps à travers Paris, et tous deux sont des urbains, des habitants de l'étendue mouvante des rues, des multiples regards qui s'y croisent, des lieux où l'on apprend la vie. Ils sont étonnants : Perec, sa barbe et cette blouse blanche qu'il porte, Virilio, à peine plus petit, et la mine d'un messager des dieux de l'Olympe.
Le don qui, dépouillé de nos idées de négoce ou de commerce, est bien le « sacrifice inutile », le pari sur l’impossible, l’avenir – le don du rien. La meilleure part de l’homme.