Jean-François Chabas

Le soleil, qui n’apparaissait en halo qu’à travers les nuages, n’était pas encore à son zénith quand le bateau a heurté un obstacle. Il a arrêté net sa course, comme s’il avait rencontré un mur. Jen et moi avons été précipités l’un contre l’autre comme des quilles, et nous avons manqué passer par-dessus la proue. C’est ainsi que j’ai vu l’œil. Un œil énorme, qui nous fixait de la surface des eaux bouillonneuses. De stupéfaction, j’ai ouvert grand la bouche. L’océan furieux m’a aussitôt fait avaler un paquet d’eau salée, et j’ai hoqueté. L’œil était noir et aigue-marine. Il brillait d’intelligence, de la connaissance de toute chose. Cet œil était celui de l’univers. Le monde me regardait.
(...)
Je le savais, bien entendu. Je savais que nous avions heurté une baleine. Cependant cet oeil m'avait tant bouleversé : j'y avais découvert l'universelle sagesse. J'espérais que le grand animal n'avait pas été blessé. Qu'il pourrait continuer sa course dans les fonds liquides, où il ferait commerce de sa puissance.
pp.45-46