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Citation de Woland


Woland
12 septembre 2017
[...] ... - (...) Quand nous sommes arrivés dans ce pays, la population était exploitée depuis des siècles par le mandarin, le chef de canton et toute une pouillerie administrative. Nous sommes venus, et au moins peut-on dire qu'une certaine paix régna. Plus de razzias, plus de pirates incendiant les paillottes, volant le bétail et emmenant les femmes ; plus de petits despotes levant l'impôt à leur gré ... Ton père a transformé ce pays, il a révélé sa richesse et cela reste à son crédit. Il a ouvert des routes, créé deux hôpitaux, assaini les marais, doté toutes les écoles techniques de la région et certains collèges vivent encore de ses dons ..."

J'avais haussé les épaules, car je savais bien ce que recouvraient les bienfaits de mon père. Jellanet leva la main.

- " ... On l'a trop souvent dit et redit, et cela peut te paraître naïf, bien sûr, mais je crois que les gestes concrets demeurent, et, à mes yeux, ils valent mieux que ces bonnes intentions dont l'Enfer, dit-on, est pavé ... Et puis, ce système colonial que l'on condamne aujourd'hui, il faudrait peut-être, pour être équitable, le replacer dans son cadre véritable, qui n'est pas celui de ces dernières années. Pendant plusieurs siècles, il a répondu à une nécessité car il a permis d'absorber l'énorme vitalité d'une Europe dans le plein de son éclat qui se lançait à la découverte du monde. Et cette nécessité, née d'un déséquilibre, d'un excès de force, cet appétit en vaut bien d'autres. Il est là, comme la puissance du fauve ou les cyclones de février ; et les morales qui viennent après coup, alors que les conditions ont changé, ont beau jeu ..."

Jellanet posa son verre sur la table.

- "... Aujourd'hui, la mode veut que l'on ne considère plus que les défauts du système depuis quelques années, mais on oublie ce que ce système a apporté, non seulement aux colons mais aux indigènes. Il faut attendre que les esprits se soient calmés et dans un siècle, peut-être moins, il n'est pas impossible qu'on fasse des héros d'hommes comme ton père. Et, après tout, je me demande si par la violence de leur nature, l'ampleur de leurs conceptions, leur égoïsme qui, par sa démesure même, finissait par rejoindre le souci du bien commun, ils n'auront pas mérité d'être distingués des autres hommes. Ils auront été grands à leur manière, ils auront eu un destin d'exception, avec les servitudes de cette sorte de destins, et cela n'est pas si commun ..."

Jellanet poursuivit et un peu de colère passa dans sa voix :

- "Les journaux de France arrivent ici avec quelques semaines de retard, mais les soirées sont longues et j'ai le temps de les lire. J'ai passé presque toute ma vie dans ce pays et j'espère bien y mourir. Je sais comment je l'ai trouvé ; je sais ce que des gens comme ton père, en croyant servir leurs seuls intérêts, en ont fait. Je sais aussi que le système ne vaut plus rien et qu'il est bon qu'il disparaisse car il a fait son temps, mais je juge méprisable la politique du coup de pied de l'âne et je vois chez ceux qui s'acharnent contre ce qui doit disparaître inévitablement un signe de médiocrité."

Jellanet planta son regard dans le mien. Il ajouta avec calme :

- "Je sais quelles sont tes opinions, combien elles diffèrent des miennes et c'est pourquoi je t'ai dit ce que je pensais. Nous avons fait notre temps, nous avons fait aussi de notre mieux, en dépit des erreurs que nous avons commises et nous n'acceptons pas que ceux qui n'ont rien fait nous jugent et voient en nous la plus mauvaise part d'une nation. Une époque est jugée par celle qui la suit, et, sachant cela, je préfère encore ma place à la vôtre ..." ... [...]
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