Etoiles Notabénistes : ******
ISBN : 9782221101919
Dernier volume de la saga sur l'Indochine réalisée par
Jean Hougron, cette "Terre du Barbare" la clôt en beauté même si, pendant un temps plus ou moins long, le lecteur a bien du mal à s'attacher à son héros, Paul Couvray, le "petit Couvray" comme le surnomme, avec une ironie non exempte de tendresse, l'ancien ingénieur de son père, Mallart. J'ai pris un peu de temps pour réfléchir à ce qui m'a si longtemps gênée et même violemment agacée en ce héros dont je comprenais pourtant fort bien le rejet de toute autorité, inspirée par la haine qu'il vouait à son père, le "grand" Antoine Couvray, mais à qui, pour une fois, je ne parvenais pas à m'identifier.
C'est que, dans "
La Terre du Barbare", Hougron met son lecteur, et plus encore le lecteur fidèle, celui qui a lu l'intégrale de ses romans consacrés à l'Indochine, au pied du mur : le Viêt-minh s'apprête à envahir le Laos, le Viêt-minh s'apprête en fait à l'emporter et il nous faut choisir notre camp. Certes, à l'époque où il écrivait ses romans, Hougron ne se doutait pas que beaucoup de ses futurs lecteurs les liraient sous l'Ere Macron et après les désastreux quinquennats que l'on sait, avec, jusque sur notre propre territoire, un ennemi qui veut notre peau de Blancs, de Chrétiens et d'Athées, et que nos gouvernants-serpillières accueillent à bras ouverts. Il ne savait pas non plus que Paris serait envahi par toutes sortes de rats. Il envisageait encore moins que de pauvres extrémistes de l'Autoflagellation en arriveraient à vouloir déboulonner les statues de Robert E. Lee, qui affranchit les esclaves des domaines apportés en dot par sa femme ... et, chez nous, de Colbert, l'un de nos plus grands ministres. Pas une minute il ne songeait que la guerre civile, cette guerre civile qu'il avait connue sous l'Occupation, se réveillerait dans nos villes, dans nos villages, prête à nous faire le plus de mal possible. Non : il ne savait pas ...
Le pressentait-il ? Si oui, c'était certainement très flou. En tous cas, ce qu'il savait déjà, c'est qu'une certaine civilisation chercherait à exterminer la civilisation occidentale.
En cette année 2017, le choix posé par Hougron est-il si difficile ? J'en étonnerai peut-être quelques uns mais, en un sens, il ne m'a pas été simple - nous sommes vraiment de bien drôles d'animaux . Et puis, bien sûr, au fur et à mesure que Paul Couvray s'affirmait, qu'il révélait en fait, face au danger qui montait, la puissance de tout ce qui le rattachait à la personnalité autoritaire, parfois tyrannique, certes cynique (on ne fait pas d'affaires sans cynisme) de son géniteur, au fur et à mesure que ce faible, qui me rappelait les soixante-huitards et les attardés des campus américains qui réclamaient "la paix au Viêt-nam", revenait à son état originel, un Français fier de son identité culturelle et qui assumait aussi bien les défauts que les qualités de celle-ci, tout s'est fait plus facile : j'ai regagné le giron que j'avais choisi, pour d'autres raisons et pour me préserver d'une autre civilisation qui, aujourd'hui, menace autant, sinon plus l'Occident, que ne le faisaient, dans les années cinquante, le Viêt-minh et l'idéologie communiste qu'il véhiculait J'ajouterai d'ailleurs que le Viêt-minh, pas plus que les communistes, ne se sont jamais autorisés à se réclamer de la parole de Dieu pour massacrer ceux qui ne partageaient pas leur avis lol! .
Si je n'ai pas grand chose à voir avec le Paul Coudray première version, si obnubilé par la personnalité hypertrophiée de son père et plus encore par ses défauts qu'il s'aveugle à dessein sur ce qu'il avait de puissant et de combatif, en revanche, je suis à cent pour cent pour le Paul Coudray des derniers chapitres, celui qui comprend - on ne l'espérait plus ! - que les autorités (occidentales comme orientales) ont trop laissé pourrir la situation pour pouvoir la redresser et que, malgré toute sa bonne volonté et les idées qu'il se fait sur la liberté et les Droits de l'homme, sa qualité de Blanc et de Français ne peut le mener, en tout cas s'il veut conserver son intégrité morale, qu'à une seule issue : le retour à la civilisation qui lui a donné vie et lui a permis d'être ce qu'il est. Paul ne revient peut-être pas au Père mais il revient auprès de lui pour combattre, pour chercher "qui aimer et qui dévorer" et, le cas échéant, pour mourir.
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La Terre du Barbare" est le roman de l'Histoire en marche, le roman du Chaos qui s'installe, dans les idées, parmi les différentes peuplades (les Laotiens ne supportent pas les Annamites), celui aussi de l'Effondrement d'un monde que la mondialisation atroce de la guerre 39-45 avait déjà touché en plein coeur - le roman enfin d'un Renouveau qu'il faudra bien que, tous ensemble ou chacun de son côté, les acteurs de la Guerre d'Indochine fassent naître et fleurir. Et l'ironie de l'Histoire veut que le monde qui s'apprête à se créer dans "
La Terre du Barbare", est en ce moment-même, sous l'effet d'une autre mondialisation, celle-là économique (plus que religieuse car la religion n'est ici que prétexte), en train de nous faire ses adieux. Comme nous sommes dans l'oeil du cyclone, certains affirment ne pas s'en apercevoir tandis que les autruches, éternelles, s'enfouissent la tête dans le sable. Les plus lucides, eux, ne se font pas d'illusion mais songent déjà à l'Avenir. Et c'est cela qu'il nous faut retenir.
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La Terre du Barbare" était à l'origine un simple roman, qui racontait la fin d'un monde. Lu aujourd'hui, il dérange mais remet aussi les aiguilles à l'heure. le monde qui s'éteint sous nos yeux est la continuation de celui qui agonise dans le livre de Hougron - encore n'est-ce que le début de son agonie car, sûrs et certains de leur droit, les Américains vont bientôt se pointer en Indochine (dont ils ont aidé les Viêts à nous chasser : renseignez-vous dans les livres d'Histoire dignes de ce nom, visionnez la version intégrale d'"Apocalypse Now" et vous comprendrez que je n'invente pas) . Ce n'est d'ailleurs pas par hasard que Hougron introduit dans son roman le personnage du pasteur Américain Hallings, très préoccupé des droits de la population indigène ... Droits qui seront plus tard réglés au napalm ... Mais ceci est une autre histoire ...
Une petite vue d'ensemble de l'intrigue maintenant : Paul Couvray est le fils aîné d'Antoine Couvray, grand colon venu prospecter en Indochine avec son ami Jellanet dès les années 1910. Très tôt, Paul s'est mis à rejeter tout ce que représentait son père, homme très froid et très autoritaire, dont la fuite de son épouse, retournée en France après même pas dix ans de mariage, n'a pas arrangé le caractère. Obsédé par le travail, Antoine Couvray a créé, sur une concession qui s'appelait jadis (pour certaines raisons) "
la Terre du Barbare", une magnifique propriété dont la fortune repose avant tout sur les plantations de caféiers, puis sur la découverte d'un gisement d'étain et sur la production de benjoin. Homme d'affaires-né, Antoine Couvray n'a jamais rien donné sans contrepartie. Mais des routes, des hôpitaux, une amélioration certaine du niveau de vie des indigènes les plus pauvres, tout cela reste après son assassinat pour témoigner que, malgré tout, il a accompli des choses positives. Son fils passe les trente premières années de sa vie à lui reprocher les intentions, dominées par l'intérêt et le pouvoir, qui l'ont poussé à accomplir tout cela. Ce n'est qu'à la fin du livre qu'il se rend compte que peu importent les intentions si elles débouchent sur quelque chose de positif. Après tout, c'est l'Enfer qui est est pavé de bonnes intentions. L'Enfer et lui seul.
Par delà la réussite d'Antoine Couvray et la re-découverte de son père qu'accomplit Paul, à qui Antoine a d'ailleurs légué toute sa fortune (et, même après l'abandon du Domaine, elle restera des plus conséquentes), c'est sur celle de la France dans ses colonies asiatiques que nous invite à réfléchir
Jean Hougron. Réussite ou échec ? Les deux peut-être. Et les intentions qui guidaient tout ça ? Bonnes ou mauvaises ? Et les pourris, les vendus, les planqués, tous ceux-là n'étaient-ils que des Blancs ? ...
A vous de lire, à vous de voir, à vous de vous faire votre opinion. La mienne l'était depuis déjà un certain temps - pour des raisons qui n'avaient pas vraiment de rapports directs avec l'Indochine française. Elle jaillit de cette lecture confortée en fierté et en détermination. En résumé, "La Nuit Indochinoise", qui n'occulte aucun des aspects de la colonisation française en Cochinchine et qui désigne très rarement à la vindicte un personnage bien précis, quelle que soit la couleur de sa peau, est une fresque flamboyante et poétique que, plus que jamais à notre époque et demain, nous devons faire connaître et apprécier. Merci de contribuer à cet effort. ;o)