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EAN : SIE291276_964
Le Livre de Poche (30/11/-1)
3.62/5   21 notes
Résumé :


Rien, dans la vie de Jean Hougron, jeune professeur de vingt-trois ans au pensionnat Saint-Pierre de Dreux, ne laissait prévoir qu'il partirait pour l'Indochine, en juin 1947, engagé par une maison d'import-export pour vendre des boîtes de lait concentré, des sardines à la tomate et des bouteilles de champagne en grande quantité.

Fasciné par Saigon qui explose sous le poids des réfugiés et profite des affaires florissantes que la Fran... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Etoiles Notabénistes : ******

ISBN : 9782221101919

Dernier volume de la saga sur l'Indochine réalisée par Jean Hougron, cette "Terre du Barbare" la clôt en beauté même si, pendant un temps plus ou moins long, le lecteur a bien du mal à s'attacher à son héros, Paul Couvray, le "petit Couvray" comme le surnomme, avec une ironie non exempte de tendresse, l'ancien ingénieur de son père, Mallart. J'ai pris un peu de temps pour réfléchir à ce qui m'a si longtemps gênée et même violemment agacée en ce héros dont je comprenais pourtant fort bien le rejet de toute autorité, inspirée par la haine qu'il vouait à son père, le "grand" Antoine Couvray, mais à qui, pour une fois, je ne parvenais pas à m'identifier.

C'est que, dans "La Terre du Barbare", Hougron met son lecteur, et plus encore le lecteur fidèle, celui qui a lu l'intégrale de ses romans consacrés à l'Indochine, au pied du mur : le Viêt-minh s'apprête à envahir le Laos, le Viêt-minh s'apprête en fait à l'emporter et il nous faut choisir notre camp. Certes, à l'époque où il écrivait ses romans, Hougron ne se doutait pas que beaucoup de ses futurs lecteurs les liraient sous l'Ere Macron et après les désastreux quinquennats que l'on sait, avec, jusque sur notre propre territoire, un ennemi qui veut notre peau de Blancs, de Chrétiens et d'Athées, et que nos gouvernants-serpillières accueillent à bras ouverts. Il ne savait pas non plus que Paris serait envahi par toutes sortes de rats. Il envisageait encore moins que de pauvres extrémistes de l'Autoflagellation en arriveraient à vouloir déboulonner les statues de Robert E. Lee, qui affranchit les esclaves des domaines apportés en dot par sa femme ... et, chez nous, de Colbert, l'un de nos plus grands ministres. Pas une minute il ne songeait que la guerre civile, cette guerre civile qu'il avait connue sous l'Occupation, se réveillerait dans nos villes, dans nos villages, prête à nous faire le plus de mal possible. Non : il ne savait pas ...

Le pressentait-il ? Si oui, c'était certainement très flou. En tous cas, ce qu'il savait déjà, c'est qu'une certaine civilisation chercherait à exterminer la civilisation occidentale.

En cette année 2017, le choix posé par Hougron est-il si difficile ? J'en étonnerai peut-être quelques uns mais, en un sens, il ne m'a pas été simple - nous sommes vraiment de bien drôles d'animaux . Et puis, bien sûr, au fur et à mesure que Paul Couvray s'affirmait, qu'il révélait en fait, face au danger qui montait, la puissance de tout ce qui le rattachait à la personnalité autoritaire, parfois tyrannique, certes cynique (on ne fait pas d'affaires sans cynisme) de son géniteur, au fur et à mesure que ce faible, qui me rappelait les soixante-huitards et les attardés des campus américains qui réclamaient "la paix au Viêt-nam", revenait à son état originel, un Français fier de son identité culturelle et qui assumait aussi bien les défauts que les qualités de celle-ci, tout s'est fait plus facile : j'ai regagné le giron que j'avais choisi, pour d'autres raisons et pour me préserver d'une autre civilisation qui, aujourd'hui, menace autant, sinon plus l'Occident, que ne le faisaient, dans les années cinquante, le Viêt-minh et l'idéologie communiste qu'il véhiculait J'ajouterai d'ailleurs que le Viêt-minh, pas plus que les communistes, ne se sont jamais autorisés à se réclamer de la parole de Dieu pour massacrer ceux qui ne partageaient pas leur avis lol! .

Si je n'ai pas grand chose à voir avec le Paul Coudray première version, si obnubilé par la personnalité hypertrophiée de son père et plus encore par ses défauts qu'il s'aveugle à dessein sur ce qu'il avait de puissant et de combatif, en revanche, je suis à cent pour cent pour le Paul Coudray des derniers chapitres, celui qui comprend - on ne l'espérait plus ! - que les autorités (occidentales comme orientales) ont trop laissé pourrir la situation pour pouvoir la redresser et que, malgré toute sa bonne volonté et les idées qu'il se fait sur la liberté et les Droits de l'homme, sa qualité de Blanc et de Français ne peut le mener, en tout cas s'il veut conserver son intégrité morale, qu'à une seule issue : le retour à la civilisation qui lui a donné vie et lui a permis d'être ce qu'il est. Paul ne revient peut-être pas au Père mais il revient auprès de lui pour combattre, pour chercher "qui aimer et qui dévorer" et, le cas échéant, pour mourir.

"La Terre du Barbare" est le roman de l'Histoire en marche, le roman du Chaos qui s'installe, dans les idées, parmi les différentes peuplades (les Laotiens ne supportent pas les Annamites), celui aussi de l'Effondrement d'un monde que la mondialisation atroce de la guerre 39-45 avait déjà touché en plein coeur - le roman enfin d'un Renouveau qu'il faudra bien que, tous ensemble ou chacun de son côté, les acteurs de la Guerre d'Indochine fassent naître et fleurir. Et l'ironie de l'Histoire veut que le monde qui s'apprête à se créer dans "La Terre du Barbare", est en ce moment-même, sous l'effet d'une autre mondialisation, celle-là économique (plus que religieuse car la religion n'est ici que prétexte), en train de nous faire ses adieux. Comme nous sommes dans l'oeil du cyclone, certains affirment ne pas s'en apercevoir tandis que les autruches, éternelles, s'enfouissent la tête dans le sable. Les plus lucides, eux, ne se font pas d'illusion mais songent déjà à l'Avenir. Et c'est cela qu'il nous faut retenir.

"La Terre du Barbare" était à l'origine un simple roman, qui racontait la fin d'un monde. Lu aujourd'hui, il dérange mais remet aussi les aiguilles à l'heure. le monde qui s'éteint sous nos yeux est la continuation de celui qui agonise dans le livre de Hougron - encore n'est-ce que le début de son agonie car, sûrs et certains de leur droit, les Américains vont bientôt se pointer en Indochine (dont ils ont aidé les Viêts à nous chasser : renseignez-vous dans les livres d'Histoire dignes de ce nom, visionnez la version intégrale d'"Apocalypse Now" et vous comprendrez que je n'invente pas) . Ce n'est d'ailleurs pas par hasard que Hougron introduit dans son roman le personnage du pasteur Américain Hallings, très préoccupé des droits de la population indigène ... Droits qui seront plus tard réglés au napalm ... Mais ceci est une autre histoire ...

Une petite vue d'ensemble de l'intrigue maintenant : Paul Couvray est le fils aîné d'Antoine Couvray, grand colon venu prospecter en Indochine avec son ami Jellanet dès les années 1910. Très tôt, Paul s'est mis à rejeter tout ce que représentait son père, homme très froid et très autoritaire, dont la fuite de son épouse, retournée en France après même pas dix ans de mariage, n'a pas arrangé le caractère. Obsédé par le travail, Antoine Couvray a créé, sur une concession qui s'appelait jadis (pour certaines raisons) "la Terre du Barbare", une magnifique propriété dont la fortune repose avant tout sur les plantations de caféiers, puis sur la découverte d'un gisement d'étain et sur la production de benjoin. Homme d'affaires-né, Antoine Couvray n'a jamais rien donné sans contrepartie. Mais des routes, des hôpitaux, une amélioration certaine du niveau de vie des indigènes les plus pauvres, tout cela reste après son assassinat pour témoigner que, malgré tout, il a accompli des choses positives. Son fils passe les trente premières années de sa vie à lui reprocher les intentions, dominées par l'intérêt et le pouvoir, qui l'ont poussé à accomplir tout cela. Ce n'est qu'à la fin du livre qu'il se rend compte que peu importent les intentions si elles débouchent sur quelque chose de positif. Après tout, c'est l'Enfer qui est est pavé de bonnes intentions. L'Enfer et lui seul.

Par delà la réussite d'Antoine Couvray et la re-découverte de son père qu'accomplit Paul, à qui Antoine a d'ailleurs légué toute sa fortune (et, même après l'abandon du Domaine, elle restera des plus conséquentes), c'est sur celle de la France dans ses colonies asiatiques que nous invite à réfléchir Jean Hougron. Réussite ou échec ? Les deux peut-être. Et les intentions qui guidaient tout ça ? Bonnes ou mauvaises ? Et les pourris, les vendus, les planqués, tous ceux-là n'étaient-ils que des Blancs ? ...

A vous de lire, à vous de voir, à vous de vous faire votre opinion. La mienne l'était depuis déjà un certain temps - pour des raisons qui n'avaient pas vraiment de rapports directs avec l'Indochine française. Elle jaillit de cette lecture confortée en fierté et en détermination. En résumé, "La Nuit Indochinoise", qui n'occulte aucun des aspects de la colonisation française en Cochinchine et qui désigne très rarement à la vindicte un personnage bien précis, quelle que soit la couleur de sa peau, est une fresque flamboyante et poétique que, plus que jamais à notre époque et demain, nous devons faire connaître et apprécier. Merci de contribuer à cet effort. ;o)
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Avec ce titre un peu hollywoodien Jean Hougron clôt son cycle de la nuit indochinoise. Magistralement devrais-je écrire si les autres romans, que je n'ai pas encore lus sont à l'aune de celui-ci.
Nous sommes dans les années 50 (1950 bien sûr ), la France , exsangue des cinq années de guerre mondiale , a recouvré ses colonies , dont l'Indochine, agglomérat de plusieurs entités (Cochinchine, Annam, Tonkin,Cambodge, Laos...) n'ayant pas toutes le même statut.
L'histoire de la Terre du barbare se passe au Laos, un "protectorat" où les occidentaux n'ont jamais été plus de quelques centaines. Antoine Couvray, un riche planteur prospecteur, est assassiné dans une petite ville de province où il était venu se réconcilier avec son fils Philippe, fils rebelle désapprouvant les méthodes autoritaires de son père, allant jusqu'à s'allier avec les mouvements rebelles indépendantistes déjà à l'oeuvre dans les années d'après-guerre. Les soupçons de la petite population européenne se portent vite sur lui sans apporter le début d'une preuve. Mais La terre du barbare n'est pas un polar. le lecteur, même s'il garde l'énigme du crime dans un coin de son cerveau (on saura à la fin qui a tué le père mais cela n'apporte rien au sens du roman) a vite compris que les enjeux sont autres.
Philippe Couvray accepte l'héritage (au départ il n'en voulait pas) au grand dam de sa soeur. Les cent premières pages sont d'ailleurs un peu longuettes du fait justement de la personnalité velléitaire du principal personnage. Philippe Couvray a , comme disait Jean Jacques Rousseau qui l'appliquait à lui même, l'esprit d'escalier. Il ne sait pas trancher, il ne sait pas prendre la bonne décision , ou alors une fois l'escalier descendu, et c'est trop tard . Tout le contraire de son père, parangon d'efficacité et d'autoritarisme colonial.
Au delà de la narration , du déroulement de l'histoire de la prise de possession par le fils prodigue des terres et des mines du père, on peut lire ce livre comme un passionnant documentaire sur les us et coutumes d'une colonie française d'Extrème-Orient dans les années 1950. On y retrouvera les petits blancs expatriés et aigris, minés par l'alcool et l'opium, ouvertement racistes , mais vivant maritalement avec une native, une congaï, qu'ils chérissent . On y retrouvera des personnages exotiques et déjantés, de vrais aventuriers (Jean Hougron en fut un) qui aiment ce pays passionnément. Et puis les militaires français omniprésents, dont le manque de moyens pour lutter contre le Viet-Minh était flagrant. Beau portrait du capitaine Fressange qui, bien que s'opposant à Philippe Couvray au sujet de la réquisition de ses coolies, n'en persévère pas moins dans sa mission , bien qu'il sache que la partie est déjà jouée. On est loin de ces poncifs américains qui ne voient les militaires français que bedonnants, mal rasés, la clope au bec (cf la version longue de Apocalypse now revue récemment sur Arte).
Tous ces européens se meuvent au milieu d'une population indigène qui semble indifférente à l'agitation des blancs. L'image qu'en donne Hougron est d'ailleurs contrastée : le racisme n'est pas à sens unique ; dans le roman les coolies laotiens de la plantation refusent de vendre de la nourriture aux ouvriers vietnamiens que Philippe a ramené d'une mine d'étain menacée par le Viet-Minh . Deux mondes se côtoient mais ne se mélangent pas .
Le héro, Philippe Couvray, qui a repris la direction de l'exploitation familiale, est partagé entre son idéalisme qui lui enjoint de considérer tout homme comme son égal en droit, et son appartenance à une longue histoire qui le dépasse. Par ses origines il est marqué pour toujours comme l'oppresseur. D'où cette velléité chronique et lancinante qui taraude toutes ses décisions. L'amour-haine qu'il porte à son père n'arrangeant rien.
La terre du barbare c'est la chronique d'une débâcle annoncée. La France avec ses idéaux justificatifs n'a plus sa place en 1950 dans ces pays qu'elle a conquis plus pour y assoir une puissance économique que pour l'asservir politiquement. L'Indochine n'a jamais été une colonie de peuplement au contraire de l'Algérie. D'où le moindre ressentiment des populations actuelles. Elles ont l'élégance de ne conserver de la présence française que le meilleur. ... ou le moins pire.

" Elle était là, bonne ou mauvaise ; l'injustice s'enracinait dans la justice, l'ignorance dans la sagesse, et le sourire d'une fille valait bien un empire. Bien sûr il y avait la dignité, mais est-ce-qu'une infime minorité n'était pas seule intéressée par cette fameuse dignité, ces rapports d'homme à homme, mains offertes ou armes brandies ? Et les peuples n'étaient -ils pas faits pour ceux qui les conduisaient ? Ce n'était pas vrai, bien sûr, mais dans l'enfilade des siècles cette erreur du moment possédait l'étrange fascination de ces vestiges fabuleux et inexplicables venus des premiers âges".




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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... - (...) Quand nous sommes arrivés dans ce pays, la population était exploitée depuis des siècles par le mandarin, le chef de canton et toute une pouillerie administrative. Nous sommes venus, et au moins peut-on dire qu'une certaine paix régna. Plus de razzias, plus de pirates incendiant les paillottes, volant le bétail et emmenant les femmes ; plus de petits despotes levant l'impôt à leur gré ... Ton père a transformé ce pays, il a révélé sa richesse et cela reste à son crédit. Il a ouvert des routes, créé deux hôpitaux, assaini les marais, doté toutes les écoles techniques de la région et certains collèges vivent encore de ses dons ..."

J'avais haussé les épaules, car je savais bien ce que recouvraient les bienfaits de mon père. Jellanet leva la main.

- " ... On l'a trop souvent dit et redit, et cela peut te paraître naïf, bien sûr, mais je crois que les gestes concrets demeurent, et, à mes yeux, ils valent mieux que ces bonnes intentions dont l'Enfer, dit-on, est pavé ... Et puis, ce système colonial que l'on condamne aujourd'hui, il faudrait peut-être, pour être équitable, le replacer dans son cadre véritable, qui n'est pas celui de ces dernières années. Pendant plusieurs siècles, il a répondu à une nécessité car il a permis d'absorber l'énorme vitalité d'une Europe dans le plein de son éclat qui se lançait à la découverte du monde. Et cette nécessité, née d'un déséquilibre, d'un excès de force, cet appétit en vaut bien d'autres. Il est là, comme la puissance du fauve ou les cyclones de février ; et les morales qui viennent après coup, alors que les conditions ont changé, ont beau jeu ..."

Jellanet posa son verre sur la table.

- "... Aujourd'hui, la mode veut que l'on ne considère plus que les défauts du système depuis quelques années, mais on oublie ce que ce système a apporté, non seulement aux colons mais aux indigènes. Il faut attendre que les esprits se soient calmés et dans un siècle, peut-être moins, il n'est pas impossible qu'on fasse des héros d'hommes comme ton père. Et, après tout, je me demande si par la violence de leur nature, l'ampleur de leurs conceptions, leur égoïsme qui, par sa démesure même, finissait par rejoindre le souci du bien commun, ils n'auront pas mérité d'être distingués des autres hommes. Ils auront été grands à leur manière, ils auront eu un destin d'exception, avec les servitudes de cette sorte de destins, et cela n'est pas si commun ..."

Jellanet poursuivit et un peu de colère passa dans sa voix :

- "Les journaux de France arrivent ici avec quelques semaines de retard, mais les soirées sont longues et j'ai le temps de les lire. J'ai passé presque toute ma vie dans ce pays et j'espère bien y mourir. Je sais comment je l'ai trouvé ; je sais ce que des gens comme ton père, en croyant servir leurs seuls intérêts, en ont fait. Je sais aussi que le système ne vaut plus rien et qu'il est bon qu'il disparaisse car il a fait son temps, mais je juge méprisable la politique du coup de pied de l'âne et je vois chez ceux qui s'acharnent contre ce qui doit disparaître inévitablement un signe de médiocrité."

Jellanet planta son regard dans le mien. Il ajouta avec calme :

- "Je sais quelles sont tes opinions, combien elles diffèrent des miennes et c'est pourquoi je t'ai dit ce que je pensais. Nous avons fait notre temps, nous avons fait aussi de notre mieux, en dépit des erreurs que nous avons commises et nous n'acceptons pas que ceux qui n'ont rien fait nous jugent et voient en nous la plus mauvaise part d'une nation. Une époque est jugée par celle qui la suit, et, sachant cela, je préfère encore ma place à la vôtre ..." ... [...]
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[...] ... Il était facile de voir qu'il se retenait d'ajouter : "Vous vous êtes pris de querelle avec lui et vous l'avez tué." Ma réputation était trop bien établie. Pour Parnel, je n'étais qu'un repris de justice, fils d'Antoine Couvray, bien sûr, mais cette parenté ne m'en rendait que plus suspect. Entre nous, il y avait ce lot d'accusations plus ou moins nettement formulées qui m'escortaient depuis des années ; il y avait surtout la prison où j'avais passé six mois et mes rapports avec le commissaire s'en trouvaient faussés sans retour. Nous ne pouvions oublier ni l'un ni l'autre la lutte que j'avais engagée contre mon père quatre ans auparavant.

Cette lutte s'était prolongée pendant quinze mois et tout ce qui avait un nom en Indochine et même plus loin, dans les Etats voisins, en avait âprement suivi le déroulement : la paralysie progressive du recrutement de la main d'œuvre dans le 4ème Territoire, la révolte des coolies de la mine de Kabong puis - mais, à ce moment-là, je n'avais plus le contrôle des événements - l'assassinat de Privat, le directeur du consortium minier, enfin le massacre par ceux qu'on s'obstinait à qualifier de "rebelles" de quarante partisans indigènes dans les villages frontaliers du 2ème Territoire. La destruction de la centrale électrique de la Haute-Melim qui commandait l'exploitation des quatre Territoires sous mandat avait clos cette lutte dans laquelle, par les excès des nationalistes, j'avais été entraîné beaucoup plus loin que je ne l'aurais souhaité.

J'avais été arrêté dans mon bureau d'ingénieur de la mine de Kabong, livré à la police de Sécurité du Territoire et accusé de sabotage par Antoine Couvray. Son influence avait orienté la décision du tribunal qui n'avait retenu que les délits de droit commun. En dépit de mes attaches évidentes avec les rebelles, on avait ainsi évité de transférer les débats sur le plan politique. Au cours de sa déposition, mon père avait simplement déclaré que j'avais voulu me venger. Il n'avait pas précisé de quoi, et le tribunal n'avait pas osé s'enquérir plus avant.

J'avais purgé ma peine à Saigon et j'étais revenu à Vinh-Lung. Il entrait du défi dans ce retour, mais malgré ce que certains prétendirent, je n'avais pas l'intention de prendre ma revanche. Je repoussai même les offres des groupes révolutionnaires camouflés sous diverses étiquettes. Une certaine coïncidence dans les buts poursuivis nous avait passagèrement rapprochés, mais je réprouvais leurs méthodes, et plus encore le régime qu'ils voulaient imposer aux populations indigènes. Incertain de ne pas avoir fait fausse route six mois plus tôt - je me reprochais en particulier les massacres du 2ème Territoire - j'avais décidé de laisser à d'autres le soin de reprendre un combat que je n'avais pas su mener à bonne fin.

Depuis, et cela ne me déplaisait pas, j'étais classé parmi les innombrables traîne-misère qui végètent au jour le jour dans les villes d'Extrême-Orient. A Vinh-Lung, chacun, même les nouveau venus, avait une opinion précise à mon sujet. J'y avais ma légende, et, comme dans toutes les légendes, la part de vérité, et même de vraisemblance, y était réduite. Je n'avais jamais essayé de me défendre, et, aujourd'hui, je risquais de payer assez chèrement mon indifférence à l'opinion commune. ... [...]
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Mallart avança d'un pas dans le salon.
"Et je parie que ce soir, tu seras à Ban-Khao en train de jouer les médiateurs gentils... Tu aimes ce que tu prends et refuses ce qu'on te donne. Tu crèves d'orgueil avec ta manie de ne rien devoir..."
J'aimais ce que je prenais parce que je l'avais choisi et que ma nature m'y portait. Je n'avais jamais rien espéré de ceux qui se satisfont des cadeaux des autres, en font un héritage certain et les attendent avec la patience des faibles.
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Dans ce pays, et dès le premier jour, la France, allant au plus facile , avait voulu mettre dans son jeu les grands dignitaires indigènes ; or, la plupart de ces dignitaires qui n'avaient jamais entendu parler du bien public et croyaient fermement que le peuple est fait pour le plaisir du seigneur, se voyaient ainsi encouragés et confirmés dans leur mise à sac du pays. Les accepter pour alliés, c'était accepter leurs vols et leurs concussions ; et le Viet-Minh, qui en faisait ses ennemis au même titre que les Blancs, ne s'y était pas trompé. Nous reperdions ici le crédit et la gloire que certaines entreprises nous avaient acquis ailleurs , car je suis de ceux qui croient que les alliés qu'on se donne vous jugent de manière aussi implacable que les ennemis que l'on se fait. Il n'y a pas deux mesures quand il s'agit de la chose publique, être honnête à demi c'est être malhonnête.
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À Xieng Muh, nous vivions comme dans n’importe quelle ville d’Occident, mais les sentiments y étaient portés à leur point culminant, car le Blanc qui vit en vase clos dans une ville coloniale ne peut choisir qu’entre deux attitudes : ou bien dépouiller peu à peu ce qui fait de lui un homme blanc, « retourner à l’argile » comme on dit ici, ou bien se murer en lui-même et devenir un Blanc au paroxysme ; c’est son unique moyen de défense contre un milieu qui tend sans cesse à l’absorber. Mon père devint un Blanc au carré, un Blanc au cube, et ceux qui l’entouraient suivirent son exemple.
Certains, bien sûr, essaient de résister. Ils finissent par être dévorés, car ici, bien plus qu’en France, il faut qu’un individu ait une insertion précise dans le cadre social. Au moindre écart on crie à l’aventurier ; j’en avais fait l’expérience.
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(Le débat commence entre le public et les chroniqueurs à propos d'un article écrit par Matthieu GALEY sur Jean-Paul SARTRE, après son refus du prix Nobel, et dans lequel, Matthieu GALEY explique "qu'il est devenu malgré lui, un auteur lu par les bourgeois"). Sont abordés, les livres :
- " Histoire de Georges Guersant", de Jean HOUGRON - " L' État sauvage", de Georges...
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