Et toi, tu cours à
travers le temps
et tu disperses tes oripeaux
sur le grand manteau de la nuit
la poussière d'une étoile
les pas d'une biche
enfin venue boire
un instant
à la source de toi-même
(" Manteau de silence")
MIROIR
Prendre un fragment de silence
Le déposer sur les marches du temple
Repartir
Se dissoudre
Effacer toute trace
Renaître enfin
Nu sous les braises du poème.
p.29
Ce soir, je parle avec ma mort
comme avec une ancienne associée
un instant perdue de vue
Il fait bon sur la terrasse
où nous nous tenons,
à distance chaste et respectueuse
— moi, assis, face au grand mur blanc
elle, de dos, accoudée au balcon
et regardant passer l'ombre
interdite des oiseaux migrateurs.
J'ai envie de l'appeler par son prénom
— que je ne connais pas
mais voudrais simple
Et pourtant, elle debout
moi assis
nous tournant le dos
nous continuons à nous vouvoyer,
tandis qu'elle lance dans le vide
un vague bouquet d'immortelles
qui pourrira demain
au soleil d'un trottoir
déserté.
p.71
L'INSTANT D'AIMER
Pour ma femme
Est-ce le vent
que tu entends
à l'angle de ces rues
où le rire des marins
a gout de saumure et de songe
Est-ce le temps
que tu retiens
au bord de ces rires
où le corps des amants
fait ravage sous la toile du ciel
Est-ce toi
Est-ce moi
cette foule étrange
cette fête lointaine
cet ailleurs
cette extrême tension
de la mer et du blé
de la nuit et du jour.
À toute heure
cette absence
cette présence
Où sommes-nous
Quel jour reste à naître ?
p.23
Assez
Assez
Ce n'est pas un arbre
ni un jardin
mais le nom de l'arbre
celui du jardin
Passé cette tempête de sable,
les mots glissent sous les doigts,
lâchent pour toujours les mailles
Assez
Assez
Tourbillons de chair
où de grands pans d'habits morts
ne peuvent nous faire oublier
La nudité du feu.
p.59
Elle [la mort] entre
le regarde au fond des yeux
mutile à gestes griffus
un lent miroir de sable
Elle s'approche
jauge la peur
la vitesse du souffle
interroge sans relâche
le cœur
Elle s'assied à son chevet
a l'air d'une veuve
ne dort jamais
Parfois, lorsqu'il délire
Elle avance dans les hautes herbes
le couteau entre les dents
Elle se détourne quand
dans les yeux du malade
repassent la clarté du ciel
le cri des oiseaux
S'il guérit
rageuse
Elle jure de revenir bientôt
et repart vers le Fleuve
où la béance
fait son nid.
p.72
Un jour sur le quai
encerclé des grands oiseaux de la mélancolie
la vérité, passagère imprévue
m'a frôlé.
Je n'ai pas reconnu son visage
caché par le soleil et l'ombre.
Aujourd'hui sous la pluie
je regrette le voyage inaccompli
et ne puis plus
me retourner.
(" Manteau de silence")
Ce feu ancien était simple comme un visage
tu criais et tu suppliais, pris en otage.
Au ciel, très haut, l'épervier de feu planait
Tu espérais tout bas que Dieu lui ressemblait
Qu'il foncerait vers toi jusqu'au cœur des fougères
Pour te conduire au creux du ciel de naguère
Mais nul ne t'attendait sur l'autre bord du pont
Pas une âme pas une femme sans passion
Ni même un regard pour te donner le frisson
Seul ton sourire éteint pour unique prison
Et, sur toi, la neige de la mort à foison.
p.66
Chaque nuit à présent répète à l'envi
les images de l'enfance.
Les convives discrets du repas de minuit
devenus sans défense
Sont un à un partis au fond de la nuit
mais vous, saisons d'hiver
Où l'enfant triste, les yeux derrière la vitre
rêvait sans fin de l'enfer,
Vous en savez long encore sur ce long chapitre
Que je parle ici des songes
ou de métamorphoses,
C'est au passé mal tué que toujours je songe
à la page à demi morte
Qu'un homme nu, à chaque rêve, quand il l'ose
retrouve intacte sous sa porte.
p.9
Les goélands
lèvent les marées
font l'amour avec le temps
usent nos gestes de boîteux
nos mots de papier
si peu faits
pour les falaises
et pour le vent
p.47