L'héritage de René Guénon
C’est l’irradiation de l’Infini, à l’intérieur de notre être, qui, par réminiscence, seule permet et fonde métaphysiquement la possibilité de connaissance que nous en avons. Il ne peut y avoir d’autre origine, d’autre source capable de nous transmettre ce savoir, véritable vestige divin imprimé à la racine la plus intime de notre être, qui rend possible l’accès à la contemplation et à la participation de ce qui est l’Être de notre être.
Pour Asanga et Vasubandhu (…) l’unique fondement de la réalité, pour eux, n’est autre que la pure pensée ; la pure pensée dégagée, libérée des contradictions antagonistes, purifiée du dédoublement trompeur produit par la fausse connaissance, la pensée en tant qu’idée pure, c’est-à-dire sans objet pensé et sans sujet pensant, étrangère ou précédant l’individualité et le moi personnel, aussi bien d’ailleurs que le non-moi, bien que les incluant tous nativement en potentialité. En ce sens, la seule vérité qualifiant l’existence et la non-existence, située à la source originelle de l’être et du non-être, est la pure pensée indifférenciée, la pensée germe, la conscience inconsciente contenant tout, bien que vide de tout, qu’Asanga nommera âlaya-vijnâna, que l’on peut traduire par « conscience réceptacle », « conscience de tréfonds », « conscience héréditaire » ou encore « conscience germe ».
C’est cette conscience de tréfonds qui est l’origine impersonnelle renfermant la totalité des expériences parcellaires et fragmentaires, ainsi que l’ensemble des phénomènes psychiques, identique à l’Ainsité (tathatâ), non différente de la Suprême Réalité. (pp. 47-48)
Au sein de l'absence de nature-propre, au coeur de la non-substance toute parole est elle-même non-substantielle, tout dire est condamné à la non-signification, toute expression frappée de non-consistance. Comprendre cela, c'est comprendre qu'il n'y a pas d'accès à l'incommunicable par la médiation du langage conceptuel, qu'il n'y a pas de chemin là où nul ne chemine, que nulle parole ne parle de ce qui ne se dit pas, qu'aucune formule ne peut signifier ce qui ne se formule pas, qu'aucun discours ne peut traduire ce qui ne se traduit pas.
La libération, pour Nâgârjuna, ne peut s’établir que sur les ruines de la réalité mondaine (laulika sattva), sur l’effondrement des certitudes illusoires et limitées. C’est un véritable travail de déconditionnement auquel Nâgârjuna invite son lecteur ; il lui demande, et en cela son exigence est extrême, d’accepter de rompre avec les schèmes conceptuels classiques de la certitude ou de la conviction. Nâgârjuna propose de franchir une barrière gnoséologique, qui est, en vérité, la mise en d’œuvre d’un authentique saut qualitatif. Certes, cette expérience peut affoler la pensée de celui qui accepte de la tenter, mais passé le premier moment d’étonnement et d’angoisse, devant la fuite et la disparition de toutes les certitudes, apparaît alors l’immense champ de l’Éveil, le domaine invisible, vide de substance propre, non différencié de la vacuité (sûnyatâ). (p. 31)
Le vide de nature est l'unique nature du vide, il n'en possède et ne peut en posséder aucune autre.
La manifestation matérielle dans laquelle nous sommes plongés, oblige à une abstraction de toutes les déterminations phénoménales, elle nous contraint, par une ascèse certes difficile mais cependant indispensable, à mettre en œuvre une authentique négation du déterminé.
Ce qui n'a pas de nature propre, ce qui est sans substance, relatif, qui est dépourvu de consistance ontologique, ne possède même pas pour essence cette absence de consistance.
L'absence de nature-propre est une véritable destitution de l'essence ; la domination du relatif dans l'être, regardée comme l'unique vérité des existants, aboutit à les vider de toute essence singulière, et donc de toute existence réelle.
De par leur caractère contingent les êtres sont vides de toute essence, ils sont un pur néant..
L'école Yogâcâra ou Cittamâtra, c’est-à-dire la voie de « l’esprit-seul », ou encore du « rien que l’esprit », fondée par Asanga et Vasubandhu, l’une des principales écoles philosophiques bouddhistes, présente à l'observation immédiate le paradoxe assez étrange d'être, sans aucun doute, l'un des courants les plus féconds et des plus influents, et ce depuis des siècles, au sein du bouddhisme Mahâyâna, tout en étant également l'un des plus méconnus et des moins compris, alors même qu'il occupe une place majeure et fondamentale du point de vue doctrinal, place qu'il est aisé de déceler lorsqu’on examine attentivement les diverses positions défendues par les maîtres de la transmission.