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Citation de emdicanna


Mon père s'appelle Manuel Cortès. Le sien s'appelait Juan, "Juanico" entre intimes (...)
Mon grand-père avait débarqué en Algérie au mois de juillet 1882, le jour anniversaire de ses quatre ans. Ses parents s'étaient longtemps agrippés à leur terre andalouse, résistant aux vagues d'émigration qui se succédaient depuis vingt ans. Ici, la sécheresse, endémique, les terres brûlées en front de mer, les paysages lunaires sous le ciel profond de Cabo de Gata. De l'autre côté, disaient ceux qui avaient franchi le pas, c'était le même décor, mais avec des sources, des rivières, des plaines à l'abandon qui ne demandaient qu'à être défrichées et irriguées pour se mettre à produire généreusement. Ce n'était certes pas un pays de Cocagne : on y côtoyait le typhus de fort près, le choléra, la dysenterie ; des nuages de criquets vous boulottaient une récolte en moins de deux, tremblements de terre et crues ravageuses remettaient ça quelques semaines plus tard, des bandits arabes attaquaient les fermes, rançonnaient les gens sur les chemins, sans parler du sirocco, et de l'angoisse qui vous brûlait la gorge lorsqu'il fallait d'urgence calfeutrer les ouvertures de la maison pour échapper à cette exhalaison d'enfer. Au matin, il y avait trente centimètres de sable rose accumulé sur le rebord des fenêtres, on respirait profondément, avec la lenteur éberluée de ceux qui s'étonnent d'avoir échappé à l'asphyxie. Et cependant, cela ne semblait pas si terrible à des gens qui survivaient avec peine à une enjambée de l'Afrique, là où d'autres Espagnols réussissaient à faire manger leur femme et leurs enfants.
Le père de Juanico, Francisco, avait un lopin de terre sur les contreforts de la montagne et une barque de pêche à Adra ; la terre ne produisait plus que des lézards, la pêche, des sardines qui pourrissaient sur les docks, faute de clients pour les acheter. C'était tragique, mais encore supportable, si fort est l'attachement de l'homme au sol qui l'a fait naître.
Quand Francisco fut tiré au sort pour le service militaire - ce qui signifiait partir à Cuba rejoindre le contingent d'appelés miséreux qui se faisaient massacrer là-bas au nom du drapeau espagnol - la décision fut immédiate. Il n'avait pas l'argent nécessaire à l'envoi d'un suppléant, sa femme et ses enfants ne survivraient pas à son absence.
La traversée vers l'Algérie était plus abordable, il n'eut qu'à vendre sa barque au prix du bois pour être en mesure d'acheter leur passage sur le Tintoré, un vapeur qui reliait Alicante à Oran, tout en gardant une petite réserve de secours. Nul besoin de visa ou de papiers, la France avait choisi de fermer les yeux sur ces formalités, pressée d'exploiter un territoire conquis durement, mais qu'aucun Français ne consentait à cultiver. Vamo nos (on y va), avait-il dit à sa femme sur le ton qu'il employait pour partir aux champs.
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