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EAN : 9782843047992
384 pages
Zulma (24/08/2017)
3.82/5   122 notes
Résumé :
C’est l’histoire de ce qui se passe dans l’esprit d’un homme. Ou le roman vrai de Manuel Cortès, rêvé par son fils – avec le perroquet Heidegger en trublion narquois de sa conscience agitée. Manuel Cortès dont la vie pourrait se résumer ainsi : fils d’immigrés espagnols tenant bistrot dans la ville de garnison de Sidi-Bel-Abbès, en Algérie, devenu chirurgien, engagé volontaire aux côtés des Alliés en 1942, accessoirement sosie de l’acteur Tyrone Power – détail qui p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (35) Voir plus Ajouter une critique
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Pas facile d'extraire la substantifique moelle de Dans l'épaisseur de la chair, un ouvrage dense, parfois confus et déroutant, dont la lecture exige un minimum de persévérance. Il ne m'a pas été inutile, après coup, de refeuilleter quelques pages et de prendre du recul pour étayer mon opinion d'ensemble.

S'agit-il d'un livre d'histoire, d'une saga familiale, de la biographie romancée d'un « pied-noir » nommé Manuel Cortès, ou de l'hommage tardif d'un homme à un père très âgé ?

Dans l'épaisseur de la chair est un peu tout cela à la fois. Jean-Marie Blas de Roblès, l'auteur, est lui-même une personnalité riche, au parcours complexe. Il est philosophe, archéologue, historien, avant d'être poète et romancier. Dans une interview récente, il déclare : « mon but est de faire de la littérature, pas de raconter l'histoire de ma famille »…

Ma foi, l'on peut très bien faire de la littérature tout en racontant l'histoire de sa famille, et cet ouvrage en témoigne. Il dresse un large panorama historique de l'Algérie coloniale, depuis la conquête par les Français jusqu'à l'indépendance. Sur ce fond très documenté, se superpose le parcours d'une famille modeste de pieds-noirs d'origine espagnole, venue s'installer à Bel Abbès, une ville créée à partir d'une ancienne antenne des troupes du général Bugeaud. Emerge ensuite la personnalité du dénommé Manuel Cortès. Il est le père du narrateur, ce dernier étant le double de l'auteur.

A dater de l'indépendance et de l'exode des pieds-noirs, le récit prend une tournure résolument autobiographique, même si le personnage central reste Manuel Cortès. Aux documents et aux témoignages sur lesquels il s'appuyait, l'auteur substitue ses propres souvenirs, son vécu personnel d'enfant, de jeune homme, puis d'homme mûr. Ce qui ressort finalement, c'est la prise de conscience par un fils, des blessures endurées par un père tout au long des vicissitudes de sa vie. Encore a-t-il fallu que ce fils se retrouve empêtré dans une situation suffisamment périlleuse pour remonter le fil de sa généalogie, comme dans les fictions où celui qui va mourir repasse en un clin d'oeil le film de sa vie.

A l'instar de nombreux Français d'Algérie de sa génération, Manuel Cortès avait cru en l'avenir radieux promis par la France coloniale. Ses espérances avaient été contrariées par la seconde guerre mondiale, puis balayées par ce qu'on appela les événements d'Algérie, conclus par l'exode des pieds-noirs. J'aime à croire qu'en célébrant les heurts et malheurs de son père, Blas de Roblès a voulu rendre hommage à tous les Français d'Algérie modestes, devenus « les rapatriés », dont nul ne peut dire qu'ils aient été des profiteurs de la colonisation, mais dont il est incontestable qu'ils ont compté parmi les perdants de l'indépendance.

Chez nombre d'entre eux, l'auteur avait déploré l'absence de sensibilité politique, l'aveuglement devant l'absurdité du concept de colonie, un antisémitisme enkysté, et l'incompréhension devant des actes de rébellion qui n'avaient cessé de prendre de l'ampleur dès la fin de la seconde guerre mondiale.

Il leur reconnaît une vraie générosité, une propension spontanée à aider son prochain et une tendance méridionale sympathique à l'excès dans la démonstration. Une tendance que l'on retrouve chez lui-même, lorsqu'il ne résiste pas, à côté de références érudites de bon aloi, à l'envie de sortir des mots en pataouète, des anecdotes de café de commerce, des petites blagues éculées et des démonstrations d'enthousiasme « comme là-bas » pour des passions personnelles qu'on a le droit de ne pas partager, comme la pêche, par exemple.

L'écriture, très travaillée, est brillante, flamboyante. Superbe ! Mais Blas de Roblès prend aussi un malin plaisir à égarer son lecteur dans des digressions liées à ses autres ouvrages, ou dans le recours à des cartes de tarot à la symbolique mystérieuse pour titrer les quatre parties de son ouvrage.

J'ai apprécié son respect pour les souffrances des deux communautés qui se sont déchirées sur un sujet qui mit la France au bord de la guerre civile, et qui a laissé des cicatrices douloureuses dans l'épaisseur de la chair de beaucoup de monde. Si j'ai aimé le travail de reconstitution historique et la couleur picaresque du récit, j'ai été moins sensible à la quête de rédemption filiale. Après tout, c'est son père, pas le mien.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Jean-Marie Blas de Roblès est un conteur extraordinaire. Sa plume est d'une fluidité extraordinaire au service d'un univers reconnaissable dès les premières lignes. le graphisme soigné des éditions Zulma s'accorde avec une belle harmonie avec l'élégance de l'auteur. Il n'y a plus qu'à embarquer...
Dans ce roman, pas de grands voyages à la Jules Verne comme dans le génial L'île du Point Nemo mais une inspiration certainement plus autobiographique, plus personnelle de l'auteur, une influence qui touche à ses propres racines. L'Algérie, terre d'accueil puis d'exil.

"Toi, de toute façon tu n'as jamais été un véritable pied-noir". C'est cette phrase prononcée par son père qui a tout déclenché dans la tête du narrateur. Pas un véritable pied-noir ? Mais c'est quoi au fait un véritable pied-noir ?
Pour tenter de trouver la réponse, il remonte le temps et se plonge dans l'histoire de son père, Manuel Cortès, fils d'immigrés espagnols installés à Sidi-Bel-Abbès en tant que tenanciers d'un café restaurant. Il deviendra chirurgien, s'engagera aux côtés des alliés, fera vibrer les coeurs (il est plutôt beau gosse), avant de subir "les événements" et de traverser définitivement la Méditerranée.

Une vie digne d'un roman, en somme. Un fil conducteur qui permet à l'auteur de dérouler l'écheveau de la grande Histoire et de revenir sur les épisodes tragiques qui ont marqué tous les hommes qui les ont traversés. Sous sa plume se mêlent les questionnements d'un fils (bien assisté par son perroquet, compagnon philosophe baptisé Heidegger), les silences d'un père, les mythologies familiales, les mensonges historiques et un poil de pédagogie bienvenue pour faire la part des choses.

Ça coule tout seul, c'est rudement bien ficelé, très agréable à lire. Personnellement j'ai tellement adoré L'île du Point Némo que j'ai été un peu troublée de cette facture beaucoup plus classique... Mais cela n'a en rien gâché le plaisir et l'intérêt pris à cette lecture.
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Je l'ai terminé, c'est dommage, j'aimais le retrouver avant de m'endormir. Jean-Marie Blas de Robles y raconte sa famille, depuis son arrière grand-père, émigré espagnol en Algérie alors française, jusqu'à lui-même, écrivain reconnu. Par là même, il nous fait vivre la période historique dans laquelle il a vécu son enfance et son adolescence. D'après les commentaires mis sur Babelio, ses autres livres sont d'un style moins linéaire, plus enchevêtré. Celui-ci déroule tranquillement les faits, sans nostalgie, sans rancune, mais sans rien omettre. L'amour et l'admiration pour son père y sont palpables :
"Depuis qu'il a franchi les Abruzzes, les Aurunci, les Vosges, pas un obstacle ne saurait lui résister. Manuel Cortès avance, droit devant lui, tout à la fois prudent et intrépide, cartésien, fétichiste, désespéré mais confiant dans son étoile : le monde peut crouler, il avance, magnifique, faisant barrage de son corps pour protéger sa femme et ses enfants, laissant des traces dans l'argile où l'on reconnaîtra dans cent mille ans celles d'un patriarche guidant sa horde, affrontant l'éclair et la tornade, en marche, les yeux fixés au loin, feignant la force pour affermir celle des autres, tendant la main à ceux qui s'embourbent dans le marais qu'il s'acharne à traverser, taciturne, en alerte ; ni pied-noir, ni français ni espagnol : un homme, un hombre".
(Laissez-moi apprécier à sa juste valeur que le dernier mot du livre soit un mot espagnol : comme Blas de Robles, je n'ai pas oublié d'où je viens : mon projet de vie a été de retrouver ma langue - pour moi le catalan -, c'est fait, je sais qui je suis).
J'ai certainement reçu ce livre plus personnellement que d'autres lecteurs, mon enfance et mon adolescence ayant ressemblé tout à fait à celle racontée là, avec pour seule différence que lui vivait près d' Oran, et moi près d'Alger. Je peux donc attester que tout ce qu'il dit est simplement vrai, sans aucun ajout pour "romancer" les choses. J'y ai découvert ce que mon père n'a jamais voulu nous raconter : engagé volontaire très jeune, tout comme le père de l'auteur, il a suivi le même parcours "soldatesque", l'Italie, le débarquement de Provence, l'Alsace. Les détails horribles et glauques donnés par Blas de Robles me font comprendre pourquoi ceux qui en sont revenus ont souvent préféré garder cela enfoui dans leur mémoire.
J'ai particulièrement apprécié Antoñeta, la grand-mère, illettrée jusqu'au moment où elle décide d'apprendre à lire en même temps que son fils aîné. C'est elle, du fond de son bar-restaurant-boui-boui, entourée de "petites gens" parlant espagnol pour la plupart, qui va porter ses enfants vers les études, jusqu'à la réussite du père de l'auteur, devenu chirurgien.
J'ai apprécié les digressions qui ponctuent le livre, chaque fois que Blas de Robles nous replonge avec lui dans l'eau glacée, d'où il se voit incapable de sortir. En fait, tout contribue à faire de ce livre un conte vrai, l'auteur s'adressant au lecteur, le faisant rire ou s'émouvoir, comme s'ils se trouvaient tous les deux dans la même pièce.
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La Feuille Volante n° 1218
Dans l'épaisseur de la chair - Jean-Marie Blas de Roblès - Zulma.

Cette saga familiale commence bizarrement par un chavirage de Thomas, le narrateur, lors d'une promenade solitaire en méditerranée. A la suite d'une altercation avec son père qui lui reproche de « ne pas être un vrai pied-noir » il prend seul la barque familiale et passe par-dessus bord. Ce séjour dans l'eau, rendu assez long par l'impossibilité de remonter dans son « pointu », lui donne l'intuition de sa mort inéluctable. C'est pour lui l'occasion de revoir, un peu sa propre vie comme dit-on celui qui va quitter ce monde, mais, remontant les traces de la mémoire, également celle de son père, la probabilité de la noyade lui rappelant les risques auxquels cet homme a dû faire face pendant sa longue vie. Par le biais de l'écriture, il lui rend un authentique et émouvant hommage et cela donne lieu à de nombreux analepses, sous forme de courts paragraphes, où il égrène les grands et les petits moments de cette famille déchirée entre l'Espagne, l'Algérie et la France. Il y a certes ce témoignage en faveur du père, mais, au fil de ma lecture, j'ai cru comprendre que le narrateur-auteur mena la vie dure à cet homme pendant quelques temps et fut invité par sa mère à plus d'indulgence envers lui, ainsi ce livre peut-il être aussi une manière de rachat. Ainsi il évoque son papa, Manuel Cortes, ancien chirurgien, engagé volontaire au côté des Alliés en 1942 qui, à 93 ans, vit retiré sur la côte d'Azur. Il est fils d'immigrés espagnols établis à Sidi-Bel-Abbès, une ville de garnison de la Légion étrangère, en Algérie, où son père, Juan, tenait un bistrot. C'est donc un roman de « pieds-noirs », plein du soleil de ce pays, des illusions entretenues de son rattachement à la France qui se termineront avec le triste slogan « la valise ou le cercueil », la découverte d'un pays lointain, inconnu et hostile, pas mal de regrets, d'incompréhensions et de trahisons politiques. C'est la petite histoire de cette famille qui se confond avec celle de ce pays, de son époque coloniale et militaire qui s'inspirait selon lui de la conquête romaine, de cette cohabitation cahoteuse entre européens, juifs, musulmans et bien entendu Espagnols, ces erreurs politiques qui ont jalonné la présence française en Algérie et de son issue, des épisodes de la deuxième guerre mondiale du retour au pays. le lecteur découvre par le menu la libération de l'Italie puis de la France à travers l'épopée personnelle de Manuel, incorporé comme médecin auxiliaire dans un tabor marocain puis dans un régiment de génie, avec blessures, décorations et citations. Il partage les actions d'éclats de ces soldats, déplore leurs exactions sur les populations civiles mais profite aussi aussi ces moments d'exception où l'on oublie la guerre et, au milieu de ces combats, Manuel, avec une baraka insolente, semble immortel, en plus d'être un séducteur impénitent dans la vie ordinaire. Puis ce sont les événements de Sétif qui ont lieu en Algérie et sont le départ de ce processus d'indépendance qui fera de lui et de sa famille des «rapatriés ».
L'architecture de ce roman s'articule comme un jeu de cartes espagnol avec ses figures caractéristiques et différentes des nôtres, « l'as de deniers », le« de deux d'épée », le «  trois de bâton » et le « quatre de coupes ». Cette progression symbolise la vie qui s'écoule, mais peut-être surtout ce que le hasard ou la destiné donnent à chacun en lui confiant le soin de le faire fructifier, sans oublier la chance et son contraire, la scoumoune, les événements extérieurs ou l'action des autres qui viennent favoriser ou contrecarrer les projets personnels, une image assez fidèle du parcours individuel en ce bas monde entre liberté, fatalité, erreurs et succès... A l'occasion de ce roman, l'auteur-narrateur remet en cause nombre d'idées reçues sur la guerre et sur la colonisation, mais c'est la nostalgie de ce pays et du temps passé qui transparaît. Il porte sur son histoire un regard critique égrenant les phases qui iront irrémédiablement vers les combats, les attentats, l'indépendance et le départ en catastrophe, un travail d'historien d'une remarquable précision. Ce faisant, il porte aussi un jugement sur la condition humaine.
A titre personnel, je ne lis jamais une saga sans ressentir une sorte de vertige que me procure le temps qui passe et la vie qui s'écoule malgré soi et malgré sa volonté d'y imprimer sa marque. Ce fils de pauvres immigrés espagnols devient, à cause de la guerre, un brillant chirurgien, mais les événements, et aussi ses semblables se chargèrent de briser ses rêves et sa volonté. Il a mené une vie à la fois longue, aventureuse et tellement romanesque qu'on croit lire une fiction.
Thomas est accompagné des railleries de son perroquet qui, bien qu'absent, hante son esprit au point de pouvoir être regardé comme la voix de sa conscience, ce qui donne à ce roman une incontestable dimension humoristique.
J'ai retrouvé avec plaisir le style fluide et agréable à lire que j'avais déjà rencontré dans « Là où les tigres sont chez eux » (La Feuille Volante n°329). J'ai, avec ce roman, à nouveau passé un bon moment de lecture, dépaysant et passionnant.
© Hervé GAUTIER – Février 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com
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« Toi, de toute façon, tu n'as jamais été un vrai pied-noir ».
Voilà la phrase assassine prononcée par son père qui va pousser Thomas Cortès à plonger dans les souvenirs de son père durant ces heures où, accroché au bateau sur lequel il ne peut remonter, il va attendre dans l'eau... Quoi ? La mort par hypothermie? La rédemption et le pardon ?
Et c'est une vraie leçon d'histoire, le témoignage d'un « Pied-Noir » qui nous est rapporté.
Avec un retour aux années de honte en Espagne, quand en 1492, Isabelle la Catholique a promulgué le décret de l'Alhambra qui donnait un mois aux juifs d'Espagne pour plier bagages et quitter le pays, avec interdiction d'emporter or et argent. Tout leur était devenu interdit, l'école, le travail - y compris le commerce - Les musulmans chassés par la Reconquista, il fallait encore se débarrasser des juifs...On a vu alors des parents affolés marier dans l'urgence des gamins de douze ans, le départ des « couples » étant réputé plus facile ! Les chiffres manquent de précision : pour quelques dizaines de milliers de juifs convertis au catholicisme mais qui pratiquaient en secret leur propre religion, les « marranes » et restés sur place, combien de centaines de milliers sont partis, au Maghreb et dans toute l'Europe ?
Et quand on sait que ce décret n'a été abrogé qu'en 1967... !
Ce sont ces juifs d'Algérie dont on va nous parler, mal perçus par les autochtones algériens, par les colons français, trop voyants, trop arrogants, surtout : trop riches !
En 1940, le gouvernement de Vichy interdit à Manuel Cortès d'entrer à l'Université, alors que ses deux frères font la guerre ! Pétain prononce la déchéance de citoyenneté pour les juifs en Algérie : ils perdent tout, profession, revenus, droit d'aller à l'école. Albert Camus est renvoyé de son poste de professeur, ce qui sera peut-être à l'origine de l'écriture de « La Peste ».

Manuel Cortès, le père de Thomas qui lutte dans l'eau de la Méditerranée, a participé aux grandes batailles de la guerre de 1939-1945, notamment à celle de Monte Cassino en Italie. Il raconte la vie de ces goumiers, soldats d'Afrique du Nord et d'Afrique noire, connus pour leur courage et leurs faits d'armes mais aussi pour leurs exactions. Manuel entend encore les hurlements des nonnes violées, ceux des hommes émasculés devant leurs femmes... L'auteur ne nous épargne (presque) rien des horreurs de la guerre, y compris de celle de l'indépendance de l'Algérie. A cette occasion, Manuel, médecin militaire, travaillera comme un forcené pour épargner la vie autant des uns que des autres, serment d'Hippocrate oblige, s'attirant ainsi la haine des deux camps.
Et quand il sera rapatrié vers la France, lui, le chirurgien honnête, se verra rejeté par ses confrères, obligé de renoncer à la chirurgie et à ouvrir un modeste cabinet de généraliste. Avant d'être recruté par la CGT pour devenir un médecin social, aux appointements modestes mais heureux d'être utile à des patients peu favorisés par la vie.

Un beau roman, sans parti pris, bien documenté et vivant. Sans doute le résultat d'une expérience personnelle...
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critiques presse (1)
LaCroix
10 novembre 2017
L’auteur de « Là où les tigres sont chez eux » et de « L’île du Point Némo », Jean-Marie Blas de Roblès, livre dans cette fiction la belle déclaration d’amour d’un fils à son père.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
Mon père a quatre vingt treize ans (...). Je suis fier d'être son fils pour une infinité de raisons, mais je l'admire aussi, j'en conviens, pour avoir réussi à transformer toute partie de pêche en liturgie. Notre bon palangrier en bois, construit en 1980 par Cacciutolo à Port-Saint-Louis, est ainsi devenu au fil des jours une sorte de serapeum flottant, un sanctuaire regorgeant de rites propitiatoires impénétrables, d'ex-voto corrodés, d'aires sacrificielles délimitées au centimètre près. Tout y fait signe, le moindre geste y est lourd de conséquences. La façon de se déplacer d'un bord à l'autre, de tester un fil de nylon, de boire, de se nourrir ! Mon père est un chaman tout entier dédié à sa quête des profondeurs marines, il exige de tous ceux qui désirent communier avec lui et profiter de son savoir la même ascèse quasi religieuse, les mêmes privations qu'il s'inflige chaque jour sans sourciller : pour six à huit heures de pêche, il n'emporte en tout et pour tout que la thermo chinoise (trois tasses de café), une bouteille d'eau congelée (pour tenir au frais le poissons dans la glacière ; on peut en boire quelques gouttes vers onze heures, lorsque le glaçon commence à fondre un peu, mais c'est mal vu) et quatre biscottes sous cellophane (il en mangera une vers dix heures - il a du diabète, affaire de vie ou de mort - et moi une autre, par désoeuvrement ou parce que j'ai envie de fumer). C'est comme ça depuis quarante ans que je vais à la pêche avec lui, et je ne m'en porte pas plus mal. Les rares fois où mon père a accepté d'emmener quelqu'un d'autre avec nous, prenant sur lui pour ne pas imposer à son invité nos règles cisterciennes, cela s'est toujours mal passé. La personne en question se ramenait à bord avec des croissants, du pain frais, des rillettes, du pastis et du rosé ! Toutes victuailles auxquelles nous refusions de goûter mon père et moi, ce qui avait le don de mettre mal à l'aise notre passager et visait secrètement à l'écoeurer de notre compagnie. Il est bien évident que dans une telle situation, nous ne touchions pas à une seule biscotte ni même à l'eau ou au café que nous laissions entièrement à disposition de notre victime. Allez, allez, nous ne sommes pas ici pour nous amuser, a toujours dit mon père chaque fois que nous arrivions sur les lieux de pêche et que je tardais une seconde à mette ma ligne à l'eau. J'ai entendu cette phrase toute mon enfance, sans comprendre qu'elle résumait une philosophie, et non le désir d'amasser le plus de poissons possible dans un temps donné : la pêche est une activité sérieuse, une cérémonie - j'y insiste - qui demande le dévouement de tout son être. Une sorte d'incursion dans le monde des ténèbres qu'il faut gagner de haute lutte. Revenir bredouille, ce n'est pas bien grave mais c'est quand même s'être montré indigne. Un peu comme de perdre une partie d'échecs. L'adversaire a été plus fort, à nous d'en tirer les conclusions. Pas la bonne lune, la prochaine fois faudra partir plus tôt ; les daurades roses remontent le tombant vers les fonds de deux cent cinquante mètres dans l'après-midi - mon père assure que Cousteau a écrit ça quelque part - ce qui voudrait dire qu'on a calé nos lignes trop profond ; aujourd'hui on a choisi des plombs de cinq cents grammes, demain on essayera plus lourd pour pallier les effets du courant ; les sardines étaient pourries à force d'avoir été recongelées, l'invité présent nous a porté la scoumoune... Tout peut être prétexte à expliquer cette chose incompréhensible : pourquoi n'a-t-il pris ce jour aucun poisson à l'endroit même où hier encore nous en avons pêché une lessiveuse ?
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Mon père s'appelle Manuel Cortès. Le sien s'appelait Juan, "Juanico" entre intimes (...)
Mon grand-père avait débarqué en Algérie au mois de juillet 1882, le jour anniversaire de ses quatre ans. Ses parents s'étaient longtemps agrippés à leur terre andalouse, résistant aux vagues d'émigration qui se succédaient depuis vingt ans. Ici, la sécheresse, endémique, les terres brûlées en front de mer, les paysages lunaires sous le ciel profond de Cabo de Gata. De l'autre côté, disaient ceux qui avaient franchi le pas, c'était le même décor, mais avec des sources, des rivières, des plaines à l'abandon qui ne demandaient qu'à être défrichées et irriguées pour se mettre à produire généreusement. Ce n'était certes pas un pays de Cocagne : on y côtoyait le typhus de fort près, le choléra, la dysenterie ; des nuages de criquets vous boulottaient une récolte en moins de deux, tremblements de terre et crues ravageuses remettaient ça quelques semaines plus tard, des bandits arabes attaquaient les fermes, rançonnaient les gens sur les chemins, sans parler du sirocco, et de l'angoisse qui vous brûlait la gorge lorsqu'il fallait d'urgence calfeutrer les ouvertures de la maison pour échapper à cette exhalaison d'enfer. Au matin, il y avait trente centimètres de sable rose accumulé sur le rebord des fenêtres, on respirait profondément, avec la lenteur éberluée de ceux qui s'étonnent d'avoir échappé à l'asphyxie. Et cependant, cela ne semblait pas si terrible à des gens qui survivaient avec peine à une enjambée de l'Afrique, là où d'autres Espagnols réussissaient à faire manger leur femme et leurs enfants.
Le père de Juanico, Francisco, avait un lopin de terre sur les contreforts de la montagne et une barque de pêche à Adra ; la terre ne produisait plus que des lézards, la pêche, des sardines qui pourrissaient sur les docks, faute de clients pour les acheter. C'était tragique, mais encore supportable, si fort est l'attachement de l'homme au sol qui l'a fait naître.
Quand Francisco fut tiré au sort pour le service militaire - ce qui signifiait partir à Cuba rejoindre le contingent d'appelés miséreux qui se faisaient massacrer là-bas au nom du drapeau espagnol - la décision fut immédiate. Il n'avait pas l'argent nécessaire à l'envoi d'un suppléant, sa femme et ses enfants ne survivraient pas à son absence.
La traversée vers l'Algérie était plus abordable, il n'eut qu'à vendre sa barque au prix du bois pour être en mesure d'acheter leur passage sur le Tintoré, un vapeur qui reliait Alicante à Oran, tout en gardant une petite réserve de secours. Nul besoin de visa ou de papiers, la France avait choisi de fermer les yeux sur ces formalités, pressée d'exploiter un territoire conquis durement, mais qu'aucun Français ne consentait à cultiver. Vamo nos (on y va), avait-il dit à sa femme sur le ton qu'il employait pour partir aux champs.
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... ma copine d'alors (m'en)traîna un jour chez un de ses amis "artiste", dans le XVIe arrondissement. Il habitait un loft dont l'ordre et la netteté tenaient plus du laboratoire que d'un antre propice à la création, ou de ce que j'imaginais d'un atelier de peintre. (... ) Dès les présentation, j'appris qu'il travaillait pour le peintre Vasarely. Comme une demi-douzaine d'employés de son genre, épars dans les grandes capitales du monde, il recevait par fax les instructions du maître et se chargeait de réaliser les tableaux correspondants. Il nous montra la commande du jour : une longue suite de nombres qu'il déchiffra pour nous en préparant son matériel. D.29, p. 40 renvoyait à la page 40 du dossier 29 où se trouvait la matrice géométrique désirée, un canevas dont chaque polygone était numéroté. Suivait la taille de la toile, puis les chiffres associant chacune des surfaces à une couleur particulière. Ç a n'était que du coloriage, de la supercherie !
- Eh oui, ce con a réinventé la peinture au numéro... Lamentable, je suis d'accord, mais c'est mon gagne-pain. J'arrêterai quand je commencerai à vendre mes propres toiles.
(...) par bravade et pour enchérir sur mon écoeurement, il nous proposa de l'aider à peindre.
- On pourrait laisser des petits messages avant de s'y mettre, non ?
- Tout ce que tu veux, ça ne se verra pas sous le gesso.
C'est ainsi que j'avais commencé à écrire, au feutre indélébile, sur les deux toiles vierges qu'il venait d'accrocher au mur. "Ceci n'est pas de l'art, c'est de la merde" et d' autres insanités dont je ne me souviens plus mais sous lesquelles j'avais signé mon nom.
Le séchage de la couche d'apprêt nous avait laissé le temps de vider une seconde bouteille. Il reporta ensuite les figures requises à l'aide d'un projecteur, posa les toiles à plat sur la table, et nous nous mîmes tous les trois à colorier les cases numérotées en respectant les consignes données pour les couleurs.
Quand nous partîmes, au petit matin, il y avait dans l'atelier deux nouveaux Vasarely que le maître authentifierait sans vergogne quelques jours plus tard.
Ils doivent être sur les cimaises d'un musée ou dans ses réserves - qui en voudrait chez soi aujourd'hui ? - et il n'y a aucune chance qu'un expert les passe jamais au rayon X, mais la simple existence des petites bombes à retardement que j'y ai placées continue de me rasséréner.
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Je n'ai pas peur ou pas encore. Quant à prier, j'ai toujours préféré la violence de mes angoisses au sommeil de la raison; je suis heureux que mon cerveau m'épargne la déchéance de la supplique... J'ai biffé rageusement sourates et versets, puis recopié en marges la fière injonction de Marc Aurèle " Vivez une bonne vie. S'il y a des dieux et qu'ils sont justes, alors ils ne se soucieront pas de savoir à quel point vous avez été dévots, mais vous jugeront sur la base des vertus par lesquelles vous avez vécu. S'il y a des dieux mais qu'ils sont injustes, alors vous ne devriez pas les vénérer. S'il n'y a pas de dieux, alors vous ne serez pas là, mais vous aurez vécu une vie noble qui continuera d'exister dans la mémoire de ceux que vous aurez aimés. Je n'ai pas peur."
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Flavi était resplendissante, de cette beauté qui transforme le corps plurôt qu'elle n'en résulte. Un chignon lâche de cheveux blonds, retenu assez bas sur la nuque, des yeux en amande avec ce bleu regard de myope, cette trouée de ciel où se lisait d'emblée sa franchise désarmante comme le filigrane de son élégance.
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Videos de Jean-Marie Blas de Roblès (24) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jean-Marie Blas de Roblès
À l'occasion de la 33ème éditions du festival "Étonnats Voyageurs" à Saint-Malo, Jean-Marie Blas de Roblès vous présente son ouvrage "Le livre noir des Mille et une nuits" aux éditions Cherche Midi.
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Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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