Il est aujourd'hui bien connu que Naruse a maintes fois manifesté son admiration pour l'oeuvre de Fumiko Hayashi, et souligné les affinités qu'il se sentait avec les milieux qu'elle décrivait : des groupes, des individus isolés, des couples ou des familles vivant au bas de l'échelle sociale ou appartenant à la petite bourgeoisie salariée, usés par la monotonie des jours, les contraintes matérielles et la routine du quotidien. Mais Naruse s'est dit proche surtout de ses personnages de femmes, que leur profession (hôtesses, serveuses de bar, geishas) ou leur destin (amoureuses désillusionnées, épouses désabusées par le couple et l'existence même) exposent aux souffrance de la servitude, de la trahison ou de l'abandon, mais que l'endurance empêche de sombrer. Sans doute l'enfance pauvre, l'impossibilité de poursuivre des études, l'obligation de gagner sa vie très jeune et l'acharnement au travail ont-ils également joué dans le sentiment de proximité que Naruse éprouvait avec la romancière. Et peut-être aussi, bien avant la découverte par le cinéaste des livres de Fumiko Hayashi, un amour partagé dès leur plus jeune âge pour les livres des autres.
[Jean NARBONI, "Mikio Naruse. Les Temps incertains", éditions Cahiers du Cinéma (Paris), coll. "Auteurs", 2006 — chapitre "UN VRAI ROMAN", pages 112-113]
LA VIE QUOTIDIENNE.
Hayashi Fumiko déclarait en exergue de son roman inachevé "Le Repas", «aimer irrémédiablement les actes splendidement pitoyables des hommes perdus dans l'immensité de l'univers». Des hommes et des femmes ordinaires sont entraînés chez Naruse au gré du courant d'un récit singulier que rien ne semble devoir interrompre, presser ou ralentir, dans l'insistance d'un quotidien à la fois répétitif et changeant. (*)
(*) Voir le deuxième vers de la "Complainte sur certains ennuis" de Jules Laforgue ("Les Complaintes", 1885) : « Ah ! que la vie est quotidienne... »
[Jean NARBONI, "Mikio Naruse. Les Temps incertains", éditions Cahiers du Cinéma (Paris), coll. "Auteurs", 2006 — chapitre "AU FIL DU TEMPS", page 151]
On ne peut que partager [...] l'opinion d'Audie Bock selon qui la grandeur de Naruse tient « au portrait qu'il donne de cette blessure inguérissable que l'on appelle la vie », inguérissable parce qu'il « n'attribue pas la souffrance humaine à des causes externes ». Nous nous permettons de nuancer un peu en ajoutant le mot « seulement » : Naruse (proche en cela encore de Tchékhov, qui a connu le même reproche d'indifférentisme en matière de politique) n'attribue pas la souffrance humaine "seulement" à des causes externes.
[Jean NARBONI, "Mikio Naruse. Les Temps incertains", éditions Cahiers du Cinéma (Paris), coll. "Auteurs", 2006 — chapitre "AU FIL DU TEMPS" sous-chapitre : "POLITIQUE", page 158]