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Citation de Partemps


LIONEL MARCHETTI

Naissance 17 septembre 1967 (53 ans)
Marseille, Drapeau de la France France[réf. nécessaire]
Activité principale compositeur, musicien, écrivain
Genre musical Musique concrète, Musique improvisée, Musique Électroacoustique, Acousmatique
Instruments haut-parleurs, électroniques diverses, synthétiseurs, Acousmonium

ARBRE

Je me souviens, enfant, à l'âge de six ou sept ans, d'un grand peuplier. Masse végétale immense entourée d'herbes hautes et fraîches balayées par le vent. Nous étions au printemps et je me suis retrouvé seul dans un pré, à la campagne, proche de la maison, face à cet arbre imposant. Je me rappelle être attiré par une incroyable lumière verticale à la fois papillonnante et unie. Une hauteur rayonnante, puissante, intense. L'équilibre. L'équilibre de la multitude (ces milliers de feuilles...) Un mouvement lent, également, était là, en un battement graduel, presque circulaire. Et j'en faisais partie. Quelque chose de plein, indéniablement à sa place. Enraciné. Une assise accueillante, avec en elle une question naturelle - la question du vivant. Comme une flamme cet arbre semblait proposer une réponse et tout à la fois s'affirmait en une force ouverte à l'horizon d'une nuée d'autres questions laissées sans réponse. Un pourquoi sans pourquoi. Prémices d'un rituel simple mais déjà complexe : être au monde et en avoir conscience. Rituel au delà du rituel. La posture sans imposture de l'arbre aurait certainement dit un sage asiatique. L'expérience, quoiqu'il en soit, d'une présence - à l'instant perpétuel de son éclosion.

PREMIERS POÈMES & ÉCOUTE ACOUSMATIQUE

J'ai commencé à écrire quelques poèmes (à vrai dire c'était plutôt des chansons, pour notre groupe électro-pop rock d'alors, à Lyon, à l'âge de 18 ans, à la fin des années 80) en utilisant la machine à écrire de mon grand-père. Feuille blanche et fine, presque transparente. Mécanique craquante mais
fluide, un peu graisseuse, odorante. Mise en page instantanée et sans rature possible. Une fois la frappe achevée, la feuille se retirait, non sans se froisser et quelque chose était là, dans ma main. Quelque chose qui semblait toujours avoir été là.
Si j'insiste ici sur l'utilisation de cette vieille machine à écrire, c'est que je me rend compte, aujourd'hui, de l'importance première, pour moi, de l'outil. Très rapidement, l'usage des machines à enregistrer, tout comme la découverte de leurs incroyables possibilités de ramifications m'aura mis à l'aise.
J'ai été le premier surpris.
Je me rappelle très bien, de même, à l'époque du Lyçée, alors que je découvrais par hasard, à la radio, une extraordinaire musique concrète de Bernard Parmegiani - Exercisme 3 - éprouver d'emblée l'expérience acousmatique : écouter, simplement écouter et tout à coup arpenter, en esprit, d'immenses géographies sonores déployées en une véritable cartographie poétique, libre, sensuelle et jouir, de la sorte, de toutes ces innombrables métamorphoses.
Je me souviens également installer, dans le jardin, via de longs câbles rallongés grossièrement avec du scotch, les haut-parleurs de ma chaîne Hi-Fi pour jouer avec jubilation des subtilités spatiales d'une telle mise en espace ; de même commencer à manipuler avec autant de plaisir l'improbable variateur de vitesse de ma platine K7. Je jouais alors de la clarinette classique. J'ai ainsi commencé à m'enregistrer et à modifier la vitesse de la bande magnétique lors de la lecture. Et voici que ma clarinette désormais enregistrée se métamorphosait en un grand chant venu des abysses !
Tout cela, indéniablement, m'échappait, me dépassait. Un horizon ouvert existait donc sous l'horizon des objets.
Peut-être était-il temps, pour moi, de se servir des outils de mon temps.


OUTIL

L'outil - l'instrument - si on l'utilise à bon escient, génère rapidement une distance entre le résultat obtenu, le rendu et notre intention première (intention de bien faire - la plupart du temps bien pensante - et tout le cortège habituel des idées affectées...) Un écart manifeste - qui possède, selon moi, une valeur immense.
Car cette distance est souvent celle où s'engouffre, subrepticement, l'image.
Image au sens plein : lorsqu'il y a effet d'image. C'est à dire lorsque quelque chose d'autre que de la simple matérialité agencée commence à agir et va jusqu'à modifier celui ou celle qui sait s'en saisir. Jusqu'à le fasciner.
Mais au delà de l'enchantement, qui pourrait tout arrêter, il s'agira alors - c'est là ma façon de faire en tant que compositeur concret - de profiter de cet écart, de cette passe.
D'entrer de plein pied dans le champ même de cette réalité nouvelle.
Un cheminement.
Une voie.
Du stylo à la machine à écrire en passant par le microphone, l'enregistreur, l'ordinateur... ...jusqu'à la venue de cette force d'image et sans oublier, encore et toujours, la main qui relie tout ça - en gardant, c'est important, la tête relevée pour observer et respirer, dehors.
Pour respirer avec le dehors.
Car le risque de l'outil (de la fascination pour l'outil) n'est-il pas qu'il nous crochète le visage à la page ou à l'ouvrage ?
Aujourd'hui, je fais mienne cette phrase d'un sage Hindou dont j'ai oublié le nom : "Quand tu as l'intention de faire quelque chose, arrête !"
Une fois un tel filet lancé, la poétique de l'ouvrage en cours commence à prendre, à croître, à se ramifier. Comme s'il s'agissait, littéralement, d'attraper quelque chose. Non pas pour l'emprisonner. Plutôt pour constater et apprécier pleinement son
existence - ensuite la relâcher, en ayant appris un peu de ce qu'elle sait.
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