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4/5 (sur 11 notes)

Nationalité : Suisse
Né(e) à : Fribourg , 1944
Biographie :

Jean-Noël von der Weid est né à Fribourg (Suisse) et vit à Paris depuis plus de trente ans.
Musicien (polyinstrumentiste) et critique de musique dans différentes revues spécialisées, il a travaillé avec André Boucourechliev, Karlheinz Stockhausen, György Ligeti ou Mauricio Kagel.

Source : Decitre
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Citations et extraits (8) Ajouter une citation
LIONEL MARCHETTI

DIVERSES ÉCRITURES

Car il y a là une surprise qui est de taille : la rencontre avec tout un monde - parfois même avec des personnages sonores aucunement imaginés (entités venues de nulle part et qui pourtant sont bien là, à chaque écoute se renouvellent, s'enrichissent) ; la découverte de forces telluriques énigmatiques ; l'apparition d'improbables perspectives acoustiques mêlant espaces et temporalitées croisées ; la sensation physique, absolument ressentie, de
matérialités sonores et autres durées inverses, contradictoires, métamorphiques, le tout semblant répondre, c'est un fait, et au travers d'un subtil effet de contact, à l'espace poétique propre à chaque composition.
Dans l'art de l'improvisation tel que je le pratique, l'usage du haut-parleur, lié à l'amplification de corps sonores et autres effets synthétiques miroitants (le larsen - un retour sur lui-même du son) est omniprésent.
L'envie de se retrouver de la sorte détaché, cette fois ci avec son corps d'interprète, sur scène, face au public, et en profitant de la capacité d'un tel instrumentarium est tout autant essentielle.
Pour moi, idéalement, il ne s'agit aucunement de s'exprimer - mais plutôt de s'accorder à un dehors en espérant être traversé par quelque chose qui littéralement, me dépasse.
Quelque chose qui provient de l'extérieur.
Une exigence de vérité, intimement imbriquée, cette fois-ci, lors du concert, au temps réel de l'action et de l'écoute.
L'exigence d'une profonde respiration.
L'exigence d'être là.
Je parlerais, pour ce faire, et sans prétention aucune, de méditation active - d'un yoga - en ce sens, comme le dit avec des mots simples Chögyam Trungpa, d'apprécier "que chaque chose soit à sa place - ce qui est la méditation au sens large."
Le compositeur de musique concrète, pour y revenir, agence des morceaux de temps appartenant à des régimes temporels différents, ayant des caractères, des valeurs, des dimensions ou encore des signatures acoustiques différentes. D'où cette incroyable possibilité de combinaisons dans son écriture, associée à une vue d'en haut absolument détaillée, pointilliste, en couches ou en strates à l'allure quasi géomorphologique. Écriture rendue d'autant plus aisée, aujourd'hui, dans ses précisions comme sur la durée, grâce à l'outillage informatique : en cela, je
pense sincèrement que nous n'en sommes qu'au début de l'écriture musicale concrète.
Cette écriture labyrinthique, étalée parfois sur des années, c'est ce que ne propose pas, précisément, la temporalité d'une traite de l'improvisation, alors même qu'à l'inverse, et justement, celle-ci puise là toute sa force : la sève de sa vérité.
À chaque art ses spécificités.
S'il fallait faire une analogie avec d'autres disciplines, visuelles par exemple, on pourrait comparer le compositeur au réalisateur cinéaste qui travaille sur son montage pendant des années et l'improvisateur à l'acteur, ou plutôt à une performance où l'artiste (à l'ouvrage à partir de rien) respire avec le public, engagés tous deux, main dans la main, sur une même échelle de temps.
Vivant de concert la même expérience.
Je partage les deux disciplines.
Elles se répondent, l'une l'autre, riches d'une multiplicité de valeurs différentes comme deux métiers intimement entrelacés.
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LIONEL MARCHETTI

Naissance 17 septembre 1967 (53 ans)
Marseille, Drapeau de la France France[réf. nécessaire]
Activité principale compositeur, musicien, écrivain
Genre musical Musique concrète, Musique improvisée, Musique Électroacoustique, Acousmatique
Instruments haut-parleurs, électroniques diverses, synthétiseurs, Acousmonium

ARBRE

Je me souviens, enfant, à l'âge de six ou sept ans, d'un grand peuplier. Masse végétale immense entourée d'herbes hautes et fraîches balayées par le vent. Nous étions au printemps et je me suis retrouvé seul dans un pré, à la campagne, proche de la maison, face à cet arbre imposant. Je me rappelle être attiré par une incroyable lumière verticale à la fois papillonnante et unie. Une hauteur rayonnante, puissante, intense. L'équilibre. L'équilibre de la multitude (ces milliers de feuilles...) Un mouvement lent, également, était là, en un battement graduel, presque circulaire. Et j'en faisais partie. Quelque chose de plein, indéniablement à sa place. Enraciné. Une assise accueillante, avec en elle une question naturelle - la question du vivant. Comme une flamme cet arbre semblait proposer une réponse et tout à la fois s'affirmait en une force ouverte à l'horizon d'une nuée d'autres questions laissées sans réponse. Un pourquoi sans pourquoi. Prémices d'un rituel simple mais déjà complexe : être au monde et en avoir conscience. Rituel au delà du rituel. La posture sans imposture de l'arbre aurait certainement dit un sage asiatique. L'expérience, quoiqu'il en soit, d'une présence - à l'instant perpétuel de son éclosion.



PREMIERS POÈMES & ÉCOUTE ACOUSMATIQUE

J'ai commencé à écrire quelques poèmes (à vrai dire c'était plutôt des chansons, pour notre groupe électro-pop rock d'alors, à Lyon, à l'âge de 18 ans, à la fin des années 80) en utilisant la machine à écrire de mon grand-père. Feuille blanche et fine, presque transparente. Mécanique craquante mais
fluide, un peu graisseuse, odorante. Mise en page instantanée et sans rature possible. Une fois la frappe achevée, la feuille se retirait, non sans se froisser et quelque chose était là, dans ma main. Quelque chose qui semblait toujours avoir été là.
Si j'insiste ici sur l'utilisation de cette vieille machine à écrire, c'est que je me rend compte, aujourd'hui, de l'importance première, pour moi, de l'outil. Très rapidement, l'usage des machines à enregistrer, tout comme la découverte de leurs incroyables possibilités de ramifications m'aura mis à l'aise.
J'ai été le premier surpris.
Je me rappelle très bien, de même, à l'époque du Lyçée, alors que je découvrais par hasard, à la radio, une extraordinaire musique concrète de Bernard Parmegiani - Exercisme 3 - éprouver d'emblée l'expérience acousmatique : écouter, simplement écouter et tout à coup arpenter, en esprit, d'immenses géographies sonores déployées en une véritable cartographie poétique, libre, sensuelle et jouir, de la sorte, de toutes ces innombrables métamorphoses.
Je me souviens également installer, dans le jardin, via de longs câbles rallongés grossièrement avec du scotch, les haut-parleurs de ma chaîne Hi-Fi pour jouer avec jubilation des subtilités spatiales d'une telle mise en espace ; de même commencer à manipuler avec autant de plaisir l'improbable variateur de vitesse de ma platine K7. Je jouais alors de la clarinette classique. J'ai ainsi commencé à m'enregistrer et à modifier la vitesse de la bande magnétique lors de la lecture. Et voici que ma clarinette désormais enregistrée se métamorphosait en un grand chant venu des abysses !
Tout cela, indéniablement, m'échappait, me dépassait. Un horizon ouvert existait donc sous l'horizon des objets.
Peut-être était-il temps, pour moi, de se servir des outils de mon temps.


OUTIL

L'outil - l'instrument - si on l'utilise à bon escient, génère rapidement une distance entre le résultat obtenu, le rendu et notre intention première (intention de bien faire - la plupart du temps bien pensante - et tout le cortège habituel des idées affectées...) Un écart manifeste - qui possède, selon moi, une valeur immense.
Car cette distance est souvent celle où s'engouffre, subrepticement, l'image.
Image au sens plein : lorsqu'il y a effet d'image. C'est à dire lorsque quelque chose d'autre que de la simple matérialité agencée commence à agir et va jusqu'à modifier celui ou celle qui sait s'en saisir. Jusqu'à le fasciner.
Mais au delà de l'enchantement, qui pourrait tout arrêter, il s'agira alors - c'est là ma façon de faire en tant que compositeur concret - de profiter de cet écart, de cette passe.
D'entrer de plein pied dans le champ même de cette réalité nouvelle.
Un cheminement.
Une voie.
Du stylo à la machine à écrire en passant par le microphone, l'enregistreur, l'ordinateur... ...jusqu'à la venue de cette force d'image et sans oublier, encore et toujours, la main qui relie tout ça - en gardant, c'est important, la tête relevée pour observer et respirer, dehors.
Pour respirer avec le dehors.
Car le risque de l'outil (de la fascination pour l'outil) n'est-il pas qu'il nous crochète le visage à la page ou à l'ouvrage ?
Aujourd'hui, je fais mienne cette phrase d'un sage Hindou dont j'ai oublié le nom : "Quand tu as l'intention de faire quelque chose, arrête !"
Une fois un tel filet lancé, la poétique de l'ouvrage en cours commence à prendre, à croître, à se ramifier. Comme s'il s'agissait, littéralement, d'attraper quelque chose. Non pas pour l'emprisonner. Plutôt pour constater et apprécier pleinement son
existence - ensuite la relâcher, en ayant appris un peu de ce qu'elle sait.
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LIONEL MARCHETTI

Naissance 17 septembre 1967 (53 ans)
Marseille, Drapeau de la France France[réf. nécessaire]
Activité principale compositeur, musicien, écrivain
Genre musical Musique concrète, Musique improvisée, Musique Électroacoustique, Acousmatique
Instruments haut-parleurs, électroniques diverses, synthétiseurs, Acousmonium

ARBRE

Je me souviens, enfant, à l'âge de six ou sept ans, d'un grand peuplier. Masse végétale immense entourée d'herbes hautes et fraîches balayées par le vent. Nous étions au printemps et je me suis retrouvé seul dans un pré, à la campagne, proche de la maison, face à cet arbre imposant. Je me rappelle être attiré par une incroyable lumière verticale à la fois papillonnante et unie. Une hauteur rayonnante, puissante, intense. L'équilibre. L'équilibre de la multitude (ces milliers de feuilles...) Un mouvement lent, également, était là, en un battement graduel, presque circulaire. Et j'en faisais partie. Quelque chose de plein, indéniablement à sa place. Enraciné. Une assise accueillante, avec en elle une question naturelle - la question du vivant. Comme une flamme cet arbre semblait proposer une réponse et tout à la fois s'affirmait en une force ouverte à l'horizon d'une nuée d'autres questions laissées sans réponse. Un pourquoi sans pourquoi. Prémices d'un rituel simple mais déjà complexe : être au monde et en avoir conscience. Rituel au delà du rituel. La posture sans imposture de l'arbre aurait certainement dit un sage asiatique. L'expérience, quoiqu'il en soit, d'une présence - à l'instant perpétuel de son éclosion.

PREMIERS POÈMES & ÉCOUTE ACOUSMATIQUE

J'ai commencé à écrire quelques poèmes (à vrai dire c'était plutôt des chansons, pour notre groupe électro-pop rock d'alors, à Lyon, à l'âge de 18 ans, à la fin des années 80) en utilisant la machine à écrire de mon grand-père. Feuille blanche et fine, presque transparente. Mécanique craquante mais
fluide, un peu graisseuse, odorante. Mise en page instantanée et sans rature possible. Une fois la frappe achevée, la feuille se retirait, non sans se froisser et quelque chose était là, dans ma main. Quelque chose qui semblait toujours avoir été là.
Si j'insiste ici sur l'utilisation de cette vieille machine à écrire, c'est que je me rend compte, aujourd'hui, de l'importance première, pour moi, de l'outil. Très rapidement, l'usage des machines à enregistrer, tout comme la découverte de leurs incroyables possibilités de ramifications m'aura mis à l'aise.
J'ai été le premier surpris.
Je me rappelle très bien, de même, à l'époque du Lyçée, alors que je découvrais par hasard, à la radio, une extraordinaire musique concrète de Bernard Parmegiani - Exercisme 3 - éprouver d'emblée l'expérience acousmatique : écouter, simplement écouter et tout à coup arpenter, en esprit, d'immenses géographies sonores déployées en une véritable cartographie poétique, libre, sensuelle et jouir, de la sorte, de toutes ces innombrables métamorphoses.
Je me souviens également installer, dans le jardin, via de longs câbles rallongés grossièrement avec du scotch, les haut-parleurs de ma chaîne Hi-Fi pour jouer avec jubilation des subtilités spatiales d'une telle mise en espace ; de même commencer à manipuler avec autant de plaisir l'improbable variateur de vitesse de ma platine K7. Je jouais alors de la clarinette classique. J'ai ainsi commencé à m'enregistrer et à modifier la vitesse de la bande magnétique lors de la lecture. Et voici que ma clarinette désormais enregistrée se métamorphosait en un grand chant venu des abysses !
Tout cela, indéniablement, m'échappait, me dépassait. Un horizon ouvert existait donc sous l'horizon des objets.
Peut-être était-il temps, pour moi, de se servir des outils de mon temps.


OUTIL

L'outil - l'instrument - si on l'utilise à bon escient, génère rapidement une distance entre le résultat obtenu, le rendu et notre intention première (intention de bien faire - la plupart du temps bien pensante - et tout le cortège habituel des idées affectées...) Un écart manifeste - qui possède, selon moi, une valeur immense.
Car cette distance est souvent celle où s'engouffre, subrepticement, l'image.
Image au sens plein : lorsqu'il y a effet d'image. C'est à dire lorsque quelque chose d'autre que de la simple matérialité agencée commence à agir et va jusqu'à modifier celui ou celle qui sait s'en saisir. Jusqu'à le fasciner.
Mais au delà de l'enchantement, qui pourrait tout arrêter, il s'agira alors - c'est là ma façon de faire en tant que compositeur concret - de profiter de cet écart, de cette passe.
D'entrer de plein pied dans le champ même de cette réalité nouvelle.
Un cheminement.
Une voie.
Du stylo à la machine à écrire en passant par le microphone, l'enregistreur, l'ordinateur... ...jusqu'à la venue de cette force d'image et sans oublier, encore et toujours, la main qui relie tout ça - en gardant, c'est important, la tête relevée pour observer et respirer, dehors.
Pour respirer avec le dehors.
Car le risque de l'outil (de la fascination pour l'outil) n'est-il pas qu'il nous crochète le visage à la page ou à l'ouvrage ?
Aujourd'hui, je fais mienne cette phrase d'un sage Hindou dont j'ai oublié le nom : "Quand tu as l'intention de faire quelque chose, arrête !"
Une fois un tel filet lancé, la poétique de l'ouvrage en cours commence à prendre, à croître, à se ramifier. Comme s'il s'agissait, littéralement, d'attraper quelque chose. Non pas pour l'emprisonner. Plutôt pour constater et apprécier pleinement son
existence - ensuite la relâcher, en ayant appris un peu de ce qu'elle sait.
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LIONEL MARCHETTI

Naissance 17 septembre 1967 (53 ans)
Marseille,
Activité principale compositeur, musicien, écrivain
Genre musical Musique concrète, Musique improvisée, Musique Électroacoustique, Acousmatique
Instruments haut-parleurs, électroniques diverses, synthétiseurs, Acousmonium

ARBRE

Je me souviens, enfant, à l'âge de six ou sept ans, d'un grand peuplier. Masse végétale immense entourée d'herbes hautes et fraîches balayées par le vent. Nous étions au printemps et je me suis retrouvé seul dans un pré, à la campagne, proche de la maison, face à cet arbre imposant. Je me rappelle être attiré par une incroyable lumière verticale à la fois papillonnante et unie. Une hauteur rayonnante, puissante, intense. L'équilibre. L'équilibre de la multitude (ces milliers de feuilles...) Un mouvement lent, également, était là, en un battement graduel, presque circulaire. Et j'en faisais partie. Quelque chose de plein, indéniablement à sa place. Enraciné. Une assise accueillante, avec en elle une question naturelle - la question du vivant. Comme une flamme cet arbre semblait proposer une réponse et tout à la fois s'affirmait en une force ouverte à l'horizon d'une nuée d'autres questions laissées sans réponse. Un pourquoi sans pourquoi. Prémices d'un rituel simple mais déjà complexe : être au monde et en avoir conscience. Rituel au delà du rituel. La posture sans imposture de l'arbre aurait certainement dit un sage asiatique. L'expérience, quoiqu'il en soit, d'une présence - à l'instant perpétuel de son éclosion.

PREMIERS POÈMES & ÉCOUTE ACOUSMATIQUE

J'ai commencé à écrire quelques poèmes (à vrai dire c'était plutôt des chansons, pour notre groupe électro-pop rock d'alors, à Lyon, à l'âge de 18 ans, à la fin des années 80) en utilisant la machine à écrire de mon grand-père. Feuille blanche et fine, presque transparente. Mécanique craquante mais
fluide, un peu graisseuse, odorante. Mise en page instantanée et sans rature possible. Une fois la frappe achevée, la feuille se retirait, non sans se froisser et quelque chose était là, dans ma main. Quelque chose qui semblait toujours avoir été là.
Si j'insiste ici sur l'utilisation de cette vieille machine à écrire, c'est que je me rend compte, aujourd'hui, de l'importance première, pour moi, de l'outil. Très rapidement, l'usage des machines à enregistrer, tout comme la découverte de leurs incroyables possibilités de ramifications m'aura mis à l'aise.
J'ai été le premier surpris.
Je me rappelle très bien, de même, à l'époque du Lyçée, alors que je découvrais par hasard, à la radio, une extraordinaire musique concrète de Bernard Parmegiani - Exercisme 3 - éprouver d'emblée l'expérience acousmatique : écouter, simplement écouter et tout à coup arpenter, en esprit, d'immenses géographies sonores déployées en une véritable cartographie poétique, libre, sensuelle et jouir, de la sorte, de toutes ces innombrables métamorphoses.
Je me souviens également installer, dans le jardin, via de longs câbles rallongés grossièrement avec du scotch, les haut-parleurs de ma chaîne Hi-Fi pour jouer avec jubilation des subtilités spatiales d'une telle mise en espace ; de même commencer à manipuler avec autant de plaisir l'improbable variateur de vitesse de ma platine K7. Je jouais alors de la clarinette classique. J'ai ainsi commencé à m'enregistrer et à modifier la vitesse de la bande magnétique lors de la lecture. Et voici que ma clarinette désormais enregistrée se métamorphosait en un grand chant venu des abysses !
Tout cela, indéniablement, m'échappait, me dépassait. Un horizon ouvert existait donc sous l'horizon des objets.
Peut-être était-il temps, pour moi, de se servir des outils de mon temps.


OUTIL

L'outil - l'instrument - si on l'utilise à bon escient, génère rapidement une distance entre le résultat obtenu, le rendu et notre intention première (intention de bien faire - la plupart du temps bien pensante - et tout le cortège habituel des idées affectées...) Un écart manifeste - qui possède, selon moi, une valeur immense.
Car cette distance est souvent celle où s'engouffre, subrepticement, l'image.
Image au sens plein : lorsqu'il y a effet d'image. C'est à dire lorsque quelque chose d'autre que de la simple matérialité agencée commence à agir et va jusqu'à modifier celui ou celle qui sait s'en saisir. Jusqu'à le fasciner.
Mais au delà de l'enchantement, qui pourrait tout arrêter, il s'agira alors - c'est là ma façon de faire en tant que compositeur concret - de profiter de cet écart, de cette passe.
D'entrer de plein pied dans le champ même de cette réalité nouvelle.
Un cheminement.
Une voie.
Du stylo à la machine à écrire en passant par le microphone, l'enregistreur, l'ordinateur... ...jusqu'à la venue de cette force d'image et sans oublier, encore et toujours, la main qui relie tout ça - en gardant, c'est important, la tête relevée pour observer et respirer, dehors.
Pour respirer avec le dehors.
Car le risque de l'outil (de la fascination pour l'outil) n'est-il pas qu'il nous crochète le visage à la page ou à l'ouvrage ?
Aujourd'hui, je fais mienne cette phrase d'un sage Hindou dont j'ai oublié le nom : "Quand tu as l'intention de faire quelque chose, arrête !"
Une fois un tel filet lancé, la poétique de l'ouvrage en cours commence à prendre, à croître, à se ramifier. Comme s'il s'agissait, littéralement, d'attraper quelque chose. Non pas pour l'emprisonner. Plutôt pour constater et apprécier pleinement son
existence - ensuite la relâcher, en ayant appris un peu de ce qu'elle sait.
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POÉSIE ET MUSIQUE

Voici quatre extraits de poèmes tirés d'un livre en cours (Le livre des falaises) qui me semblent proposer quelques pistes, tant en ce qui concerne l'écoute, mon approche de la composition concrète ou encore ma pratique de l'improvisation musicale :

"Un son - d'un geste simple...
Plutôt que de lui imposer, en le saturant d'intention
telle ou telle direction
plutôt que de chercher à l'accorder pour je sais quelles
circonstances
j'accepte son éclosion
telle qu'elle est
Un geste simple résonne
N'est-il pas nécessaire de le laisser voyager seul et
d'attendre qu'il revienne
chargé de ce qu'il sait ?
Un son pour soi - un son capable de mettre en valeur le
silence
afin de ramener, du silence
un suc, une substance
Qui serait la preuve du souffle du monde."

(.../...)

"N’existe-t-il pas, dans l'œuvre, en attente
- lorsque le souffle vital est bien là, ingénieusement cachée sous le voile de l’acte - une force qui ne demande qu’à fleurir ?"

(.../...)

"Ces lueurs
avec lesquelles il s’allie et compose
A-t-il, en ces instants
touché à l’essentiel de ce qui nous constitue ?
Lorsque la matière
déjà riche de combinaisons
(à peine oscillantes dans le vide)
semble être en attente d’un jaillissement."

(.../...)


"Une forme noirâtre
à l’affût
dans les interstices de la roche
Le souffle du large
Quelques pétales emportés par le vent
Et ces gigantesques bambous, entrechoqués
qui composent une musique naturelle sur un sol de
feuilles blanches."
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UNE CROISSANCE... SANS IDÉE

Peut-être est-ce ici, pour moi, l'un des grands enjeux de l'improvisation musicale - et de mes choix compositionnels : être là, de la façon la plus simple qui soit et saisir ce qui vient comme cela vient. Rester, d'une certaine façon, sans idée.
Accepter l'évidence qui se présente, avec souplesse, vigueur et clarté, sans nager à contre-courant. Prendre en ce sens la réalité telle qu'elle est. Éthique et poétique.
Cheminement.
Posture.
Pour à revenir plus précisément à mon travail de compositeur, avec sans cesse, chaque jour, les mains dans la matière du son, une œuvre naît, prend forme du sein même de sa propre structure lors même qu'elle n'est pas encore achevée, parfois à peine esquissée. Une sécrétion.
Une croissance par le dedans, par l'intérieur, absolument palpable, et qui se nourrit, petit à petit, de la complexité de tous les apports qu'il s'agit désormais de lui apporter en vue de la sustenter.
J'aime parler, en ce sens, d'une musique naturelle. Évolution lente, mesurée, tout en sillons et labyrinthes, jusqu'au point final qui s'impose à moi et me délivre, enfin, laissé seul face à cette existence ouverte et surtout, incandescente.
Quelque chose de l'ordre d'une substance.
À cette condition l'œuvre est alors achevée au moment même où elle se présente comme quasiment vivante.
À partir de là, effectivement, elle s'envisage véritablement, au sens premier du mot, avec tout ce que cela suppose en termes de relations à venir, face à ceux qui vont l'écouter, se l'approprier.
L'œuvre, une fois là, d'une certaine manière, s'impose à l'artiste.
Elle le regarde - elle le dévisage.
Elle aura même parfois suffisamment de force pour le rejeter.
Elle devient autonome, s'échappe...
Pour le compositeur il n'y a plus rien à faire. J'oserai même dire que l'œuvre s'individue. Autrement, il ne s'agira que d'un petit assemblage de plus - un simple imagier.


CODA

Je reviens, pour finir, à mon expérience d'enfant. Le peuplier tremble (un symbole incorporé, désormais). Arbre aux milliers de feuilles vibrantes. Toutes captent la lumière. Et par un mouvement rotatif de leur tige, dans le vent, elles jouent et dansent avec lui comme avec un allié. Sensation palpable et magnifique de l'interdépendance des phénomènes. Présence et vigilance. Me voici, enfant, de la sorte guidé, découvrant l'enthousiasme d'être en vie. Cela ne m'a pas quitté depuis. Le monde est là, à portée de main. Et il s'agit de s'accorder à lui. De ne pas s'imposer. Tout en respirant, tout en parlant. Tout en composant et en écrivant 1 :

"Cluny – printemps 1974
Parterre de fleurs et hautes herbes
souffle profond du vent dans les arbres
lumière intense
À l'ouest
le grand peuplier - une vision."


L.M.
septembre 2015
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LIONEL MARCHETTI

POÉTIQUE

Il s'agit, selon moi, d'offrir du vivant, voire de rendre vivant. Pour cela je pense qu'il est nécessaire de combiner, en une relation tournoyante et dansante, les forces qui viennent tant du dehors - le grand souffle du dehors, qui est là, tout proche (je repense souvent à la présence de ce peuplier dans le vent) - en l'associant, bien entendu, et paradoxalement, à qui je suis, à qui je fus et à qui je serai (je ne refuse pas le moi, je le prends avec moi, c'est ma tradition - apprendre le moi c'est oublier le moi), le tout emporté dans le grand mouvement des éléments, dont nous sommes, sans trop négliger cette cape sociale qui nous enveloppe, nous forge, mais qu'il faut savoir relever, plier, voire quitter quand on le juge nécessaire.
Un grand rapport.
La voie du milieu.
Une poétique.
Afin de créer - j'aurais envie de dire : de laisser advenir - du sein de chaque œuvre, tout un monde.

Kenneth White : "Concret ou abstrait ? J'aime l'abstrait où réside un souvenir de substance, le concret qui s'affine aux frontières du vide."



ART CONCRET - ÉCOUTE ACOUSMATIQUE

L'enregistrement, à l'écoute haut-parlante associée (la chaîne électroacoustique, liée à l'électricité) est une pratique qui modifie radicalement notre habituelle perception auditive. Avec cette possibilité, immédiate, de nouvellement l'apprécier, puis éventuellement d'en faire autre chose.
Jusqu'à écouter autrement.
De ressentir, dans tous les cas, le monde sous un autre jour.
L'art de la musique concrète, qui comme son nom l'indique est une façon d'écrire la musique avec les sons enregistrés eux-mêmes, d'emblée situe le compositeur dans un tel rapport jusqu'à l'introduire aux confins d'un horizon auditif sans cesse agrandi - horizon s'accordant subtilement avec l'apparition d'un espace intérieur à l'œuvre elle-même.
Un lointain.
Cette distance - ce détachement - ouvre un magnifique éventail de questions pour une posture d'écoute unique (une façon acousmatique de percevoir) qui a cet étrange pouvoir de rendre le compositeur observateur d'un phénomène sonore qui semble toujours avoir été là - pourtant rien n'existait auparavant. Un déploiement.
Un dépliage... permis par la machine.
Enregistrer un son, l'écouter au travers du haut- parleur : acte séminal par excellence.
Acte premier.
Bien sur, il faudra se rendre disponible, agencer tout ça, avoir de l'appétit, démêler l'ensemble de ces forces, de ces signes, de ces valeurs inouïes, toutes ces fictions qui soudainement pleuvent... et les maintenir, s'y démener, en les considérant comme des alliées pour entrer, main dans la main, dans ce nouveau territoire riche de promesses (et parfois, aussi, cela va sans dire, de pièges.)
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On peut entendre une couleur de bonheur : l’oreille voit, pense dans la peinture. On peut voir le grincement de l’angoisse : l’œil entend, pense dans la musique. Un son peut suggérer une couleur, pendant qu’une couleur peut suggérer un son. Le temps musical est visible, l’espace pictural audible : c’est en ce qui les désaccorde que musique et peinture s’interpénètrent. Fusions et correspondances, analogies ou disparités, sont étroites entre ces deux activités, la musique et la peinture, qui du fond des âges furent intimement liées à la vie des hommes. En inversant les principes traditionnels – musique, art du temps ; peinture, art de l’espace – Jean-Noël von der Weid incite à un doute fécond. Il nous fait découvrir que les sens pensent. Pour nous, regardeur et auditeur transformés, voir et écouter ainsi cela signifie penser autrement, percevoir autrement : nos sens buissonniers, œil, oreille, éclatés et indivis, forment moins une association qu’une intrication. En commentant de nombreuses œuvres picturales et musicales (de Véronèse à Klee en passant par Corot et Picasso ; de Monteverdi à Schoenberg), Jean-Noël von der Weid met au jour ces correspondances. (Quatrième de couverture)
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