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Citation de RChris


LA TRANCHÉE DE BAÏONNETTES
Voici les faits historiques sur lesquels la légende est venue se greffer après la guerre. En juin 1916, le 11e corps (Nantes) est arrivé à Verdun ; la 21e division, général Dauvin, est engagée le 12 juin vers le bois d'Haudromont et la côte de Froideterre : les 3e et 4e compagnies du 137e de Fontenay-le-Comte subissent une violente attaque qui submerge leurs tranchées situées sur les pentes sud-ouest de Douaumont ; une partie des hommes sont tués, d'autres sont pris, d'autres s'échappent. Les Allemands, maitres du terrain, rassemblent les morts dispersés sur le sol, dans les trous d'obus et dans les tranchées, les placent dans un élément de tranchée qui ne peut servir à leur usage, plantent des fusils tout le long de la fosse et la comblent. Et c'est tout.
Quant à la légende, elle ne supporte pas l'examen. Lorsqu'ils parlent parfois de tranchée comblée par le bombardement, les poilus veulent dire que la tranchée est détruite en tant que tranchée utilisable: trop évasée, trop obstruée pour servir, il vaut mieux l'évacuer et se poster dans les trous d'obus qui l'avoisinent. Les obus sont incapables de combler une tranchée dans le sens où les non-poilus comprennent combler ; car les obus creusent tout autant qu'ils comblent et leur dispersion leur interdit de creuser toujours sur une même ligne pour combler toujours une autre ligne. Pour combler une tranchée il faudrait que les obus, épousant les sinuosités du fossé, tombent tous rigoureusement à un mètre en avant du parapet, sans qu'il s'en égare un dans la tranchée car il coucherait les fusils qui, pour les besoins de la légende, doivent rester plantés droits et alignés pendant toute la période du bombardement ensevelisseur. Mais supposons que cette impossibilité ait eu lieu et que les obus, désobéissant pour une fois à la loi de la dispersion, aient fait le miracle de combler une tranchée. Il resterait encore à expliquer une absurdité : pourquoi les hommes se sont-ils laissé enterrer? Je devine l'idée des faiseurs de légendes : le soldat est attaché à son poste au bois d'Haudromont comme il l'était jadis à sa guérite devant l'hôtel de la division. Ces gens ne savent pas qu'on a plus de latitude pour se déplacer en première ligne que lorsqu'on est de faction à la caserne ; que dans les très mauvais secteurs cette liberté est sans limite, que l'indépendance de chacun est entière, qu'une section ne reste relativement groupée que par le fait d'un sens tout animal, le sens du troupeau, C'est d'ailleurs pour le mieux, I'initiative de chacun lui permet de tirer le meilleur parti d'une situation qui ne peut guère être pire. Tel préfère s'abriter dans le misérable fossé qui sert de tranchée, tel préfère la protection qu'offre les trous d'obus. Si la tranchée semble devenir intenable, tout le monde s'égaille dans les trous d'obus. Dans ce cas, que devient la vraissemblance du tableau héroique? cette rangée d'hommes debout baïonnette au canon, laissant la terre leur monter de la cheville au genou, à la ceinture, aux épaules, à la bouche...
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