AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Frédéric Rousseau (Préfacier, etc.)
EAN : 9782864807186
727 pages
Presses universitaires de Nancy (30/11/-1)
4.79/5   7 notes
Résumé :
Essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928,
Jean Norton Cru, Presses universitaires de Nancy, 2007 (1929 pour l'édition originale)

Ouvrage de référence et outil indispensable , "Témoins" de Jean Norton Cru est le résultat d'un travail considérable réalisé par cet ancien combattant de première ligne au lendemain de la guerre
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après TémoinsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Publié en 1929, réédité en 1993, “Témoins” demeurait introuvable.
C'est cette édition de 2006, enrichie, que je chronique.
Le contenu essentiel de ce livre est un “Essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928.”

Jean Norton Cru s'explique sur son projet, qui est aussi analysé en préambule par l'historien Frédéric Rousseau.
Pourquoi un combattant de la guerre 14-18 s'est acharné pendant quinze ans à analyser les écrits publiés sur la guerre et a passé au crible plus de 300 témoignages ?
“C'est bien la brutale et révoltante découverte du grand mensonge sur la guerre qui est à l'origine de cette oeuvre et une arme pour la paix.”
Car le fondement de son propos est de rendre la véracité de la guerre pour éviter qu'elle ne se reproduise.

Ce n'est pas la vérité, “idéal impossible”, mais la sincérité, “idéal réalisable” que veut produire l'auteur.
Parmi les principales fautes qui ruinent un témoignage, il débusque les “anecdotes fabriquées, arrangées ou répétées d'après des commérages et présentés comme témoignages personnels ; (l') optimisme irraisonné sur nos troupes et nos armes ; (la) calomnie du courage de l'ennemi et (le) rabaissement de sa force ; (les) formes de styles fausses et exagérées empruntées à la presse, qui dénaturent les faits et les sentiments du front…”

En 700 pages à la typologie serrée, il répertorie, classe et apprécie la véracité de 300 publications qui ont été écrites en français, publiées de 1915 à 1928, éditées à Paris et se rapportent à des souvenirs de la vie vécue sous le feu et strictement personnels.

Les oeuvres de 251 auteurs ont été lues au moins deux fois, voire dix pour “Sous Verdun” de Maurice Genevoix.

Les documents, annotés et recoupés, sont classés en 84 journaux, 86 livres de souvenirs, 42 livres de réflexions, 29 recueils de lettres et 59 romans.
Il applique à ces documents un critère de plus ou moins grande sincérité.
Il sera parfois raillé pour la minutie de ses recherches, pour son souci du détail, pour sa maniaquerie sur la chronologie et sur la topographie.

Certains dénonceront la subjectivité de son approche qui a alimenté des controverses et des droits de réponse de ceux qui ont été accusés de biaiser l'histoire.
Leurs réponses figurent dans un dossier de presse annexé .
J.N. Cru ne peut opposer à l'argument de la subjectivité que son travail de recoupement entre les documents, cartes d'état major à l'appui, et son appréciation du fait qu'ayant été au front il ne peut que réagir vivement contre ce qu'il considère comme des contre vérités.
Parmi les auteurs critiqués figurent Dorgelès et Barbusse, dont les romans, respectivement “Les croix de bois”, “le Feu”, sont encore abondamment lus.
On s'accorde aujourd'hui à reconnaître qu'il a pu se tromper et est allé trop loin dans la critique de ces oeuvres !

L'auteur relève les inexactitudes qui peuvent donner aux civils une vision de la guerre qui n'a rien de commun avec celle du combattant :
- “La guerre est une lutte” : “Les combattants avaient plus ou moins cette idée avant de voir le feu. Dès qu'ils connurent la guerre, ils comprirent qu'elle n'était lutte qu'entre deux grands groupements d'individus : coalitions, nations, armées… jusqu'aux divisions.”
- “Les bons soldats sont courageux, les mauvais soldats ont peur” : Non, “Tous les soldats sans exception ont peur et la grande majorité fait preuve d'un courage admirable en faisant ce qu'il faut faire en dépit de la peur.”
- “L'arme favorite du poilu est la baïonnette” : mais le poilu est convaincu que si l'on avait laissé la baïonnette à la caserne, on n'en aurait pas moins gagné la guerre. ”La baïonnette a fait tuer beaucoup de monde, elle en a tué fort peu…”
- “Les monceaux de morts”, ”Les flots de sang” : “Ces fantastiques exagérations se trouvent dans tous les récits des narrateurs suspects…”
- “Les légendes héroïques” : l'auteur en critique deux. Avec “Debout les morts”, les journalistes “ont fait combattre réellement et matériellement des blessés fouettés d'un sursaut d'énergie.”
Quant à la “Tranchée des baïonnettes”, iI tord le cou à cette légende d'une tranchée où seules les baïonnettes dépassent d'une rangée de soldats ensevelis debout.
C'est un lieu de bataille encore fort visité à Verdun même si son caractère de légende glorificatrice est aujourd'hui avéré. Quant aux faits réels, vous les trouverez cités.

A la suite de ces considérations introductives, le livre propose pour chaque oeuvre, la biographie de l'auteur, sa division militaire, la topographie de son secteur, la censure exercée et les critiques émises.
L'auteur montre également l'apport du livre à la connaissance de la guerre, illustrée par des citations, avant l'analyse critique proprement dite.

Cette étude vous permet aussi de faire des choix de lecture d'après les critères correspondant à 11 tableaux faits sans l'aide d'Excel.
Ils vous faciliteront plusieurs accès aux livres dont celle du classement par la valeur des témoignages.
Ceux-ci sont classés en 7 groupes de niveau de véracité : 29 excellents, 34 bons, 66 assez bons, 51 médiocres, 34 faibles, 29 nuls. Parmi les excellents, on trouve les cinq romans de Maurice Genevoix et les trois ouvrages de Charles Delvert.

Le livre se termine par 142 pages de dossiers de presse, constitués des réponses des auteurs critiqués (Dorgelès, Barbusse…), à lire en parallèle avec leurs romans.

Voilà, je range le livre. Je le rouvrirai à l'occasion d'une prochaine lecture sur ce thème.

J'ai voulu rendre compte du travail de titan de Jean Norton Cru et de sa volonté de faciliter la tâche aux historiens, mais je retiens surtout qu'il était patriote et pacifiste.
Il était convaincu que montrer la guerre sans tous ses apparats d'honneur, de gloire, de légende, d'erreurs était la meilleure façon de l'éviter.
Pour cela, il a placé sa confiance dans cette allégation : “il faut que les jeunes sachent…”

Commenter  J’apprécie          2510
Livre qui a pour sous titre "essai d"analyse et de critique des souvenirs de combattants..."
Le livre de John Norton CRU est une référence pour ces soldats qui ont témoigné de 1915 à 1928.
Il a fait l'objet de sévères critiques en retour également car il a su proposer les clés pour identifier (démystifier) les témoignages authentique.
Je souhaite dire que cela ne m'a pas empêché de faire ma propre lecture d'auteurs mis au piloris....
Comment aurait-il décrit toute cette profusion de témoignages qu'il avait annoncé avant l'heure ?
Nécessité pour les familles d'inscrire à la postérité les écrits de ces frère d'armes. Devoir de mémoire.
Cela est encore la preuve que lui même il avait participé à ce grand sacrifice!!!
Merci Monsieur.
Commenter  J’apprécie          40
L'auteur examine les oeuvres littéraires traitant de la grande guerre. Fort pédagogiquement, il les a triées par types : souvenirs, témoignages, lettres, romans… Au terme de ce travail de bénédictin le lecteur a une vision certainement plus fine et plus objective de toute la production occasionnée par la grande boucherie mondiale. Tous les jugements sont étayés, les oeuvres analysées, comparées, disséquées. Sans complaisance, bien au contraire. Il éreinte de bon coeur les deux célèbres plumitifs Barbusse et Dorgelès, un vrai régal ! Sa plume acerbe vante les auteurs “qui savent de quoi ils parlent, ceux qui ont vécu la guerre, et les autres sont conduits au bucher littéraire.
Commenter  J’apprécie          30

Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
LA TRANCHÉE DE BAÏONNETTES
Voici les faits historiques sur lesquels la légende est venue se greffer après la guerre. En juin 1916, le 11e corps (Nantes) est arrivé à Verdun ; la 21e division, général Dauvin, est engagée le 12 juin vers le bois d'Haudromont et la côte de Froideterre : les 3e et 4e compagnies du 137e de Fontenay-le-Comte subissent une violente attaque qui submerge leurs tranchées situées sur les pentes sud-ouest de Douaumont ; une partie des hommes sont tués, d'autres sont pris, d'autres s'échappent. Les Allemands, maitres du terrain, rassemblent les morts dispersés sur le sol, dans les trous d'obus et dans les tranchées, les placent dans un élément de tranchée qui ne peut servir à leur usage, plantent des fusils tout le long de la fosse et la comblent. Et c'est tout.
Quant à la légende, elle ne supporte pas l'examen. Lorsqu'ils parlent parfois de tranchée comblée par le bombardement, les poilus veulent dire que la tranchée est détruite en tant que tranchée utilisable: trop évasée, trop obstruée pour servir, il vaut mieux l'évacuer et se poster dans les trous d'obus qui l'avoisinent. Les obus sont incapables de combler une tranchée dans le sens où les non-poilus comprennent combler ; car les obus creusent tout autant qu'ils comblent et leur dispersion leur interdit de creuser toujours sur une même ligne pour combler toujours une autre ligne. Pour combler une tranchée il faudrait que les obus, épousant les sinuosités du fossé, tombent tous rigoureusement à un mètre en avant du parapet, sans qu'il s'en égare un dans la tranchée car il coucherait les fusils qui, pour les besoins de la légende, doivent rester plantés droits et alignés pendant toute la période du bombardement ensevelisseur. Mais supposons que cette impossibilité ait eu lieu et que les obus, désobéissant pour une fois à la loi de la dispersion, aient fait le miracle de combler une tranchée. Il resterait encore à expliquer une absurdité : pourquoi les hommes se sont-ils laissé enterrer? Je devine l'idée des faiseurs de légendes : le soldat est attaché à son poste au bois d'Haudromont comme il l'était jadis à sa guérite devant l'hôtel de la division. Ces gens ne savent pas qu'on a plus de latitude pour se déplacer en première ligne que lorsqu'on est de faction à la caserne ; que dans les très mauvais secteurs cette liberté est sans limite, que l'indépendance de chacun est entière, qu'une section ne reste relativement groupée que par le fait d'un sens tout animal, le sens du troupeau, C'est d'ailleurs pour le mieux, I'initiative de chacun lui permet de tirer le meilleur parti d'une situation qui ne peut guère être pire. Tel préfère s'abriter dans le misérable fossé qui sert de tranchée, tel préfère la protection qu'offre les trous d'obus. Si la tranchée semble devenir intenable, tout le monde s'égaille dans les trous d'obus. Dans ce cas, que devient la vraissemblance du tableau héroique? cette rangée d'hommes debout baïonnette au canon, laissant la terre leur monter de la cheville au genou, à la ceinture, aux épaules, à la bouche...
Commenter  J’apprécie          80
Pour une lecture critique de "Témoins"
Frédéric Rousseau

Survivant du grand carnage, Jean Norton Cru retourne aux États-Unis après sa démobilisation et retrouve son poste de professeur, là malgré les incitations de ses proches l'invitant à rédiger ses propres souvenirs de guerre, il y renonce; en 1922, son choix de réaliser un Iivre d'un autre type se précise. Un pèlerinage effectué en août à Verdun et la résurrection des souvenirs d'un passé mort , semblent avoir définitivement conforté sa détermination. Déja, au cours d'une conférence publique tenue à Williams College le 14 février 1922 il avait confié à son auditoire : "là, dans ma tranchée, je fis le serment solennel de ne jamais soutenir ces mensonges, et, si Dieu me sauvait la vie, de rapporter la relation sincère et véridique de mon expérience. J'ai juré de ne jamais laisser mon imagination ni aucun désir d'expression littéraire faire de mon moi d'après-guerre le calomniateur de mon ancien moi de combattant. (Il y a des traitres qui ont été pris par l'amour propre). J'ai juré de ne jamais trahir mes camarades en peignant leur angoisse sous les couleurs brillantes du sentiment héroique et chevaleresque" Et c'est dans la quiétude solitaire de la bibliothèque de Williams College que l'étude systématique des souvenirs de combattants édités en français depuis 1915 est entreprise. Tache immense : inédite inégalée. Démesurée ? Peut-être. Mais Jean Norton Cru se sent alors littéralement appelé à témoigner pour les témoins ; au sens littéral du terme, il se sent choisi par le destin et parvient à force de volonté à donner vie à un projet d'une originalité et d'une ampleur sans précédent. L'enjeu lui-même peut paraitre d'une folle ambition puisque Jean Norton Cru s'est assigné la mission de dire à ses contemporains et à leurs descendants la vérité sur la guerre, dans l'espoir d'en empêcher le retour. Sans surprise, l'auteur reprend à son compte cette formule d'un témoin : "il faut que les jeunes sachent... "
Commenter  J’apprécie          100
LE BUT DE CE LIVRE
... Nous présentons ici un ensemble de témoignages de combattants parce que nous croyons qu'ils serviront à la fois le public et les spécialistes, de deux manières. Aux sociologues, aux psychologues, aux moralistes, ils apprendront que l'homme n'arrive à faire la guerre que par un miracle de persuasion et de tromperie accompli en temps de paix sur les futurs combattants par la fausse littérature, la fausse histoire, la fausse psychologie de guerre ; que si on savait ce que le soldat apprend à son baptême du feu, personne ne consentirait à accepter la solution par les armes : ni amis, ni ennemis, ni gouvernement, ni chambre, ni électeurs, ni réservistes, ni même soldats de métier. Aux historiens, ces témoignages apprendront que toute histoire militaire vue de haut, conçue en partie d'échecs, faite d'après les documents d'état-major et sans les témoignages des vrais acteurs, de ceux qui portent et subissent les coups, est une agréable illusion où lon croit pouvoir construire un ensemble, lequel est fait de détails, sans connaitre l'essence même de ces détails. Les historiens militaires sont des ingénieurs qui construisent un grand pont métallique, sans rivets, sans aucune des petites pièces : s'ils arrivent à le construire, il ne peut l'être que dans leur imagination, puis sur le papier, jamais dans la réalité. lls conçoivent sans doute la nécessité des rivets, mais étant des abstracteurs, des dessinateurs, des constructeurs de cabinet, ils n'ont jamais fait de rivets, n'en ont jamais vu et sont prêts à les vouloir en bois, en plomb, en liège, en tout sauf en acier. Leur pont ne sera jamais un pont. Rivets en liège ou grognards et poilus vus en action par l'historien sont du même degré d'absurdité, sont également impossibles.
Commenter  J’apprécie          100
Deux ans après la guerre, des étrangers visitent le champ de bataille de Verdun et remarquent une ligne de fusils dressés, quelques-uns avec leur baïonnette. Ils auraient pu observer de semblables lignes de fusils sur de nombreux points du front, car c'était l'habitude des Français et des Allemands de jalonner ainsi les vieilles tranchées qu'ils avaient comblées après avoir entassé dans le fond des cadavres sans sépulture.

Comme ces étrangers ne connaissent rien à la guerre, ils croient à des hommes enterrés debout à leur poste ; ils ne savent pas que les obus ne peuvent fermer des tranchées, qu'au contraire, ils disloquent, éparpillent les parois des tranchées et les corps des occupants. Leur imagination s'enflamme. Ils voient des hommes sous un bombardement en pluie, submergés peu à peu par les éboulis et attendant, stoïques, que la terre montante recouvre leur poitrine, leurs épaules, leur bouche, leur yeux… Ils érigent un monument.

Si ces étrangers ne méritent aucun blâme, il n'en est pas de même des Français qui, connaissant la fausseté de la légende, ont essayé de lui donner une consécration historique. La tranchée des Baïonnettes, qui n'était au début qu'une innocente naïveté, est devenue, par suite de certaines complicités, une indigne imposture.

Commenter  J’apprécie          141
Aucun argument contre la guerre n'égale la force de cet argument: l'angoisse infernale qui poursuit tous les combattants, pauvres hommes qu'on persiste à nous peindre insensibles à l'idée du risque.[...] Dites que l'homme est un loup, un tigre, je le veux bien, mais sachez que ces animaux ont horreur du risque tout comme nous, et qu'en ce sens, ils sont pacifiques, tout comme nous. Les loups dévorent les agneaux, ils ne leur font pas la guerre; ils ne veulent pas risquer leur peau et ils ne feraient certes pas face, les connaissant, à des machines à tuer. [...] Quand accepterons-nous la vérité évidente qu'un tigre est un animal pacifique parce que le bond qui le lance sur sa proie n'a aucun rapport avec le bond du fantassin qui fonce sur des mitrailleuses.
Commenter  J’apprécie          60

Dans la catégorie : Batailles: 1914-1916Voir plus
>Histoire générale de l'Europe>Histoire militaire de la 1re guerre>Batailles: 1914-1916 (24)
autres livres classés : première guerre mondialeVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (28) Voir plus



Quiz Voir plus

C'est la guerre !

Complétez le titre de cette pièce de Jean Giraudoux : La Guerre ... n'aura pas lieu

de Corée
de Troie
des sexes
des mondes

8 questions
1125 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , batailles , armeeCréer un quiz sur ce livre

{* *}