J'ai hérité à la mort de ma grand-tante d'une soupière en faïence qui trône sur la table de la salle à manger. Je me suis engagé solennellement devant mes trois enfants réunis à la maintenir pleine de préservatifs à la disposition de qui-qu'en-veut. J'entends parfois l'âme de la pieuse tantine Jeanne se récrier du fond de son tombeau et menacer de me réclamer des comptes le jour de la résurrection des morts pour cette soupière de l'enfer.
- Je ne suis pas censé supporter financièrement la sexualité débridée de toute la jeunesse dorée de Mantes ! Les préservatifs sont pour mes enfants, pas pour leurs copains !
Bébert est à la manœuvre.
- Vous êtes prêts à recevoir le paquet, les gars ?
- Ouais chef ! répondent-ils. Ils sont tous penchés en arrière, les muscles pectoraux saillants, les mains crispées sur la toile.
- Vas-y coupe, petit !
Et le petit – un mètre quatre-vingt-dix au garrot – de sectionner d’un coup sec le fin câble de cuivre gainé. Les receveurs accusent le coup en faisant une grimace d’effort un peu exagérée et portent rapidement le corps un peu plus loin.
J'ai déjà plusieurs fois remarqué que les femmes tolèrent la barbarie de la chasse à cause des longues périodes de tranquillité qu'elle leur procure, quand leurs maris courent les champs et les bois. Mais aussitôt que ceux-ci renoncent à leurs équipées sauvages, elles leur découvrent des défauts qu'ils ont toujours possédés.
Il faudra que je le fasse parler de la noirceur de l'âme humaine. Cette cruauté qui nous distingue de l'animal et qui n'en finit pas de me surprendre.