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5 questions posées à Jean Rohou qui nous parle de son livre "Fils de ploucs, Tome III, changer la société ?" paru aux éditions Ouest-France.
Questions posées par Laurence Bellon.
Réalisation : Ronan Loup.
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Sur 22 cousins et cousines, mãmm-goz [la grand-mère de l'auteur] avait été la seule à se marier, car la mortalité reculait en Bretagne en cette fin de XIXe siècle, et la natalité restait importante en ce pays catholique.
Si vous aviez dans une commune 85 fermes et 15 bistrots ou artisans, cela faisait de la place pour 100 couples et pas un de plus.
A l'époque, il n'y avait guère de possibilité de trouver ni travail ni logement dans une ville voisine. [ même profil socio-démographique ]
D'où un très grand nombre de célibataires, qui vivaient comme des domestiques bénévoles de leur frère ou de leur soeur mariés.
Ils étaient seulement logés, nourris, blanchis et recevaient de quoi acheter leur tabac et payer une tournée au bistrot le dimanche après la messe.
(p. 23-24)
Je suis né le 12 janvier 1934, sans problème, sur la table de la cuisine, comme tout le monde.
Accoucher dans un lit clos, ce n'est pas commode du tout.
Il y avait un lit moderne à l'étage, mais c'était l'hiver, et la table de la cuisine était à côté du feu de cheminée.
(p. 42)
Le Télégramme et Ouest-France ont commencé à paraître : Ouest-France dès le 7 août 1944, le Télégramme le 18 septembre.
Le Télégramme était beaucoup moins anticlérical que La Dépêche, dont il prenait la suite.
Mais il avait la préférence des laïcs comme nous, tandis qu'Ouest-France était à l'époque le journal des dévôts.
(...) les instituteurs n'ont jusqu'en 1850 qu'un salaire de misère, trois fois inférieur à celui des recteurs* de paroisse.
- Je gagne 0.78 Fr.** par jour. [ l'instituteur de Plougourvest ]
(...)
« Il faut que le plaisir d'avoir servi les hommes et contribué au bien public devienne le digne salaire que donne à l'instituteur sa conscience seule. C'est sa gloire de s'épuiser en sacrifices et de n'attendre sa récompense que de Dieu. » (François Guizot, ministre de l'instruction publique de 1832 à 1837).
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* En Bretagne, le curé de la paroisse est appelé recteur.
** 3 euros par jour selon le convertisseur Insee ? (1901/2021)
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[ vous entendez, les profs chouineurs ? on travaille pour la gloire et la bénédiction divine... on ira tous au paradis ♪♫ ]
[ années 1930 - en Bretagne (comme ailleurs) ]
En entrant dans l'église, [maman] se sépare de nous.
Car la messe était une cérémonie sociale, qui exposait notre hiérarchie.
Les hommes devant, les femmes derrière.
Et les gens importants aux premiers rangs.
(p. 9)
[Mon père] était à la guerre depuis le 3 septembre 1939.
Pendant neuf mois, il n'y a pas de véritable guerre. Puis les Allemands attaquent le 10 mai 1940.
En quatre semaines, l'armée française est écrasée. Mais pour le généralissime Weygand, ce n'est pas la faute des chefs militaires : « Tous les malheurs de la Patrie viennent du fait que la République avait chassé Dieu de l'école. »
C'est aussi l'avis du maréchal Pétain et celui de l'Eglise, qui voit dans cette défaite une revanche.
(...)
Le gouvernement de Vichy supprime les Ecoles normales, révoque 1328 instituteurs et décide de réintroduire les crucifix dans les écoles (6 janvier 1941).
(p. 107-109)
"Karantez" est réservé au sentiment qu'on doit avoir pour Dieu. Pour son mari, sa femme ou ses enfants, on dit "choa m'eus ouzid": j'ai de la joie à ton égard, je me réjouis en pensant à toi.
Ce jeune couple ne s'est pas marié principalement pour son plaisir, pour un bonheur égoïste. Ce qui les unit, c'est plutôt la joie d'exister ensemble, d'entreprendre ensemble; leurs relations personnelles sont englobées dans un projet d'avenir.
Ils veulent faire équipe, prolonger la vie que leur ont donnée leurs parents, assurer la nourriture et la bonne éducation de leurs enfants.
Mon grand-père, dit Louis Elegoët, était doux et placide. Mais quand il apprit, en 1913, que l’institutrice poussait sa fille, qui venait de passer son certificat d’études primaires à douze ans, à continuer ses études, il se précipita à l’école pour l’en sortir à l’instant et définitivement. Il y avait des justifications rationnelles : « des enfants laissés trop longtemps courir les écoles […] rechignent à se mettre au travail, et il devient difficile de les commander », disait le recteur de Plourin-Ploudalmézeau. Et puis, l’école préparait au départ vers la ville : Brest, Le Havre, Paris, Dieu sait où… Ils auraient perdu leur fille : elle se serait perdue elle-même.
[ mère de l'auteur, née en 1904 ]
Dynamique.
Agile.
Brillamment intelligente, toujours première à l'école.
(...)
- La religieuse a cherché à convaincre mes parents de me laisser poursuivre des études. Ils n'ont rien voulu savoir, alors qu'ils n'avaient aucun besoin de moi : il y avait 10 autres adultes dans la maison.
Un tel refus était général à l'époque.
Laisser son enfant continuer des études, c'était transgresser la frontière socioculturelle et l'abandonner à l'inconnu.
(p. 35)
Plus tard encore je t’ai déçue, maman, quand tu venais me voir au collège. « Parlons français » disais-tu, toujours soucieuse de progresser dans la langue des dominants, celle où l’on vous juge. Mais je préférais le breton : j’y étais plus à l’aise avec toi. Peut-être même avais-je un peu honte de cette paysanne qui venait me voir à l’entrée de mon royaume.