Le Masochisme au cinéma (ou la dureté légendaire)
Comme il a été écrit en son temps, cet essai n'est en rien "un texte spécialisé".
La nouvelle édition enrichie d'une préface de François Angelier et d'une "mise au point" de l'auteur est délectable, non seulement pour les cinéphiles, les amateurs de "mauvais genres" mais surtout et avant tout, pour tous les vrais curieux. De ceux (et celles) qui ne craignent pas d'en savoir un peu trop sur eux-mêmes
Avec Theodor Reik, en premier dédicataire de l'oeuvre ; il faut s'attendre à une part non négligeable de psychanalyse "sauvage"...
Trois films à voir (ou revoir) parmi la longue liste, assortie de merveilleux commentaires pour certains d'entre eux :
"Maîtresse" de Barbet Schroeder,
"La Prisonnière" d'Henri-Georges Clouzot et
"Le Casanova de Fellini"
Il n'en est pas question dans l'essai mais je pense également au film de Verhoeven ; "Elle" , confrontant le masochisme latent d'Isabelle Huppert à son violeur sadique interprété par Laurent Lafitte, montrant l'impossibilité d'une rencontre entre les deux.
Celui pour qui le mal est "nécessaire" (réponse donnée dans le film pour motiver l'agression) dans l'inconscience de l'autre et celle qui cherche le lien et la douleur (son plaisir) dans l'abandon, la disposition à l'autre.
Ici, ce sont deux perversions qui s'ignorent l'une, l'autre ; ne jouent pas au même jeu. (Contrairement au rapport dominant/dominé contractuel et ritualisé existant au sein du masochisme). Et il ne faudrait pas avoir une lecture essentialiste homme-sadique / femme-masochiste (le sexe n'a finalement rien à voir là-dedans)
La dureté légendaire, c'est celle à laquelle on préfère croire souvent..
Le jour sous lequel on a moins de mal à se reconnaître ; puissant(e), ayant le contrôle, maître(sse) de soi-même et pourquoi pas des autres..
Inutile de pousser très loin l'analyse pour comprendre qu'un relâchement doit suivre, d'une manière ou d'une autre et surtout, qu'il y a tout lieu de l'espérer
Je vous laisserez donc le plaisir (un peu honteux sans doute... et ce n'en sera que meilleur) de reconnaître la forme que peut prendre l'amour quand il se sait entravé (socialisé) et, pour cela, demande lui-même les liens qui le libèrent
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Né avec l’Encyclopédie sous les augures d’impiété des paganismes aborigènes, la psychologie clinique y ayant vite rajouté le sceau d’infamie de la perversion sexuelle (aberration ou psychopathologie), le concept de fétichisme regorge de connotations malsaines, même après que Freud en ait donné l’interprétation fort réductrice bien connue : « le fétiche est le substitut du phallus de la femme (la mère) auquel a cru le petit enfant et auquel il ne veut pas renoncer. »
Sans nécessairement se départir du thème (pour moi richissime et extrêmement passionnant) des perversions, l’auteur, qui se réclame « fétichiste de tout », envisage le fétichisme simplement comme du symbolisme érotique, la perversion ne résidant éventuellement que dans l’incapacité à jouir du tout au lieu que de la partie, de l’objet fétichisé.
Et les parties, ce sont d’abord toutes les parties du corps, ses « morceaux », même les plus éloignées du corps érotique, puis les « corps différents », puis, par distanciation progressive, les cinq sens, les liquides corporels, les accessoires vestimentaires ou non, et autres « enveloppements » plus ou moins adjacents corporellement.
Sous le titre de Traité, nous recevons donc une compilation encyclopédique, vaste, détaillée, exhaustive jusqu’à preuve d’un surcroît d’imagination perverse, de la plus grande variété possible d’éléments fétichisés, répertoriés d’après la littérature scientifique, surtout psychanalytique, la littérature érotique – au sens large y comprenant la presse pornographique spécialisée – et, très abondamment, d’après les références cinématographiques qui correspondent à la spécialisation de l’auteur.
Le style savamment ironique et ironiquement savant, allège la gravité du sujet, qui reste cependant très marqué par sa proximité essentielle au masochisme, fraternellement, et au sadisme en moindre mesure. Face à la lecture de ce genre d’aménités, pour celui qui n’en est pas consciemment adepte ni inconsciemment subjugué, deux réactions tout aussi intrigantes sont possibles : la stupeur mêlée au « pourquoi pas ça ? » lorsqu’on se sent moins impliqué, ou la franche horreur lorsqu’est touché l’un de nos tabous les plus intériorisés. C’est là que le style dont je parle devient plus qu’agréable, indispensable… Pourtant je crois avoir trouvé une sorte de surenchère progressive dans la limite du supportable, à moins que ce ne fût l’indice de ma lassitude, et au moins à en juger par la toute dernière image et relatif commentaire :
« Le héros du Nécrophile de Gabrielle Wittkop rejoint les deux extrêmes de la vie en se livrant à des ébats avec le cadavre d’un bébé, dont il trouve ‘la chair fade comme un potage de lait’. Comme quoi, même devant le plus accompli des nécrophiles, nous ne sommes pas tous égaux. » (p. 512)
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Paru en 1978 chez Henri Veyrier, Le Masochisme au cinéma a été interdit à sa sortie : affichage (aucune librairie n'a pu le mettre en rayon), publicité, vente aux mineurs. Ce qui déclencha une campagne de presse en sa faveur : Libération, Le Nouvel Observateur, Le Canard Enchaîné, Le Matin de Paris, etc. Il faudra attendre le 21 mars 1982 pour que Jack Lang, nouveau ministre de la Culture, lève les interdictions.0L'essai, réédité en 1990, deviendra culte au fil des ans. Comme l'écrivait à l'époque Freddy Buache, alors directeur de la Cinémathèque suisse : "Jean Streff jette sur les films un éclairage insolite et nous les fait voir autrement, au gré d'une inattendue hiérarchisation qui grossit le contenu au détriment des valeurs esthétiques admises. Dérangeante façon de relancer la réflexion sur le cinéma, sur nous-mêmes, et de rendre la vie à des créations figées depuis longtemps dans l'académisme critique." L'idée du livre est de mettre en lumière à travers des films, séquences de films ou personnages de films, les principales manifestations de la tendance masochiste.
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