Jeanne Guien vous présente son ouvrage "
Le consumérisme à travers ses objets : gobelets, vitrines, mouchoirs, smartphones et déodorants" aux éditions Divergences. Entretien avec
Pierre Crétois.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2557254/jeanne-guien-
le-consumerisme-a-travers-ses-objets-gobelets-vitrines-mouchoirs-smartphones-et-deodorants
Note de musique : © mollat
Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
Visitez le site : http://www.mollat.com/
Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux :
Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/
Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts
Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/votre-libraire-mollat/
Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat
Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/
Vimeo : https://vimeo.com/mollat
+ Lire la suite
Ce livre porte sur trois objets : les serviettes jetables, les tampons jetables et les applications de suivi du cycle menstruel. Parce qu'ils ont été conçus et fabriqués pour être commercialisés, ces objets sont des produits. D'autant plus que leur usage implique une relation marchande durable, par le ré-achat régulier (pour les serviettes et les tampons, qui sont jetables) ou la connexion permanente à des produits et services payants (pour les applications, qui dépendent d'appareils connectés à internet et dont les algorithmes sont régulièrement mis à jour). Leur usage inplique de vivre dans une société consumériste : un monde où avoir, utiliser, partager quelque chose c'est d'abord acheter quelque chose. (7)
Comme le secteur du prêt-à-porter, l'industrie de la téléphonie mobile a dépassé toutes les limites imaginables -exploitation, esclavage, génocide, écocide- pour produire en masse et à bas coût ses produits, et tenir ses promesses d'un rythme de renouvellement rapide des modèles.
Là où certains revendiquent le droit de commercer et de communiquer, d'autres défendent celui de se mouvoir dans l'espace public sans être transformés en clients potentiels ou en producteurs inconscients de données marketing monétisés.
Ainsi, lorsqu'on cherche quelles sont les qualités d'un objet, on découvre moins des propriétés physiques ou chimiques que des valeurs et des normes sociales.
Selon Laetitia Della Bianca, les moniteurs de fertilité développés dans les années 1980 furent décrits par des auteurs féministes comme des outils de dépossession, occasionnant un "transfert des compétences" : loin de permettre une plus grande autonomie aux femmes en leur permettant de se passer du médecin ou du secteur pharmaceutique, le moniteur "invisibilise les compétences interprétatives de ses utilisatrices/lectrices et c'est l'objet lui-même qui reçoit le crédit de ce travail de lecture". On quitte une dépendance pour en trouver une autre, moins incarnée (puisqu'il n'y a pas de figure du médecin qui prescrit) mais tout aussi puissante (celle de l'industrie qui produit l'outil, le commercialise et le fait fonctionner).
Pourtant, le SCT [Syndrome du Choc Toxique] ou l'exposition aux produits chimiques présents dans les tampons peuvent être considérés comme des violences de genre, dans la mesure où le développement de produits toujours plus absorbants s'inscrit dans le contexte de l'exploitation économique de la discrimination menstruelle et de la "culture de la dissimulation". La course à la "superabsorption", aux innovations permettant de porter les tampons le plus longtemps possible repose sur l'idée fondamentale que les produits menstruels doivent servir à dissimuler les règles et le statut de personne menstruée, qui ne correspondent pas aux standards de la "féminité".
La féminité supposée de l'usager est elle-même mise en scène de façon stéréotypée dans les applications menstruelles : on constate un grand usage des couleurs rose, rouge ou violet, des nuances de pastel, des motifs tels que les fleurs, les chats, les licornes, les papillons, les dauphins, les lapins, les arbres, les plumes, les cercles, les arcs-en-ciel, les coeurs, les sirènes, les carnets secrets. Ces symboles genrés et infantilisants s'accompagnent parfois de la féminisation de l'application elle-même, qui peut porter un nom féminin [...] ou être présentée dans les descriptifs promotionnels comme "votre meilleure amie".
La revente des données constitue une véritable menace pour les droits des femmes, notamment pour le droit à l'avortement [...]. Ces applications sont apparues comme de potentielles sources [aux États-Unis] pour prouver qu'une utilisatrice aurait eu recours à un avortement. N'importe quelle application stockant les données dans un cloud pourrait en effet se voir présenter un mandat par la police et être contrainte d'y répondre, en fournissant la date des dernières règles, des derniers rapports non protégés, les informations sur les contraceptifs utilisés, les avortements subis...
L'industrie des produits menstruels a su jouer de ces ambivalences [de discours, pratiques et jugements sur les règles], en décrivant les femmes comme handicapées physiquement et socialement par leurs règles, mais "libérées" par les produits menstruels ; en répétant que les règles étaient un processus normal, tout en l'entourant de précautions et de secrets ; en employant des femmes, tout en leur donnant des positions subordonnées ; en prétendant les guider dans la gestion de leur vie intime, tout en revendant leurs données à ce sujet...
Ces produits [menstruels] ont servi à absorber le sang autant qu'à cacher son existence et son impact sur le quotidien des personnes menstruées, à les "faire passer pour" ce qu'elles n'étaient pas. De leur mode d'achat à leur mode de mise au rebut en passant par leur mode de conditionnement ou leur mode d'emploi, tout a été fait pour construire un monde dans lequel les saignements ou les douleurs menstruelles n'existent pas, ne font pas partie de l'expérience "normale", du quotidien socialement partagé. Un monde masculin, en somme.