Jérôme Thélot. La poésie comme résistance.
La vie poétique consiste pour l'essentiel à se rendre disponible à la venue de certaines images, à les accueillir et à les retenir au moyen de l'écriture. Quelles images ? Celles qui, surgies de la vie, se signalent par une certaine qualité d'émotion qui fait que quelque chose s'allume en elles, qu'elles se font transparentes à la vie qu'elles nomment. Qu'est ce qu'une image, en effet, sinon des nouvelles que la vie nous donne d'elle – même.
Écrire, dans ces conditions, est bien agir sans réfléchir dans la mesure où, s'en remettant à la sensibilité, l'on consent à une certaine sorte de passivité, passivité limitée, contrôlée puisque l'on est libre de refuser ou d'accepter de se laisser guider. C'est aussi s'orienter dans le présent puisque, telle est l'intuition sur laquelle cette poétique se fonde, les images ainsi privilégiées indiquent l'émergence ou la possibilité d'un sens.
Jean Marc Sourdillon, poète français dans " Disciples de l'eau courante", article intégrée à la partie "Témoignages".
Le commencement selon Rousseau est un discours: " ceci est à moi ", adressé à des destinataires qui sy soumettent,
Et c'est donc ainsi que l'histoire a commencé, cest ainsi que tout présent s'est trouvé à jamais assujetti à ce préconstruit, c'est du fait et sous le coup de cette structure originaire que toute société, pour toujours, est viciée. Autrement dit : c'est à ce discours qui n'a jamais été tenu, à cette langue qui a permis ce discours, mais qui elle-même n'a jamais été parlée, à cette forme énonciative qui oppose un orateur à ses auditeurs, et à cette construction linguistique qui représente le " terrain " comme un " ceci ", et la subjectivité comme un " à moi " que l'histoire entière doit sa violence principielle,
Malé-diction est alors le nom qui convient au commencement selon Rousseau, pour autant que la scène conjecturée mais instauratrice, de la dénaturation historique qui a placé l'homme dans les fers et qui a initié l'inégalité entre les hommes est structurée par cette diction mauvaise : par un mal dit.
p. 14.
Une utopie pour Musil, c'est une vie à l'essai, l'expérimentation d'un possible par quelques uns dans les ouvertures du monde.
Jean Marc Sourdillon, poète français dans " Disciples de l'eau courante", article intégrée à la partie "Témoignages".
Démaudire veut dire ici : re-commencer. Non pas seulement déconstruire, puisque ce dernier mot signifie exhiber les préalables et dénoncer les présuppositions ; mais déjouer le jeu de l'histoire entière, désécrire le monde comme monde-maudit monde-préconstruit, et soustraire les hommes à leur mal dit comme à leur non dit, Et si cette démalédiction n'est pas ou pas seulement une déconstruction, c'est en particulier parce qu'elle
est de part en part une poétique première, une invention de formes cherchant à se soustraire a la violence, à la ségrégation et à l'aliénation originaires du mal dit et du non dit: elle démaudit en trouvant, en inventant un dire. — elle est toute création.
p.16.
De mon point de vue, c'est la première chose à dire lorsque l'on parle de la poésie de Philippe Jaccottet. Ce qu'elle donne, ce qu'elle donne d'unique, d'irremplaçable, plus ou mieux qu'aucune autre, est une proposition de vie : une écriture surgie d'une vie et une vie s'inventant dans le sillage d'une écriture. Autrement dit, une réponse incarnée aux questions que je me posais et aux difficultés qu'il y avait à vivre dans le monde d'aujourd'hui. Une réponse en mouvement, toujours perdue, toujours à découvrir.
Jean Marc Sourdillon, poète français dans " Disciples de l'eau courante", article intégrée à la partie "Témoignages".
Le visage, la simplicité, la grande élégance dans le maintien confirmaient ce que j'avais lu dans les livres, comme si l'écriture et le corps étaient deux modalités d'une même présence au monde, d'une même façon d'aller vers lui, de s'éprouver vivant dans sa vie au milieu des êtres et des choses.
Toute cette présence, disait ceci : un retrait en hauteur pour mieux regarder, mieux s'élancer par le regard ou la pensée dans le large paysage ouvert en contrebas.
Jean Marc Sourdillon, poète français dans " Disciples de l'eau courante", article intégrée à la partie "Témoignages".
Un simple griffonnage sur du bristol et quelques mots lus ensuite (ils avaient sans doute été prononcés cet après – midi là) : « S'effacer à demi au profit des forces anonymes qui nous traversent, nous soulèvent, nous bousculent ». un mode d'emploi de la vie traversée… Traversée par elle – même, pour ce qu'elle nous porte plus loin, nous transforme et nous ouvre à la vision. Quelque chose comme une continuation de la naissance.
Jean Marc Sourdillon, poète français dans " Disciples de l'eau courante", article intégrée à la partie "Témoignages".
Dans La Semaison, on peut lire ces phrases dans une note de février 1976:
" La difficulté n'est pas d'écrire mais de vivre de telle manière que l'écrit naisse naturellement. C'est cela qui est presque impossible aujourd'hui ; mais je ne peux imaginer d'autres voies. "
Jean Marc Sourdillon, poète français dans " Disciples de l'eau courante", article intégrée à la partie "Témoignages".
On me donnait une direction même si elle n'a pas été toujours facile à suivre (et non parce qu'elle était difficile, au contraire même. Il fallait admettre l'idée d'une vie ordinaire. C'est, à vingt ans, cela qui est difficile).
Jean Marc Sourdillon, poète français dans " Disciples de l'eau courante", article intégrée à la partie "Témoignages".