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Citation de CorinneCo


Extrait du chapitre "Le jour de la mort de Primo Levi"

"... A la dernière page du récit de Primo Levi, "la trêve", tellement familier - mais son expérience avait été bien plus terrible que la mienne - tellement fraternel - comme le regard de Maurice Halbwachs, agonisant sur le châlit du bloc 56 à Buchenwald - j'ai fermé les yeux.
"E un sogno entro un altro sogno, vario nei particolari, unico nella sostanza...."
Un rêve à l'intérieur d'un autre rêve, sans doute. Le rêve de la mort à l'intérieur du rêve de la vie. Ou plutôt : le rêve de la mort, seule réalité d'une vie qui n'est elle-même qu'un rêve.
Primo Levi formulait cette angoisse qui nous était commune avec une concision inégalable. Rien n'était vrai que le camp, voilà. Le reste, la famille, la nature en fleurs, le foyer, n'était que brève vacance, illusion des sens. [....]
C'est Rossana Rossanda qui m'avait donné à lire le récit de Levi, ainsi que son premier livre, "Se questo è un uomo". Elle me proposa de faire sa connaissance, elle pouvait organiser cette rencontre.
Mais je n'éprouvais pas le besoin de rencontrer Primo Levi. Je veux dire : de le rencontrer "dehors", dans la réalité extérieure de ce rêve qu'était la vie, depuis notre retour. Il me semblait qu'entre nous tout était déjà dit. Ou impossible à dire, désormais. Je ne trouvais pas nécessaire, peut-être pas convenable, que nous eussions une conversation de rescapés, un dialogue de survivants.
D'ailleurs, avions-nous vraiment survécu ? [...]
C'est la première nouvelle que j'entendis à la radio, le lendemain dimanche.
Il était sept heures, une voix anonyme égrenait les nouvelles de la matinée. Il a été question de Primo Levi, soudain. La voix a annoncé son suicide, la veille, à Turin. [...] La voix a dit l'âge de Primo Levi.
Alors avec un tremblement dans toute mon âme, je me suis dit qu'il me restait encore cinq ans à vivre. Primo Levi était, en effet, de cinq ans mon aîné. Je savais que c'était absurde, bien sûr. Je savais que cette certitude qui me foudroyait était déraisonnable : il n'y avait aucune fatalité qi m'obligeât à mourir au même âge que Primo Levi. Je pouvais tout aussi bien mourir plus jeune que lui. Ou plus vieux. Ou à n'importe quel moment. Mais j'ai aussitôt déchiffré le sens de cette prémonition insensée, la signification de cette absurde certitude. [....]
Soudain l'annonce de la mort de Primo Levi, la nouvelle de son suicide, renversait radicalement la perspective. Je redevenais mortel. Je n'avais peut-être pas seulement cinq ans à vivre, ceux qui me manquaient pour atteindre l'âge de Primo Levi, mais la mort était de nouveau inscrite dans mon avenir. Je me suis demandé si j'allais encore avoir des souvenirs de mort. Ou bien que des pressentiments, désormais. [...]
Quoi qu'il en soit, le 11 avril 1987, la mort avait rattrapé Primo Levi.
Une ultime fois, sans recours ni remède, l'angoisse s'était imposée, tout simplement. Sans esquive ni espoir possibles. L'angoisse dont il décrivait les symptômes dans les dernières lignes de la trêve.
"Nulla era vero all'infuori del Lager. Il resto era breve vacanza o inganno dei sensi, sogno...."
Rien n'était vrai en dehors du camp, tout simplement. le reste n'aura été que brève vacance, illusion des sens, songe incertain : voilà.
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