José-Luis Martin Vigil

L'auteur est un remarquable romancier (celui de Jordi, mon fils, de Tierra Brava, de Sixième galerie, et de la Puissance et l'honneur), sachant donner à tout ce qu'il évoque de la couleur, de la force et de la vie.

Nous pénétrons dans l'âme délicate et pure, d'un adolescent poète, trop fragile pour notre époque implacable et dure. Car la pureté de nos jours n'est guerre considérée que comme une faiblesse. et c'est un des maux les plus profonds de l'éducation moderne, que de la mépriser, que d'ignorer son éclat et de ne rien tenter pour empêcher que cet éclat ne disparaisse, ou du moins se ternisse.

Considéré sous cet angle, ce beau roman, d'une prodigieuse variété d'invention et de composition : tour à tour journal intime, dialogues, , récit impersonnel , poésie, est un réquisitoire courageux. J'ai donné un cinq étoiles.

J'ai trouvé ce livre dans la boîte à livres de ma commune. L'ayant feuilleté, je me suis décidé à le prendre, quand j'ai lu à qui il était dédié : "À vous, qui êtes nés ainsi ; à tous les enfants bâtards, naturels, incestueux ; à tous ceux qu'une société hypocrite tient pour illégitimes, comme si être fils de Dieu ne suffisait pas ; à ceux qui sont venus au monde sans avoir été désirés ; à ceux qui sont ici par imprévoyance, maladresse ou lâcheté ; à ceux qui rencontrent partout des obstacles, même pour devenir prêtres ; à tous ceux qui ont été conçus sans amour, qui sont nés dans la peur et la tristesse, qui ont grandi sans soutien ... À vous, oui."

S'ils ont atterri à la maison des Archanges, c'est à cause d'un manque d'amour, à cause de "la lutte pour la vie depuis la plus petite enfance" (page 191). Enfants abandonnés, orphelins, voire incestueux, ces pensionnaires ont en effet été sevrés d'amour. Or, la vocation de l'homme n'est-elle pas d'être aimé, d'abord, et d'aimer ensuite, en retour ? On comprend mieux, dès lors, le choix du titre, et la réponse qui lui correspond. Tout le monde n'a pas la chance de naître "du bon côté". Pourquoi cette haine est ainsi, non seulement un hymne à l'enfance malheureuse, mais aussi un hommage à ceux qui lui donnent une deuxième chance, voire une troisième. Ce roman sombre est illuminé par la figure du Père Rafael : "Que crois-tu que je serais devenu si Dieu m'avait rejeté à ma première défaillance ?" (page 80). "Tu n'as donc pas encore compris que j'ai pour vous plus que de l'affection ?" (page 84).

Pourquoi cette haine comporte par ailleurs beaucoup de dialogues ; leur longueur peut rendre difficile l'identification de celui qui parle. On notera une construction originale : les chapitres suivent en effet un ordre anti-chronologique. Le roman commence par ce qui vient de se passer, puis chacun des chapitres suivants va relater ce qui s'est passé juste avant, de sorte qu'en refermant le livre, on viendra juste de lire le chapitre qui constitue, en fait, le début de l'histoire.

Madrid, années 1960.

Autour de moi ce silence : un titre criant de vérité pour décrire la solitude et le désarroi d'un adolescent, confronté à l'injustice et à la violence de son père, et à l'inconsistance de sa mère.

Comme l'indique, dans son journal, le prêtre qui est le narrateur, Carlos Vega, seize ans, est la proie des tourments de son âge : "le démon, le monde, la chair", malmenant son honnêteté et sa pureté. "Trop d'ennemis pour lui qui ne pouvait se retenir, comme d'autres, à aucune main, ouverte et constamment tendue vers lui" (page 337).

Nous sommes à l'époque du régime franquiste, dans une famille aisée de la grande bourgeoisie catholique. le roman s'ouvre sur l'interrogatoire de Carlos Vega au sujet d'une tentative de viol. Ce sont les yeux innocents de la fillette qui l'ont désarmé et l'ont fait renoncer. Relâché par la justice, il est d'abord envoyé, pour les derniers mois de l'année scolaire, dans un monastère. Là, "l'air était parfumé d'encens, de prières et de siècles" (page 86). le recours à la confession y conduit Carlos à prendre de bonnes résolutions, jusqu'à ce que, de retour à Madrid, il subisse la mauvaise influence d'un camarade de lycée. Fréquentant alors des "lieux de mauvaise vie" et menant grand train, il en est contraint à se procurer de l'argent par tous les moyens...

Autour de moi ce silence est le fruit d'un mélange de styles littéraires. Journal intime, lettres, poèmes, descriptions, font tout à tour progresser le récit d'un roman sombre, comparable à une spirale sans fin vers le mal, dont les parents portent une grande part de responsabilité.

Pablo Boneti, 22 ans, brillant lieutenant tout frais émoulu de l'Académie militaire, est affecté au Corps de Police Militaire.

Beau garçon, il fait tourner bien des têtes féminines, sans qu'il le cherche. Mais, résistant à son pouvoir de séduction, il ne cède pas à ces tentatrices. Chargé du contrôle du port de la Ville, il découvre la corruption ("La vie, Pablo, ne commence véritablement que lorsque l'argent cesse de devenir une préoccupation" - page 101) mais refuse de se laisser corrompre par le pouvoir de l'argent.

Ecrit à la première personne, La puissance et l'honneur relate, avec une réelle intrigue, le combat courageux d'un jeune contre les lâchetés du monde et les tentations de la Ville. Une illustration de la lutte entre le bien et le mal, qui laisse néanmoins le dernier mot à l'Espérance ("Dieu, mon Dieu, voilà le monde que tu as fait" - page 206).