José Miguel Roig

Je me précipitais vers elle. Elle tenait une cigarette allumée et quand elle en tira une bouffée, le bout rouge éclaira son visage. La fumée s'enroula autour de sa main agitée. Elle me reconnut tout de suite. Je respirais difficilement, mais ce n'était pas parce que je venais de courir.
Vite, j'ôtais mon chapeau et instinctivement me peignai avec les doigts. Je voulais être le plus beau possible pour elle, effacer au maximum les traces de fatigue de la longue nuit en train. Elle me dévisageait et finit par sourire d'une façon un peu artificielle, où entrait une part de pose. Je retrouvais en un instant le mélange d'élégance étudiée et de sensualité dont je me souvenais si bien. Elle portait un manteau noir, avec quelque chose de jaune à gauche, sur la poitrine. Une fleur ? Une broche ? Elle était coiffée d'un petit chapeau en velours noir.
«Gonzalo», chuchota-t-elle, de sa voix un peu gutturale. La même qu'autrefois.
Puis elle me tendit la main. Le même geste, aussi. Je me rappelais Sebastian en train de l'embrasser. Cette fois, je le fis aussi. Je redis : «Marina, Marina» plusieurs fois.
Je me sentais gauche, maladroit. Les paroles répétées des milliers de fois depuis sept ans semblaient maintenant superflues. J'avais si souvent imaginé cette rencontre ! Et voilà que je ne trouvais rien d'intelligent à dire.
«Incroyable, murmura-t-elle, je pensais ne jamais te revoir, et te voilà...
— Vous n'avez jamais cru ce que je vous disais, protestai-je. Je vous avais promis que je vous retrouverais un jour.»
J'hésitai, puis ajoutai : «Mon amour.»
Elle eut un petit rire et demanda :
«Comment vont tes parents ? Tu m'as écrit plusieurs fois. Pardonne-moi si je n'ai pas répondu très souvent. Tu sais, les choses sont terribles ici pour nous.»
Pour nous ? Je n'écoutais pas vraiment. Je n'aurais pas compris le véritable sens de ce qu'elle était en train de me dire. Elle devait parler de la guerre si proche, oui, bien sûr, de la guerre. Moi, le seul fait de la voir me bouleversait. Je voulais la toucher, la prendre dans mes bras. Je l'embrassai et la sentis trembler.

Ma jeunesse n'existe plus que dans mes rêves, quand le réel et l'irréel se mélangent, quand le passé devient le présent.

(...) qui peut prétendre avoir eu au départ une idée claire de ce qu'il ou elle accomplira plus tard. Il me semble avoir vécu ma vie en abordant un épisode après l'autre, un problème à résoudre après l'autre aussi. Et tout le temps j'ai gardé au fond de moi ce sentiment d'avoir perdu quelque chose, de ne jamais avoir eu le calme nécessaire pour prendre du recul (...).

Donc nous ne nous sommes pas inscrits au parti communiste. Quand nous avons su que notre candidature à chacun serait finalement acceptée, cela ne nous intéressait plus vraiment.